Avec la Paracha de cette semaine, nous continuons à parcourir des passages difficiles de la vie des enfants d’Israël dans le désert.
La révolte de Kora'h est restée célèbre car elle incarne le prototype de la dispute stérile qui ne porte pas sur le « Emet » « la vérité » mais sur des rivalités de pouvoir et d’honneurs entre les hommes. Comme toujours, de telles querelles se masquent artificiellement derrière des enjeux plus grands. Ici, Kora’h et son assemblée prétendent agir au nom de leur aspiration à servir D.ieu de manière plus intense, ils rappellent qu’eux aussi ont entendu la voix de D.ieu au Sinaï et que la Kédoucha, la Sainteté, ne saurait être monopolisée par une minorité alors que tout le peuple est Saint.
Comme le fait observer le Rav J. Sacks, le Midrach nous rapporte ainsi une image qui illustre bien la problématique de Kora'h. Ce dernier feint d’interroger Moché Rabbénou sur une question Halakhique et lui demande « Un Talit entièrement bleu, fait uniquement à partir de fils de Tekhélèt « bleu azur » requiert-il un Tsitsit en « Tekhélèt » également ? » Moché affirme qu’il faut, malgré tout, ajouter un tsitsit bleu, et Kora’h tourne en dérision sa réponse en lui rappelant que si un un seul fil bleu suffit d’ordinaire, alors à plus forte raison, si tout le Talith est bleu, il est inutile d’ajouter un fil bleu en guise de Tsitsit.
Kora’h appliquera le même raisonnement à une maison pleine de livres de Torah. Faut-il ajouter une Mézouza à sa porte ?
En réalité, ces exemples illustrent la problématique de Kora’h et de son assemblée. Le Talith tout bleu ou la maison pleine de la livres saints désignent le peuple Juif qui était entièrement saint. A-t-il besoin d’un chef, d’une personne supplémentaire (Moché Rabbénou, incarné par le fil bleu de Tsitsit supplémentaire ou la Mézouza) qui serait encore « plus sainte » ?
Or, précisément, l’erreur de Kora’h consiste d’une part à attribuer à la qualité de dirigeant une plus grande sainteté alors que ce n’est pas toujours le cas, et d’autre part, à oublier que ce n’est pas Moché qui s’est auto-proclamé comme chef, mais que c’est D.ieu qui l’a désigné à cette place.
C’est précisément le sens de ce propos de Moché à leur endroit : « En vérité, toi et toute ta bande, c'est contre l'Éternel que vous vous êtes ligués ; car Aharon, qu'est-il pour que vous murmuriez contre lui ? ».
Et Rachi de préciser que Moché les met en garde de ne pas se rebeller contre la volonté de D.ieu « car c’est sur Son ordre que j’ai conféré la prêtrise à Aharon, de sorte que cette querelle ne nous concerne pas (Midrach Tan‘houma). »
À travers l’erreur majeure de Kora’h, notre Paracha nous invite à méditer sur les dangers de la rivalité sociale, du fameux « cursus honorum », la course aux honneurs qui prétend conduire les hommes vers la gloire et le prestige alors qu’elle les mène directement à leur perte.
Lorsque l’homme braque ses yeux sur son prochain, et scrute sa réussite, sa richesse, son statut social, il s’exile de lui-même et perd la capacité à devenir qui il est vraiment. Cela ne signifie pas que l’on ne peut pas trouver chez autrui une source d’inspiration pour progresser, s’améliorer, mais cela nous rappelle que chaque homme est singulier et chaque destin est unique.
L’Éternel a doté chaque homme d’un ensemble de potentialités, de compétences, de qualités qui le rendent unique et qui ont vocation à le mener vers son épanouissement. Les chemins pour y parvenir sont différents, mais la finalité est toujours la même : révéler la lumière enfouie dans notre Néchama, notre âme.
Nos Sages ont ainsi mis en lumière une vertu fondamentale pour réussir dans cette aventure : « connaître sa place » (« Mékir Ete Mékomo ») et l’accepter.
C’est précisément cette vertu qui fait défaut à Kora’h et son assemblée : ils n’acceptent pas leur place, ils pensent qu’ils n’ont un statut que de deuxième rang alors qu’ils méritent la première place du podium. Ils méprisent la place qui est la leur, et convoitent la place d’autrui, ils sont donc incapables d’atteindre leur épanouissement.
En réalité, les hommes sont bien souvent trompés par une vue partielle de la réalité qui les mène à réduire la vie de leurs semblables uniquement à ce qu’ils en perçoivent de l’extérieur. Ils envient des vies qu’ils ne connaissent pas ou dont ils ne connaissent qu’une partie apparente. Il est fort probable que si on leur exposait tous les détails de la vie de leur prochain, et ce, sur des générations, chacun conserverait, sans réfléchir, sa propre vie car Hachem a donné à chacun de manière extrêmement précise les ingrédients nécessaires à son bonheur et à son épanouissement.
Les hommes sont tous égaux en dignité, mais Hachem a donné à chacun une âme singulière à nulle autre comparable. Ce sont précisément ces différences qui donnent toute sa richesse à l’humanité et qui font de chaque homme un être unique, irremplaçable, à nul autre semblable.
Dès lors que l’homme se concentre sur son intériorité, prend conscience de ses facultés, et s’efforce de les approfondir à travers notamment l’étude de la Torah, la pratique des Mitsvot, et le raffinement de ses qualités de cœur, il chemine vers son épanouissement le plus profond. Inversement, lorsqu’il focalise ses yeux sur la réussite des autres, lorsqu’il fait l’inventaire de ce qui lui manque, il devient la proie du Yétser Hara’ (mauvais penchant). Ce dernier s’engouffre dans la brèche que l’homme lui a ouverte, et œuvre à l’approfondir en détournant notre regard de tous les aspects positifs de nos vies et en braquant le projecteur uniquement sur des sources potentielles de frustration. Ce faisant, l’homme s’éloigne de son épanouissement, et perd un temps précieux
En effet, chaque instant de vie est un instant potentiel de lumière, d’accomplissement ; or, comme nous l’avons vu, si notre esprit est obsédé par des idées négatives ou un sentiment de frustration, il n’est pas libre pour apprécier et valoriser toutes ses sources de bonheur.
Voilà pourquoi il est si important de connaître sa place, et d’être convaincu que nous avons tous un rôle singulier à jouer sur terre.
N’oublions pas cet avertissement de nos Sages, « Les désirs, la jalousie, et la recherche des honneurs expulsent l’homme du monde », à l’image de Kora’h et de son assemblée qui sont avalés par la terre.
Face à ces écueils, l’homme doit réagir en se concentrant sur sa construction personnelle, l’approfondissement de ses qualités et de sa sensibilité, et en les canalisant dans la direction du service divin, grâce à l’étude de la Torah, la pratique des Mitsvot, et les actes de bonté avec son prochain. De cette manière, il parviendra à ressentir intuitivement la direction vers laquelle il doit s’engager, percevra avec plus de lumière ce que l’Éternel attend de lui, et ressentira un épanouissement intense.
Puisse Hachem nous aider à nous investir dans cette voie et à comprendre comment enrichir la symphonie de l’humanité avec nos partitions personnelles. Nous pourrons ainsi, avec l’aide de l’Éternel, construire l’harmonie universelle propice à l’arrivée très prochaine du Machia’h.