Après les festivités de l’Eurovision, après les résultats ambigus mais cependant remarquables de l’« alunissage » manqué, après les succès indéniables de la recherche médicale en Israël, une question essentielle mérite d’être posée. Quelle doit être la vraie mission d’Israël ? Un état de plus au Moyen-Orient, démocratique certes, mais semblable aux diverses nations du monde ? Le cinéma israélien obtient des succès. La littérature moderne israélienne est appréciée par la critique internationale. Tout récemment, une petite-fille de Lévi Eshkol vient de publier un roman, reconnu comme un livre très valable, mais dépourvu d’une dimension spirituelle. Allons-nous vers une nouvelle définition de l’« être » juif ? Avait-il raison, le sociologue Georges Friedman, quand il annonçait et prévoyait la fin du peuple juif ? L’esprit du judaïsme, évoqué par Bernard Henri Lévy, se laïciserait-il ? Toutes ces questions se résument, en fait, en une question fondamentale, mais triste : ne va-t-on pas vers une disparition de la dimension spirituelle du peuple d’Israël ? Une laïcisation déjà ressentie dans l’école juive américaine de littérature au 20ème siècle, approfondie par la concentration du peuple juif dans un Etat juif, certes, mais détaché de la dimension spirituelle, contribue, dans l’esprit du modernisme, à s’écarter d’une foi trimillénaire et à effacer l’assise spirituelle de la tradition juive.
Il semble, pour celui qui se sent attaché aux racines profondes, qu’il faille lutter pour éviter une telle perte de l’essence, une telle « dévitalisation » d’une tradition qui est, d’ailleurs, à la source de la civilisation moderne. Il ne faut certes pas accepter l’idée qu’il s’agit d’un fatalisme, lié à notre époque. Trois philosophes contemporains, d’une envergure exceptionnelle, peuvent être pris en exemple pour illustrer ce phénomène : à partir d’une réflexion essentielle, profonde, philosophique, sur la condition humaine, ils ont, tous les trois, traversé et connu, en profondeur, les données de la philosophie moderne, pour arriver à l’idée que le judaïsme traditionnel, par l’étude du Talmud, seul, pouvait apporter une réponse réelle aux problèmes de l’existence.
Franz Rosenzweig, Emmanuel Levinas et Benny Lévy ont, chacun à leur manière, reconnu que ce n’est qu’en se reliant à une valeur fondamentale, à l’étude de la Torah, que la solution du sens de l’existence était offerte. Le philosophe allemand, Rosenzweig, mort en 1929, avait même envisagé une conversion au christianisme. Mais après une réflexion approfondie, il a changé de direction, et a écrit un livre très puissant, « L’Etoile de la Rédemption », dans lequel il présente les trois dimensions de l’existence : d’abord la source, c’est-à-dire la Création, ensuite la transmission d’une observance, la Révélation de la Loi, et enfin, la sanction, le Royaume, c'est-à-dire le devenir orienté de l’Histoire. Il a compris que ce sont là des points essentiels qui expliquent l’existence. Il retrouvait aussi les trois principes, qui résument les 13 Articles de Foi de Maïmonide : création, révélation et rédemption. Emmanuel Levinas, élève de la philosophe de Husserl et Heidegger, s’est, lui aussi, rattaché à l’étude du Talmud, sous l’influence d’un talmudiste génial d’une ampleur exceptionnelle. Dans ses « Etudes Talmudiques », dans « Difficile Liberté », il explique la profondeur et la vérité des sentences rabbiniques ; il s’est, lui aussi, relié à l’observance. Quant à Benny Lévy, ancien maoïste, un des dirigeants de la révolution des étudiants, en 1968, secrétaire de Jean-Paul Sartre, a dépassé la philosophie existentialiste pour venir à l’étude de la Torah, à Jérusalem, auprès d’un des grands maîtres de Torah, le Rav Moché Chapira.
Trois exemples de penseurs de la modernité qui peuvent être des exemples : ils témoignent, en vue de maintenir et garantir la vraie gloire, éternelle, qui assura la permanence du peuple d’Israël. Au-delà des péripéties de l’instant – qui traduisent les éléments culturels d’une époque, l’éternité du message d’Israël dépend d’un lien direct avec la Torah écrite et l’enseignement oral des ‘Hazal.