Avec la paracha de cette semaine, nous entrons dans un série de textes qui vont révéler certaines grandes erreurs commises par le peuple, ou, tout au moins, une partie de celui-ci. Aussi, ces passages mettent en lumière, en contrepoint, des qualités que nous devons développer en nous afin de nous prémunir contre ces écueils.
Au cours de leurs pérégrinations dans le désert, les Bné Israël vont osciller entre des périodes fondatrices de grande démonstration de foi et de proximité avec Hachem, et des périodes de doutes, de plaintes et d’ingratitude.
Dans la paracha de Beaalotekha, nous suivons les enfants d’Israël au cours de leur deuxième année dans le désert, et nous les entendons se plaindre de leurs conditions de vie alors même que D.ieu leur fournit une protection sur-mesure et pourvoit à tous leurs besoins : « Le peuple chercha des sujets de récrimination ; c’était mal aux oreilles d’Hachem, et Hachem entendit et Sa colère s’enflamma, et un feu de Hachem s’attisa contre eux, et il brûla à l’extrémité du camp. Le peuple implora Moshé, Moshé pria vers Hachem, et le feu s’éteignit. » (Bamidbar, 11, 1-2).
Les commentateurs s’interrogent pour savoir quelle était la nature exacte de la faute commise par les enfants d’Israël : ont-ils invoqué des arguments faux et mensongers qui leur ont valu une telle punition (R. A. Ibn Ezra) ou bien étaient-ils dans un état d’esprit inapproprié de récriminations et d’angoisses injustifiées sur l’avenir ?
Le Ramban opte pour cette seconde explication et il nous livre ainsi une leçon vie fondamentale.
Certes, les conditions de vie dans le désert sont rudes et les enfants d’Israël n’avaient pas les moyens par eux-mêmes d’assurer leur subsistance, ils étaient dans une dépendance totale vis-à-vis de l’Eternel. Mais, même dans de telles conditions, la Torah vient nous dire qu’ils n’avaient pas le droit de faire entrer dans leur cœur l’amertume, l’angoisse et la crainte en anticipant les difficultés supposées du futur.
Dès lors, si même dans ces situations extrêmes de dépendance totale vis-à-vis de D.Ieu, dans un environnement matériel très hostile, la Torah interdit à l’homme de se plaindre et d’avoir une vision pessimiste de l’avenir, à plus forte raison, devons-nous comprendre que nous-mêmes n’avons aucune légitimité à nous inquièter sur l’avenir. (R. H. Margolin, Living Simcha)
Il appartient naturellement à l’homme de préparer l’avenir et son futur, mais il ne doit pas aller au-delà et s’angoisser ou s’attrister sur les incertitudes du futur qu’ils ne maîtrisent pas et dont il ignore tout. Les Bné Israël allaient vivre durant quarante années dans le désert en étant épargnés de toute difficulté matérielle, les nuées de gloire les protégeaient des rigueurs du climat et de la nature hostile, la manne et l’eau du rocher leur garantissaient de ne jamais souffrir ni de la faim ni de la soif.
Aussi, les complaintes qu’ils laissèrent entendre n’étaient fondées sur aucune réalité, elles plongeaient le peuple dans une tristesse et un abattement gratuit, et elles ajoutaient au découragement l’ingratitude à l’égard des bontés qu’Hachem leur avait préparées.
Le feu qui s’abat alors sur le peuple est le reflet du feu intérieur engendré par les angoisses stériles sur l’avenir. Lorsque l’homme laisse naître dans son cœur un questionnement inquiet sur l’avenir, lorsqu’il braque son regard sur ce qui lui manque et qu’il magnifie les « acquis » souvent illusoires du passé, il attise en lui-même le feu dévorant de la tristesse, du doute, et du ressentiment. Ce feu plonge l’homme dans un profond désarroi et occulte toutes les bontés dont Hachem le gratifie au présent.
Notre paracha nous invite donc à faire la part des choses entre la préparation légitime de l’avenir, et l’angoisse illégitime sur les difficultés qui pourraient naître dans le futur. Rien ne justifie de sacrifier le bonheur présent sur l’autel des difficultés « potentielles » du futur. Il convient, au contraire, de concentrer notre regard sur tout le bien dont Hachem nous comble, Lui adresser des louanges pour cela, et Lui faire confiance pour organiser le futur de la meilleure manière possible.
Chaque instant de vie est fruit d’une re-création permanente de l’homme et du monde. Il doit être appréhendé en tant que tel, et on ne doit pas occulter le miracle du présent au motif que le futur est incertain ou « risqué » sur tel ou tel point. Il convient au contraire de ré-affrmer à chaque instant notre volonté de « vivre » pleinement et remercier Hachem de nous octroyer cette possibilité qu’Il renouvelle seconde après seconde.
Un midrach commente en ce sens le verset des psaumes du Roi David « Kol haneshama tehalel Kah Halleloukah » « Toute âme doit louer Hachem ». Nos Sages font ainsi remarquer que le mot « neshama » (« âme ») est proche du mot « neshima » (« respiration »).
La respiration est l’élément de base de la vie humaine, et cette dernière peut être analysée de manière biologique comme une chaine de « respirations » mises bout à bout. Chaque respiration est autonome, elle nait, existe un court moment, et disparait avec l’expiration, avant de laisser place à une nouvelle respiration. (R. H. Margolin)
Chaque respiration est donc un moment de vie autonome, qui ne saurait être ignorée au motif de l’expiration passée qui n’existe plus, ni en raison de la prochaine respiration qui n’existe pas encore. Chaque respiration doit être considérée comme une fin en soi, elle porte en elle la force et la grandeur de la vie, et elle doit être appréciée en tant que telle.
A la lumière de cette explication, nous pouvons relire le verset du Roi David « Kol haneshama (haneshima) tehalel Kah Halleloukah » « Toute âme (respiration) doit louer Hachem ». L’homme est ainsi invité à prendre la mesure de la grandeur de la vie contenue dans chaque instant de vie, fut-il limité à une respiration.
Chaque respiration de l’homme est le fruit d’un miracle, le témoignage de la confiance d’Hachem dans la capacité de l’homme à faire le bien et cheminer auprès de Lui.
Puisse Hachem nous donner la force de transformer chaque respiration, instant de vie en une louange continue adressée à l’Eternel !