Maestro du design
En Italie, où que vous soyez, vous êtes proches de la mer.
Lorsque vous traversez la botte dans sa largeur, en un peu plus de 3 heures, vous avez tiré un trait entre les deux plus belles côtes du monde, celle de la Méditerranée et celle de l’Adriatique.
« Et la baie de Rio de Janeiro ??! » me direz-vous...
Peut-être. Mais l’Italie, c’est « boutique ».
Si sa topographie de presqu'île qui s’avance dans les flots est époustouflante (son goût d'esthète s’exprimera d’ailleurs dans le design de meubles, de vêtements, et de carrosserie), sa configuration humaine ne l’est pas moins.
L’Italien est un être jovial, avenant, généreux, accueillant, très rarement arrogant, qui parle une langue qui chante même avant de la mettre en musique. On peut d’ailleurs ajouter à chaque mot (ou presque) une « rallonge » pour en faire un superlatif : gentillissima... buonissima... bravissima... bellissima...
Avec ses « r » qui roulent, ses voyelles qui s’exclament tout haut, on dirait que les Italiens ne sont jamais gênés d’exprimer leurs émotions.
Des êtres foncièrement mauvais ne peuvent pas parler une si belle langue, et une si belle langue ne peut se trouver dans la bouche de personnes viles.
Et pourtant...
L’Italie a connu l’infamie des déportations, et on a du mal à comprendre comment les sympathiques carabinieri ont pu un jour à l’aube frapper aux portes des maisons juives et arrêter des familles entières. Quelque chose « ne colle pas » entre ces visions de terreur et le soleil, la pasta, la bonhomie du peuple ; le décor de ces atrocités ne peut être que celui de terres glacées, sévères, cruelles et obsessivement méthodiques. Mais au pays du vin et de la joie... ???
Qui cherche trouve
Notre histoire commence avant la guerre, en 1930, dans un petit village des Pouilles, San Nicandro Garganico, au sud-est de la Botte, alors qu’un homme, analphabète jusqu'à l’âge adulte, mais doté d’une personnalité appuyée et en recherche constante de vérité, va parvenir aux portes du judaïsme authentique.
Donato Manduzio, c’est le nom de notre héros, va faire un rêve étrange : il y verra un homme portant une lanterne éteinte et lui demandant de l’allumer ; et justement Manduzio tient des allumettes dans sa main. Ce songe sera prémonitoire, car quelque temps après, il recevra d’un voyageur une Bible, dont la lecture provoquera chez cet assoiffé de sens et de spiritualité un véritable choc. Car dans les Pouilles très catholiques d’alors, on ne connaît pas l’"Ancien Testament".
Derrière chaque verset, il trouve ce qu’il cherche depuis toujours : un texte ordonné, cohérent dans ses moindres détails, daté, clair, au travers duquel le Créateur révèle Sa volonté aux hommes. Et Donato, conquis, sentant intuitivement qu’il vient de découvrir le Livre clef de l’Humanité, se met à en parler autour de lui et à faire des adeptes. Le village commencera à servir le D.ieu des Hébreux en toute simplicité, avec les moyens du bord, pensant que le peuple décrit dans ces Textes avait disparu et qu’ils ressuscitaient une tradition ancestrale, qu’on avait cessé de pratiquer depuis des millénaires.
Un marchand ambulant de passage leur révèle qu’il y a encore beaucoup « di questa gente - de ces gens » dans les grandes villes. Tout étonnés, les Sannicandresi arrivent à se mettre en contact avec le Rabbinat italien de Rome, mais ce dernier, d’abord méfiant, pensant à un canular ou à une provocation — qui ose se convertir en une telle période ?! — hésite à donner suite aux lettres de Donato.
Finalement, le Grand Rabbin Sacerdoti, convaincu de leur sincérité, répondra, tentant cependant de les dissuader de faire le pas, ne serait-ce que pour leur épargner les misères des persécutions qui battaient leur plein, alors que Mussolini s’était allié à Hitler.
Vouloir devenir Juif en 1940 !
Ils seront relativement peu inquiétés par le régime fasciste qui les considère plutôt comme des originaux. D’ailleurs, le rabbinat, pour les protéger, leur écrit : « Vous n’êtes pas Juifs, parce que vous n’êtes pas nés Juifs et, d’autre part, votre conversion n’a jamais été faite. » Vexés, ils osent rétorquer : « Bien que nous ne soyons pas nés en Israël, nous opérons selon les lois que l’Éternel a données à Israël. »
Ces hommes ont la nuque raide, comme les Israélites du Livre qu’ils ont adopté, et même si la vérité à laquelle ils aspirent est en ce moment du côté des persécutés, rien ne freine leur élan. Ils attendront, comme le leur conseille le Grand-Rabbin, la libération de Rome, et entreront alors dans l’Alliance d’Avraham, selon la stricte Halakha — loi juive en 1946. Puis, avec la naissance du jeune État hébreu, la majorité d’entre eux quittera le village pour s’installer en Haute Galilée, dans les communautés agricoles religieuses de Alma, Ben Zimra et Byria.
Leurs descendants, complètement intégrés à la société israélienne, s’y trouvent jusqu’à aujourd’hui, pratiquant le judaïsme à la lettre.