La Paracha de cette semaine, Nasso, parle du Nazir, personne qui fait le vœu de s’abstenir de vin, d’éviter tout contact avec un mort et de laisser pousser ses cheveux.[1] Rav Avraham Grodzinski[2] soulève plusieurs questions quant au niveau spirituel du Nazir. D’un côté, la Torah le décrit comme quelqu’un de « saint », qui se prive de plaisirs matériels[3], mais elle évoque également le sacrifice qu’il doit apporter – une offrande expiatoire, sous-entendant qu’il commit une certaine faute. Laquelle ? Rachi précise que le Nazir s’est infligé une souffrance, en se privant du plaisir de boire du vin[4] ; c’est sa faille.
Cela semble contredire complètement ce que l’on a vu précédemment : le Nazir accomplit-il une grande Mitsva ou bien une Avéra ?
Rav Grodzinsky répond que le Nazir agit correctement – il ressent un penchant malsain pour les plaisirs matériels et estime donc nécessaire de faire le vœu en question. Mais cette même action implique une notion de faute. En effet, D.ieu a créé l’homme avec un corps et une âme, et il ne convient pas de négliger son corps. Notre tâche consiste à vivre dans le monde matériel tout en l’élevant. Le Nazir ressent qu’il ne peut pas y arriver sans s’abstenir de boire du vin. Il est donc appelé « saint », parce qu’il entreprend un processus important de purification, mais doit simultanément approcher une offrande expiatoire pour la souffrance causée à son corps.[5]
Le Séfer Torat Avraham ajoute ensuite un autre détail qui semble contredire cette idée. La Torah nous enjoint d’être purs, « Kédochim Tihyou ». Le Ramban écrit qu’il ne suffit pas, pour cela, d’accomplir les Mitsvot tout en profitant de la matérialité, mais il convient de s’abstenir des plaisirs du monde. Il met d’ailleurs l’homme saint sur le même pied que le Nazir qui ne boit pas de vin. Par contre, il ne fait mention d’aucune faute. Pourquoi ?
En réalité, le Ramban parle du Talmid ’Hakham, qui essaie de s’éloigner du luxe dans ce monde. Quelle différence y a-t-il entre le Nazir qui a fauté en évitant de boire du vin et le Talmid ’Hakham qui ne commet aucune erreur en agissant de la même manière ?
L’instinct du Nazir le pousse vers les plaisirs bas, comme le vin. Il lui est difficile de s’en détacher, donc il faute en se provoquant cette souffrance. En revanche, le Talmid ’Hakham ne ressent aucune privation quand il évite de telles choses, puisqu’il n’est pas astreint à ses penchants naturels. Il sait pertinemment que la matérialité est futile et éphémère, au point qu’il ne lui est pas pénible de s’en garder. Il n’y a donc aucun méfait, aucun besoin d’expiation.
Nous en déduisons un principe fondamental. La meilleure manière de s’écarter des plaisirs matériels n’est pas à travers une privation désagréable. Il nous faut réaliser la futilité de la satisfaction matérielle. C’est totalement différent du renoncement austère et du sentiment de manque. Prenons l’exemple des maints essais de perdre du poids, à travers toutes sortes de régimes. Souvent, ils restent vains, parce que le fait de se priver de nourriture cause une certaine affliction. La personne au régime ne se libère pas du désir de goûter à tel ou tel mets savoureux, mais au contraire, son envie pour ces aliments s’intensifie. Elle traverse donc un processus éprouvant qui ne pourra évidemment pas durer indéfiniment. L’approche de la Torah au sujet de la nourriture devrait naturellement permettre à l’individu de manger sainement, voire de perdre du poids.[6] S’il se libère de sa soumission aux plaisirs matériels, le fait de s’en détacher ne sera pas difficile.
Il nous reste à comprendre comment une personne peut atteindre le niveau d’un Talmid ’Hakham et être capable de se détacher des plaisirs matériels sans éprouver de désagrément. C’est certainement parce qu’il valorise davantage la spiritualité, ce qui le libère automatiquement de l’asservissement à la matérialité. Un étudiant de Yéchiva demanda un jour à Rav Orlowek[7] comment cesser d’attendre avec plus d’impatience le déjeuner que la prière de Min’ha. Le Rav lui répondit qu’il devait renforcer son appréciation pour la Téfila afin de réduire sa préférence pour le repas.
Il y a donc deux façons de se détacher de la matérialité, celle du Nazir et celle du Talmid ’Hakham. La première est une privation qui provoque un inconfort, tandis que le Talmid ’Hakham ne ressent aucune peine à s’abstenir de tels plaisirs. Notre tâche consiste à réduire notre dépendance pour les plaisirs matériels en rehaussant à nos yeux les choses spirituelles.
[1] Parachat Nasso, Bamidbar, 6:1-21.
[2] Il était le Machguia’h de Slabodka, le beau-frère de Rav Yaacov Kamenetsky et le beau-père de Rav Chlomo Wolbe et de Rav ’Haïm Kreiswirth. Voir son ouvrage, Torat Avraham, p. 181-182.
[3] Bamidbar, 6:5.
[4] Rachi (Bamidbar, 6:11) rapporte la Guémara dans Nazir 19a et Taanit 11a.
[5] Voir Tossefot, Taanit 11a, qui note la même dualité à propos de celui qui jeûne durant Chabbat – il accomplit une Mitsva et commet une faute, parce qu’il se prive des délices du Chabbat.
[6] Il est vrai qu’il n’existe pas de Mitsva de se priver de bons mets; au contraire, c’est parfois une obligation de manger de bons plats. Néanmoins, cela ne contredit pas l’idée qu’une personne ne doit pas être Méchoubad (asservie) à la nourriture – elle peut manger et jouir de délicieux aliments quand c’est une Mitsva tout en évitant une consommation gloutonne et malsaine.
[7] Il s’agit du Machguia’h de la Yéchivat Torah Or.