« Il y eut des hommes qui étaient impurs par un cadavre humain et ils ne pouvaient pas faire l’offrande de Pessa’h en ce jour-là. Ils s’approchèrent de Moché et d’Aharon en ce jour-là. Ces hommes lui dirent : "Nous sommes impurs par un cadavre humain, pourquoi serions-nous diminués en n’offrant pas l’offrande d’Hachem en son temps, au sein du peuple d’Israël ? » (Bamidbar 9,6-7)

Rachi explique l’expression « Pourquoi serions-nous diminués » : Ce passage aurait pu être écrit par Moché comme le reste de la Torah, mais ces hommes méritèrent que cela soit dit en leur nom ; on accorde du mérite aux méritants.

La Torah raconte qu’à l’époque du Korban Pessa’h, certaines personnes étaient incapables d’accomplir la Mitsva au bon moment, parce qu’elles s’étaient impurifiées au contact d’un mort. Ces hommes se plaignirent de ne pouvoir accomplir la Mitsva ; ils n’avaient pas choisi d’être impurs. Ils demandèrent une seconde chance pour apporter ce sacrifice. Le Seforno[1] explique leur plainte, sur la base d’une Guémara (Soucca 25a) qui ramène la raison de leur impureté. Un premier avis estime qu’ils avaient porté le cercueil de Yossef à leur sortie d’Égypte. D’après une deuxième opinion, ils avaient rencontré un cadavre abandonné et avaient accompli la Mitsva de l’enterrer. Quoi qu’il en soit, ils ne pouvaient plus apporter le Korban Pessa’h du fait de leur implication dans une Mitsva différente. Le Seforno précise qu’ils n’avaient pas simplement évité d’accomplir une Mitsva en en faisant une autre. Ces hommes sont décrits (par le Sifri) comme des « Bné Adam Kechérim Vé’harédim Al Hamitsvot – des hommes pieux qui faisaient attention aux Mitsvot. Rachi ajoute que ces hommes méritaient une grande récompense et d’ailleurs, la Torah raconte que la Mitsva de Pessa’h Chéni fut ajoutée par leur initiative.

Rav Méïr Rubman[2] demande pourquoi considérer ces individus comme vertueux du simple fait qu’ils se plaignirent de leur incapacité à accomplir une Mitsva. La Guémara (Brakhot 35b) compare différentes générations à propos de l’obligation de Ma'asser. D’après la Halakha, si quelqu’un fait entrer la récolte par la porte de sa maison, il est obligé d’en prélever le Ma'asser. En revanche, s’il la fait entrer par le jardin ou par la porte arrière, il est exempté de prélèvements. Dans les générations précédentes, les gens faisaient tout pour faire entrer leur production par la porte principale, de façon à pouvoir prélever le Ma'asser – même s’il était plus facile de les apporter par le jardin. Par la suite, les hommes se mirent à faire l’inverse ; ils faisaient entrer la récolte par les jardins pour se dispenser du Ma'asser, quand bien même il aurait été plus facile de passer par la porte de la maison.

Rav Rubman explique cette différence intergénérationnelle. Dans les générations plus récentes, les gens craignaient D.ieu et faisaient très attention à ne pas commettre de faute ; ils s’exemptaient de l’obligation pour ne pas risquer de trébucher dans les lois concernant le Ma'asser. Mais auparavant, les hommes étaient à un niveau plus élevé, à un niveau de Ahavat Hachem – amour d’Hachem. En effet, celui qui aime Hachem n’essaie pas de se dispenser d’opportunités de respecter la volonté divine. Au contraire, il cherche tous les moyens pour se lier à Hachem à travers les Mitsvot. Ainsi, par la suite, le niveau de la génération se dégrada, car leur Ahavat Hachem n’était pas assez forte, au point de les motiver à saisir un maximum d’opportunités et à accomplir le plus de Mitsvot possibles.

Cette même Guémara fait une autre comparaison entre les deux générations. Elle affirme qu’avec le temps, les gens considéraient leur travail comme une occupation principale et la Torah comme secondaire, tandis que les générations précédentes faisaient l’inverse ; la Torah était leur occupation principale et leur travail était secondaire – leur objectif principal était dans le domaine spirituel et leur implication dans le monde physique n’était qu’un moyen d’accéder à la spiritualité. Par contre, les générations suivantes eurent pour but principal de réussir dans le domaine matériel et leurs réalisations spirituelles venaient en seconde place.

Ces deux comparaisons semblent aller de pair : lorsque l’objectif principal d’une personne est de réussir dans le domaine physique, elle ne cherchera pas à saisir toutes les opportunités qui se présentent à elle dans le domaine spirituel. Au contraire, elle essaiera de s’acquitter de ses obligations, mais sans plus. Par conséquent, elle s’exemptera volontiers d’obligations spirituelles afin de gagner matériellement. 

En revanche, lorsque le but ultime d’une personne est de grandir dans sa relation avec Hachem, elle saisira toutes les occasions pour ce faire. Elle ne considère pas les Mitsvot comme un joug, mais comme des opportunités d’atteindre son but dans la vie – la proximité avec Hachem.

Revenons aux hommes qui se sont plaints de manquer l’occasion du Korban Pessa’h. Du fait de leur contrariété, on peut les comparer aux générations antérieures évoquées dans la Guémara ; en effet, ils aspiraient à saisir des occasions d’accomplir des Mitsvot et ne cherchaient pas à s’exempter dès que cela était possible.

Ce développement nous permet de tirer une leçon évidente. L’attitude de celui qui veut se dispenser et s’acquitter de son obligation en faisant le minimum est fondamentalement erronée. Les Mitsvot ne sont pas une série d’obligations pesantes qu’il faut surmonter pour réaliser ses « autres » objectifs (tels que la réussite financière). Grâce à ces passages de la Torah et de la Guémara, on peut changer sa perception des choses et tenter d’émuler un peu ces vertueuses personnes qui furent à l’origine de la Mitsva de Pessa’h Chéni.

 

[1] Seforno, Bamidbar 9,7.

[2] Zikhron Méir, cité dans Leka’h Tov Bamidbar, p. 81 à 82.