Tout commence un dimanche matin de septembre, après avoir accompagné les grands garçons à l’école, j’ouvre la porte de la maison accompagnée de mon petit dernier, pour trouver mon mari assis le regard sérieux face à son ordinateur. Il tourne son visage vers moi et me dit qu’il est assez préoccupé par l’annonce météorologique qui vient de secouer la Floride entière : Irma, l’ouragan dévastateur, annoncé comme le plus gros monstre jamais connu, vient directement sur Miami selon la plupart des prévisions…
Je reste un peu stupéfaite d’entendre mon mari si soucieux, car cela fait 12 ans que nous sommes mariés et vivons à Miami, et jamais je ne l’avais vu si dramatique dans son ton à propos d’un ouragan… Il faut dire que le climat de Miami change vraiment de celui de Paris dans lequel nous avons grandi… Un ouragan à Miami est aussi courant qu’une pluie automnale à Paris… En général, nous nous contentons de bien isoler les fenêtres et les portes à l’aide de sacs de sable et de gros scotch, de remplir notre voiture d’essence, de faire la queue dans les supermarchés pour arriver à attraper les 2 derniers gallons d’eau potable, de remplir notre baignoire d’eau et de ressortir notre « kit de survie » du placard composé de lampes torches, batteries, réchaud à gaz, boîtes de conserves (et ouvre-boîtes, car sinon, vous vous retrouveriez dans une situation très frustrante), d’un Siddour, et de livres de Téhilim pour toute la famille…
Mais cette fois-ci, la situation est grave, à entendre le ton de mon mari… Moi qui viens tout juste de terminer une année de travail de développement personnel grâce aux séminaires d’Emma Aiache… je dis d’un air très serein à mon mari : « Ne prononçons même pas le nom de cet ouragan afin de ne pas lui donner de réalité… Hachem, j’en suis sûre, nous épargnera, et il ne se passera rien Bé’ézrat Hachem… ». Mon mari me dit qu’il comprend ma position, mais que, par mesure de sécurité, il va quand même prendre des billets annulables, au cas où… « Après tout, me dit-il, Hachem nous offre aujourd’hui la possibilité de prévenir des catastrophes naturelles et de mettre en sécurité toute notre famille, ce serait dommage de ne pas être prévoyant. » Je regarde mon mari avec admiration face à ce regain de responsabilité, puis vaque tranquillement à mes occupations ménagères en me disant que nous n’aurons qu’à annuler les billets d’avion lorsque nous apprendrons que la route de l’ouragan ne passe finalement pas par chez nous !
Le lendemain et le surlendemain, à l’annonce de l’agressivité de ce monstre appelé Irma, la tension devient palpable dans tout Miami… Mardi matin, alors que je sors de mon cours avec la Rabbanite Koskas, une de mes chères amies Mexicaines m’appelle, car elle vient d’accoucher quelques semaines avant et a peur de rester à Miami dans ces conditions avec un nouveau-né à la maison. Son mari étant au Kollel et elle ne sachant pas comment se servir de l’ordinateur, je passe donc lui donner un petit coup de main pour lui trouver des billets et s’échapper de Miami. En arrivant chez elle, je reçois un message de mon mari qui m’annonce que l’ouragan a touché St Martin et St Barth et que les deux îles sont totalement ravagées, Hachem Yichmor… Cette nouvelle affole un peu plus mon amie, et nous nous mettons donc à la recherche de vols en partance de Miami pour n’importe quelle destination. Et là, surprise… Toutes les destinations sont pleines… Les sites de voyages n’étant pas conçus pour ce genre d’urgence annoncent des prix terrifiants… Et, après trois heures, nous arrivons finalement à trouver des billets pour tous les membres de sa famille avec plusieurs escales. Je remercie Hachem de m’avoir envoyé un mari aussi prévoyant, et lui demande d’aider toutes les familles qui sont en train de tenter d’échapper à ce monstre d’Irma… En sortant un peu tendue de chez mon amie, je me rends compte qu’il est déjà presque l’heure d’aller chercher les enfants à l’école, et que je n’ai plus d’essence dans ma voiture. Je décide donc d’aller à la station la plus proche de chez moi où j’ai l’habitude de me rendre… et, en y arrivant, je découvre une queue de plus de 50 voitures… Etant coupée de l’actualité, je ne m’étais pas rendue compte que la panique avait réellement atteint un tel niveau. L’ouragan annoncé pour le dimanche avait provoqué une panique dès le mardi, et tous étaient déjà dans les starting-blocks, prêts à fuir Irma.
La route pour me rendre à l’école est elle aussi toute encombrée de voitures pleines de valises et de vivres pour une semaine… Je sens le stress monter et prends immédiatement mon livre de Téhilim en demandant à Hachem de nous protéger, ainsi que toute la Floride… Whatsapp ne s’arrête pas d’envoyer des alertes, et, à l’arrêt dans ma voiture, j’apprends que beaucoup de personnes de la communauté ne vont pas pouvoir partir, car certaines sont en train d’accoucher, d’autres sont dans l’incapacité de se déplacer… c’est terrifiant… Je n’avais jamais ressenti ce sentiment auparavant… Je redouble de prières, j’appelle quelques personnes qui installent des protections sur les vitres pour voir si elles peuvent aller aider ceux qui sont bloqués chez eux… et je continue de conduire patiemment dans cette ligne interminable de voitures. Après plus de 1h30, j’arrive enfin devant l’école des garçons… Malgré l’heure tardive, les Rabbanim sont tous devant l’établissement, en train de placer les enfants dans les voitures des mamans qui, comme moi, étaient prises dans les embouteillages. Le Roch Yéchiva nous annonce qu’ils suivront les consignes de sécurité recommandées par le comté de Miami, et que l’école sera fermée dès mercredi soir, Bé’ézrat Hachem.
J’embrasse et je sers fort mes enfants dans mes bras, discute avec eux de ce qu’ils ont pu entendre à propos de la situation, et nous voilà de nouveau dans les embouteillages, les enfants prient chacun de son côté. Mon mari m’envoie un texto pour me dire de préparer les bagages avec assez d’affaires pour au moins une semaine et de réfléchir à toutes les choses de valeur que je souhaiterais mettre à l’abri. Un gentil monsieur est venu nous aider à rentrer tous les meubles d’extérieur et à porter les sacs de sable pour éviter que l’eau ne rentre dans la maison.
Notre maison est à présent totalement prête… J’allume une bougie pour Rabbi ‘Haïm Pinto et demande à Hachem que, par le mérite du Tsaddik, Il fasse que cet ouragan ne fasse aucun dégât humain ni matériel… Je me retourne et vois la bibliothèque presque vide, les enfants ont mis tous les livres en hauteur sur les tables pour éviter qu’ils ne soient mouillés en cas d’inondation…
Je m’assois sur mon canapé et, d’un seul coup, j’ai l’impression que tout se chamboule dans mon esprit… Toutes ces années, nous avons fourni tant d’efforts pour construire un confort matériel, pour permettre à nos enfants d’avoir une bonne éducation dans les meilleures écoles, nous avons parfois eu des controverses avec nos amis, ou avec nos époux qui nous ont blessé, nous avons accordé beaucoup d’importance à pleins de détails, qui aujourd’hui nous semblent tellement futiles.
Je suis assise dans mon salon, et je pense à mes grands-parents zal et à toutes les générations qui ont dû un jour quitter rapidement leur maison, fuir pour sauver leur vie et laisser derrière eux tout ce qu’ils avaient mis des années à construire… Qu’auriez-vous emmené dans votre valise si vous deviez tout quitter ? La Kétouba, quelques objets et livres de familles, un album avec les photos importantes, et quelques petits objets de valeur comme des petits bijoux ou alors de l’argent en petite coupure, au cas où nous aurions besoin de monnayer un passage.
Je suis assise sur le canapé, mon Séfer Téhilim dans les mains, et je me rends compte que je ne quitte finalement pas ma VRAIE maison. Car ma maison n’est pas celle dont nous payons le loyer chaque mois, ce n’est pas celle dont les murs ont été les témoins de nos tables de Chabbath, de nos réjouissances ou de notre quotidien. Non. Ce jour-là, alors que je suis assise sur ce canapé, je me rends compte que ma MAISON, c’est mon mari et mes garçons. Et qu’Irma pourra souffler aussi fort qu’elle voudra, elle ne pourra jamais faire s’envoler ce que nous avons mis 12 ans à bâtir, à la force de nos prières, de nos larmes, et de nos efforts. Les briques de nos maisons ne sont pas faites de béton, mais de toutes nos controverses résolues, de toutes nos joies, de nos peines, de nos angoisses surmontées ensemble, des souvenirs des naissances, des Brit Milot etc. Notre Maison part avec nous pour fuir Irma, et, d’un seul coup, je sens un sentiment d’immense gratitude envers Hachem m’envahir, j’envoie un message à mon mari pour lui dire combien je suis fière de lui et comme je suis heureuse qu’Hachem me l’ait accordé comme époux, Baroukh Hachem…
Le jeudi, après plus de 12 heures d’attente dans un aéroport grouillant de monde, après de nombreux vols annulés faute d’équipage, nous arrivons finalement à New York, où des amis de longue date nous accueillent chaleureusement… Nous passons un Chabbath unique, car nous pensons à tous ceux restés à Miami, et cloîtrés dans le noir derrière les rideaux de fer, n’ayant de contact avec l’extérieur qu’à travers le bruit du vent et des débris contre le métal protecteur.
Une fois l’ouragan passé, nous avons eu Baroukh Hachem de bonnes nouvelles de tous nos proches des 4 coins des États-Unis, et, bien sûr, de bonnes nouvelles de ceux restés à Miami. De nombreux arbres sont à terre, certains endroits ont été touchés par l’eau, et la majorité des foyers sont sans électricité, mais, Baroukh Hachem, on peut vraiment dire que c’est un miracle ! Hachem a dévié la trajectoire d’Irma et nous a épargné, dans Sa grande bonté.
Rien n’arrive jamais par hasard, et, personnellement, cette épreuve de l’ouragan juste avant Roch Hachana a sonné tel un Chofar dans ma vie pour me rappeler que chaque épreuve qu’Hachem nous envoie est là pour nous faire grandir, pour nous aider à nous rapprocher de Lui. Grace à cette épreuve, j’ai pu ressentir de manière évidente que nos vies sont entre les mains d’Hachem, même si dans notre quotidien, nous avons tendance à penser que nous sommes en contrôle, finalement, ce n’est qu’une illusion… et il faut parfois un grand coup de vent pour faire s’envoler le voile qui couvre notre réalité… Je me réveille chaque matin en disant « Moda Ani » avec encore plus de cœur qu’avant, et, cette année, j’ai levé les yeux de mes livres de cuisine avant les fêtes pour poser un regard différent sur l’existence… En voyant La Main d’Hachem toute puissante, je ne peux qu’être prête pour couronner notre Roi Hachem avec encore plus de soumission et de reconnaissance…