La Haftara de cette semaine est issue du premier livre de Chmouel. Elle fait suite à la demande du peuple d’avoir un roi à sa tête, requête à laquelle le prophète Chmouel était opposé à l’origine. Il finit toutefois par accepter, suite à l’accord donné par Hachem.
Notre texte présente plusieurs points communs avec la Paracha que nous lisons généralement la même semaine : la Paracha de Kora’h. Notons toutefois que cette année, nous ne lirons pas cette Haftara en raison de la célébration de Roch ‘Hodech ce même jour.
Au début de notre Haftara, Chmouel propose de « renouveler » la consécration de Chaoul comme roi. Pour comprendre cette proposition, il faut revenir un peu en arrière. En effet, le peuple souhaitait se doter d’un roi à l’image des autres peuples qui l’entouraient, mais Chmouel était opposé à cette demande pour différentes raisons.
Il déplorait d’une part que le peuple remette en cause la légitimité des dirigeants choisis par Hachem : le juge ou le prophète, et, d’autre part, il estimait qu’il n’y avait qu’un roi : le Roi des rois, et que toute autre figure royale était donc illégitime. Il met en garde également le peuple contre le joug important qui pourrait s’abattre sur le peuple en termes d’obéissance et d’assujettissement à la volonté du roi.
Toutefois, le peuple insiste et D.ieu fait savoir à Chmouel qu’il peut répondre positivement à la demande du peuple. Chmouel va ainsi être amené à désigner Chaoul, fils de Kich, appartenant à la tribu de Binyamin, comme premier roi d’Israël.
Néanmoins, son profil ne correspondait pas a priori à l’archétype du roi tel que le peuple se l’imaginait. Il semblait, aux yeux de certains, chétif et inexpérimenté. Ils étaient sceptiques sur sa capacité à régner sur eux. Chaoul va cependant conquérir ses galons de roi quand il opposera une résistance ferme et courageuse au roi des Amonites, Na’hach, qui opprimait de manière impitoyable le peuple d’Israël. Chaoul va ainsi mener une guerre courageuse pour libérer ses frères de l’oppression de ce roi pervers, et va remporter une victoire éclatante.
Conquis par cette ardeur, ce courage et cet amour du peuple juif, le peuple va alors réaliser que Chaoul est bien digne d’être leur roi, et c’est ainsi que Chmouel propose dans notre Haftara de « renouveler » la consécration de Chaoul comme roi maintenant que l'ensemble du peuple l’a accepté.
Liens entre la Paracha et la Haftara
La Paracha de Kora’h présente notamment la révolte qui éclata au sein d’une partie du peuple contre ses dirigeants Moché et Aaron, et leur volonté de les remplacer. De même, la Haftara se déroule après que le peuple a demandé à avoir un roi sa tête, ne se satisfaisant plus de la direction exercée par le prophète Chmouel et ses enfants.
Ensuite, nous pouvons constater dans les deux textes une même ligne de défense suivie à la fois par Moché et par Chmouel. Ces deux dirigeants rappellent solennellement qu’ils ont exercé leur leadership de manière totalement désintéressée. Moché dit ainsi : « Je ne leur ai pas pris un âne, ni n’est causé de tort à l’un d’entre eux », alors que Chmouel s’exclame : « De qui ai-je pris le bœuf ? Qui ai-je lésé ou oppressé ? »
Par ailleurs, Moché et Chmouel vont tous deux prier Hachem pour qu’Il réalise un miracle et que le peuple puisse ainsi constater qu’il trouvait toujours grâce aux yeux du Tout-Puissant, et qu’il incarnait bien Sa volonté. C’est ainsi que dans la Paracha, Kora’h va être « avalé » par la terre comme si celle-ci ouvrait sa bouche, tandis que dans la Haftara, Chmouel va obtenir une pluie torrentielle en pleine saison chaude de sécheresse.
Enfin, nous pouvons mentionner qu’il existe une filiation entre Kora’h et Chmouel. En effet, Rachi nous dit au début de la Paracha que Kora’h avait beaucoup d’aplomb dans son argumentation à l’encontre de Moché, dans la mesure où il avait perçu par vision prophétique qu’un de ses descendants serait précisément le prophète Chmouel. Nos Sages nous expliquent que sa vision était juste, mais que le mérite ne lui en revenait pas. Il revenait à ses enfants qui avaient fait un repentir sincère et n’avaient pas suivi le mauvais chemin de leur père.
L’écho de la Haftara
Cette Haftara peut être interprétée à travers différents axes. Dans le cadre de cette étude, nous nous concentrerons sur la réflexion autour des qualités inhérentes aux leaders et aux dirigeants telles qu’elles se dégagent de nos textes.
Nous pouvons remarquer en premier lieu que ce n’est qu’une fois que Chaoul a été désigné comme roi que le prophète Chmouel se décide à admonester le peuple. Probablement ne souhaitait-il pas que le peuple pense qu’il leur faisait des remontrances uniquement pour préserver son poste de dirigeant.
Chmouel a donc attendu que Chaoul soit intronisé et reconnu par tous comme roi, pour adresser au peuple des reproches. Nous savons que c’était également une méthode habituelle des Patriarches, qui s’efforçaient de ne faire de réprimandes au peuple qu’à l’approche de leur mort. Ils signifiaient ainsi qu’ils ne recherchaient aucun honneur personnel, ils souhaitaient simplement que le peuple respecte la répartition des rôles voulue par Hachem. C’est également là un enjeu central de la Paracha Kora’h. Connaître sa place, l’accepter, et ne pas désirer la part de l’autre sont des prérequis fondamentaux pour bâtir une société équilibrée. Chacun est susceptible de donner le meilleur de lui-même dans un domaine particulier ; l’écueil fréquent consiste à regarder à côté, désirer ce que fait l’autre au détriment de sa propre partition.
Ensuite, il est frappant de constater à quel point Chmouel est soucieux que le peuple n’ait pas une image erronée de son intégrité. C’est ainsi qu’il rappelle et insiste sur l’abnégation avec laquelle il a servi le peuple durant toutes ces années, et également sur son désintérêt. Il souligne à quel point il n’a fait aucun profit matériel du poste prestigieux qu’il a occupé, à quel point il n’a fait aucune pression sur le peuple pour obtenir des faveurs, des avantages matériels.
Comme nous l’avons dit, nous remarquons la même démarche chez Moché Rabbénou. Lui-aussi prend à témoin le peuple qu’il n’a tiré aucun avantage matériel de son statut de chef, de dirigeant.
Cette approche est intéressante dans la mesure où nous aurions pu penser qu’il suffit que l’homme ait sa conscience tranquille pour être quitte de ses obligations. Nous aurions pu penser que le regard que portent les personnes que nous fréquentons n’a pas d’importance fondamentale, dès lors que l’on n’a rien à se reprocher. Toutefois, l’insistance avec laquelle Chmouel et Moché se défendent jette une lumière nouvelle sur cette approche, et nous montre à quel point il est important de ne laisser planer aucun doute sur son intégrité.
Nous pouvons comprendre ce point en nous rappelant combien les relations sociales comptent dans la Torah. Il ne s’agit pas de vivre sa foi dans une relation uniquement verticale, avec Hachem, mais également de manière horizontale, dans la richesse et la profondeur que nous tissons avec nos prochains. Nos Sages nous indiquent par exemple que lorsque l’on fait un cadeau à un ami, ou lorsque nous lui rendons un service, il convient de le lui faire savoir. L’objectif n’est pas d’en tirer un orgueil personnel ou de l’embarrasser, mais simplement de souligner l’affection que nous lui portons et notre volonté de lui faire du bien. C’est ainsi que l’on peut créer du lien entre nous et intensifier les sentiments de paix, d’amour et de concorde parmi le peuple.
Enfin, Chmouel souligne combien D.ieu a toujours été bienveillant avec son peuple. Il l’a sauvé de tous les dangers qui le guettaient et l’a fait sortir de l’esclavage. Le prophète rappelle également au peuple tous les dirigeants qui ont été placés par D.ieu à sa tête : Moché et Aharon, mais aussi Yéroubaal, Bédan (Gédéon), Yifta’h, et Chmouel. Nos Sages soulignent que Chmouel mélange dans cette liste des dirigeants qui n’avaient pas tous le même niveau spirituel, afin de nous enseigner que chaque génération a les dirigeants qu’elle mérite et qui sont susceptibles de diriger le peuple de la meilleure façon possible.
C’est ainsi que nous voyons combien il est important, dans le domaine spirituel, que les dirigeants et le peuple entretiennent les meilleures relations. Les premiers doivent exercer leur mandat en pleine conscience de la responsabilité qui leur incombe et de leur devoir d’exemplarité ; les seconds doivent être à l’écoute des conseils et des recommandations de leurs dirigeants, ils doivent accepter la place qui leur a été dévolue dans la société et jouer leur rôle de la meilleure façon possible. C’est ainsi qu’avec l’aide d’Hachem, nous pourrons éviter les controverses stériles et les rivalités de pouvoir si délétères.
Puissions-nous, avec l’aide d’Hachem, renforcer notre unité et l’amour gratuit entre nous !