Les diverses civilisations cherchent, depuis l’Antiquité, à organiser la société autour des problèmes économiques. L’argent, la possession de la richesse, a toujours été le critère social essentiel, et a été à l’origine de toutes les transformations de la société. La langue hébraïque annonce l’idée dès l’abord du terme : en effet, le mot hébreu pour désigner l’argent est « Kessef » qui vient de la racine « Kassef », qui signifie « désirer ». On sait aussi, bien sûr, que le désir de l’argent est à l’origine de l’une des pulsions essentielles de l’homme. Cependant, la Torah, d’origine divine, règle cette option comme toutes les pulsions naturelles de l’homme. La sainteté du Juif est le but de la création, selon le verset de la 3ème Paracha du Chéma : « Vous ne vous laisserez pas entraîner par vos yeux et par votre cœur qui risquent de vous séduire... afin que vous soyez saints » (Bamidbar 15, 39-40). La vie économique de la société selon la Torah s’inscrit dans ce but de sainteté.
On sait que deux systèmes économiques se partagent, en principe, la vie économique à l’époque actuelle : un système dirigiste, fondé sur le marxisme, selon lequel c’est l’Etat qui dirige l’économie, c’est le système socialiste. La deuxième option est plus libérale : elle permet la libre entreprise de l’individu. Cela a abouti au capitalisme. Ces deux orientations qui ont dominé l’économie mondiale ont traversé des crises. Le socialisme a pratiquement disparu, et le capitalisme a évolué, sous toutes sortes de formes. Actuellement, l’économie mondiale est dominée par une tentative de globalisation qui cause de nombreuses difficultés. La Torah propose une voie intermédiaire, qui allie l’initiative personnelle, c’est-à-dire l’acte libre de l’individu, et l’autorité, provenant de la source divine. Le Rav Elie Munk, dans son livre « Vers l’Harmonie », souligne le caractère idéal et souhaitable de la vie économique dans la perspective de la Torah, en se basant sur l’idée fondamentale de l’harmonie entre l’amour (Midat Ha-Ra’hamim) et la justice (Midat Ha-Din). Aussi bien dans les relations entre salariés et patrons, que dans le caractère attribué à la propriété foncière, le même aspect d’universalité apparaît, puisqu’il est fondé sur la Révélation divine. « L’exercice de la justice et de l’amour forme le contenu de la vie humaine et le fruit de leur réunion est la paix harmonieuse de l’âme individuelle comme de la société… (S’ajoutant à l’amour,) les normes de la justice s’appliquent à l’individu comme à l’Etat, au domaine privé comme au domaine public, à la sphère sociale comme à celle de la politique » (Vers l’Harmonie, p. 119 et 121).
Sommes-nous ici dans le domaine de l’utopie irréalisable ? Comme le résume encore le Rav Munk : « L’amour est le couronnement de l’édifice social dont les fondements sont les normes de la justice intégrale » (Ibid.). Certes, il serait utopique d’arriver à réaliser cette harmonie à l’échelle universelle. Tant de tentations, d’égoïsme, de désir de dépasser autrui, tant d’intérêts individuels comme nationaux interdisent de réaliser une telle économie idéale. Cependant, à l’échelle individuelle, il convient de relever deux exemples positifs qui illustrent ce principe de la Torah, liant l’amour à la justice dans l’organisation de la société. L’institution de la Chémita – jachère de la terre tous les 7 ans –, et du Yovel selon lequel la propriété foncière doit revenir tous les 50 ans à son premier propriétaire, cette disposition légale implique clairement justice, égalité et entente entre les divers partenaires de l’organisation sociale. D’autre part, à un niveau plus communautaire, l’existence de « caisses de prêts » (Gma’him), permettant d’emprunter pour des périodes plus ou moins longues des sommes d’argent, sans intérêts, témoigne également d’un souci d’éviter trop d’inégalités dans la société. Cela permet, en effet, d’éviter les prêts hypothécaires bien souvent dangereux.
Créer une société idéale selon les principes de la Torah n’est assurément pas réalisable dans la société actuelle. Il convient cependant de ne pas oublier le principe évoqué dans les les Maximes des pères : « Rabbi Yossi a dit : ‘Que l’argent de ton prochain soit à tes yeux aussi précieux que le tien' » (2,17). Justice, charité, amour d’autrui doivent être les vecteurs de la parole divine, et contribuer à construire une société harmonieuse. Il ne nous est pas imposé de réussir, mais il importe de ne jamais se laisser séduire par des solutions de facilité qui peuvent nous faire dévier. Le but de la Torah est d’éduquer l’homme dans la voie de la spiritualité. « Rabbi Tarfon disait : ‘Il ne t’appartient pas d’achever le travail, mais tu ne peux pas te dispenser de t’y atteler’ » (Maximes des pères 2, 20).