Avec sa pipe, sa voix douce, ses temps de réflexion après chaque question, son calme, il ressemble plus à un grand écrivain citant ses sources qu’au savant qui inventa l’arme de destruction absolue.

La caméra de l’ORTF -alors, la télévision nationale française-, lors d’une interview avec lui, zoome sans cesse en gros plan sur ses yeux transparents, ceux d’un poète, d’un rêveur, avec la détermination en plus. Robert Julius Oppenheimer, fils de parents juifs allemands émigrés aux USA à la fin du 19ème siècle, petit génie qui déjà à 11 ans échange épistolairement avec les honorables membre de l'Académie de Minéralogie, est un homme sensible et réfléchi : le père de l’arme nucléaire féru d’hindouisme, parle couramment 3 langues, plus le grec ancien, apprend le sanscrit pour son plaisir, et est un passionné de l’histoire des religions. Ami des arts et de la peinture, c’est l’humaniste par excellence. Quel paradoxe ! Ou quelle ironie du sort, pour l’homme dont l’invention va faire des ravages incommensurables sur la population japonaise, à court, moyen et très long terme. Car les radiations de l’explosion atomique sont radioactives, et même celui qui n'a pas été directement touché ou brûlé, a absorbé les rayons nocifs. Des milliers de japonais développeront des cancers et des maux de tout genre.

On reste interloqué : comment cet homme de conscience a -t -il appuyé sur le bouton de l’inconscience? 

Le complexe du fils de l’émigré

Son engagement professionnel, son patriotisme, sa volonté de servir son pays et de le défendre furent ses phares, mais parallèlement aussi, un piège. Comme tout fils d’émigrant, il porte en lui cette volonté de plaire, de faire du zèle pour la patrie aimée, d’en faire plus, et c’est peut être ce sentiment qui le poussera, dans les moments les plus cruciaux à prendre des décisions que même l’oncle Sam n’aurait pu endosser… Parce que pour lui, « America first » n’est pas seulement un joli slogan. 

C’est son way of live.  

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Oppenheimer est né dans dans un cocon. 

Son père, jeune adolescent arrivé d’Allemagne en 1888 fera fortune à partir de rien dans le domaine du tissu. Il épouse Ella Friedman et la famille va s’installer dans le très huppé et luxueux quartier de Riverside Drive, à Manhattan ; on y engage 3 domestiques à plein temps, un majordome, et pour le décor, un Van Gogh, un Rembrandt et des Picasso sont accrochés au mur, tous vrais, bien évidemment. 

Derrière les yeux clairs de Robert Oppenheimer

Mme Oppenheimer est elle-même peintre, et donne à ses enfants une culture générale riche, les inscrit à une école progressiste,  Ethical Culture Society School, fondée par le juif réformé Felix Adler. L'éthique et la culture dans cet établissement, comme son nom l’indique, a remplacé le judaïsme : place aux sciences, à l'esprit éclairé d’indépendance et d’entreprise. C’est là que le jeune Robert et son frère Frank feront leur classe. Pas besoin de beaucoup d’effort pour s’apercevoir que Robert est un enfant surdoué. Il lit beaucoup, sort peu, et au lieu de jouer, est fasciné par les pierres. C’est un enfant couvé, surprotégé, et il avouera plus tard ne pas avoir été prêt à affronter les difficultés de la vie. Par contre, l’atmosphère ambiante de curiosité intellectuelle, d’ouverture, de discussion philosophique a imprégné Robert en faisant de lui un être excessivement raffiné, d’une immense culture, connaissant à la fois les lettres et les sciences.  M.et Mme Oppenheimer, c’est évident, attendaient de leurs enfants l’excellence. 

La fin de la poudre

La définition d’une bombe est d’être un récipient creux contenant « quelque chose ». De la crème glacée, votre tête quand vous partez à cheval au galop ou un gaz odorant qui s’échappe de l’aérosol de vos commodités. Mais elle peut également contenir une matière explosive destinée lors d’une déflagration, à détruire et à tuer, via la décharge et les éclats métalliques. 

Mais l’arme nucléaire ne possède ni poudre, ni véritablement de matière explosive : on va utiliser une découverte scientifique alors assez récente, datant de 1938, la fission du noyau de l’atome et l’énorme énergie que ce processus entraîne, comme engin de destruction. Oppenheimer et consorts vont réussir à transposer la découverte et en faire une arme redoutable. Bien loin de la vieille canonnière fumante qui, si elle pouvait être fatale, n’irradiait pas après l’explosion, on va utiliser ici l’incroyable puissance qui se dégage de la brisure atomique.

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Oppenheimer, malgré ses sympathies à gauche, sera pressenti à la direction d’un laboratoire expérimental destiné à la nouvelle arme. On y fera venir les plus grands savants des USA, avec femmes et enfants, pour que ces « cerveaux » puissent dans la plus grande discrétion et dans les meilleures conditions confectionner l’arme atomique. 

C’est Oppenheimer qui choisira le site : Los Alamos, Nouveau Mexique, loin de tout, à 54 km de Santa Fe, lieu désertique et idéal pour travailler en paix et en sécurité. Une nouvelle ville poussera en moins d’un an dans ces plaines arides, et deviendra l’infrastructure des recherches atomiques. 

Derrière les yeux clairs de Robert Oppenheimer

Derrière les yeux clairs de Robert Oppenheimer

Oppenheimer avait visité l’endroit dans sa jeunesse et la beauté du lieu l’avait subjugué.  

Patriote jusqu’au bout

Le physicien dirige haut la main ce centre et met au point l’arme totale. Elle n’était pas destinée à tomber sur les japonais, mais plutôt sur les allemands, qui eux aussi couraient après l’atome et avaient découvert ses propriétés dévastatrices. Pour Oppenheimer, le mal c’était Hitler. Mais en mai 1945, l’Allemagne a déjà capitulé: par contre les japonais entrés en guerre en 1941 sont terriblement déterminés à continuer les affrontements, leurs soldats kamikazes étant prêts à tout. Des savants, collègues d’Oppenheimer essayent cependant de le dissuader d’utiliser la bombe sur des civils, et proposent d'«inviter» les japonais à voir concrètement un essai d’explosion nucléaire, pour leur montrer ce qu’ils risquent. Mais le physicien va écouter son coeur: sa patrie saigne abondamment après Pearl Harbour, et il penche pour le clan de ceux qui pensent qu’en envoyant la bombe sur Hiroshima il sauvera la vie de milliers de soldats américains, et qui sait au monde entier !

Oppenheimer tranche 

Le 6 aout 1945 « Little Boy »explose sur Hiroshima, et 3 jours plus tard, le 9, « Fat Man », la deuxième bombe atomique tombe sur Nagasaki. Plus de 200 000 morts en deux tirs. 

La guerre est finie.

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Derrière les yeux clairs de Robert Oppenheimer

Robert Julius Oppenheimer, quel est ce regard ? Toujours aussi profond, mais le bleu de ses yeux est devenu mélancolique, et la détermination a fait place à la résignation. Ce regard est infiniment triste, dans ce visage plus émacié que jamais.

Oppenheimer a été remercié par les américains et démis de son statut. En effet, après qu’il ait servi fidèlement les USA, on lui cherche des poux et on lui reproche ses anciennes sympathies communistes. Mais la vraie raison de sa mise à l'écart est qu'après le lancement de la bombe A et ses catastrophiques conséquences, le savant a refusé de travailler à la préparation de la bombe H, nouveau joujou de l’armement nucléaire américain. Trois milles fois (!!!) plus puissante et plus dévastatrice que la précédente, la bombe à Hydrogène est le nec plus ultra en matière d’anéantissement, et Oppenheimer a refusé de participer aux travaux. Une fois, c’était déjà trop. 

Kennedy le réhabilitera, mais le physicien juif, lui, travaillera désormais au désarmement nucléaire et s’éteindra à Princeton, en 1967. 

H contre A

La bombe A puise son énergie de la fission du noyau nucléaire, et il en faut de la force pour briser ce noyau soudé ; les physicien du CERN à Genève qui ont dû construire un tunnel souterrain de 27 km pour provoquer des collisions  atomiques, peuvent vous en dire quelque chose. La bombe H, elle, tire sa fantastique puissance de la cohésion nucléaire. Et ce processus dégage une énergie autrement plus forte que la scission. Notre soleil, par exemple, brûle sous le modèle de la réunion de molécules d’hydrogène, et maintient ainsi une chaleur de plus de 15 millions de degré celsius en son noyau. On peut déduire de ces ces observations qu’il faut bien plus de force pour réunir que pour séparer. Même les éléments de physique nucléaire répondent à cette loi implacable, reflétant une vérité théologique, philosophique et sociétale: réunir demande énormément d’énergie, mais en fin de compte dégage une force décuplée. Appliquées au relationnel humain, et non au domaine de l'armement, ces conclusions auraient dû nous faire réfléchir …

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Robert Oppenheimer, homme de science, de littérature, de poésie et d’art, qui voulait certainement le bien de son pays et des valeurs que ce dernier représentait, qui croyait en une humanité heureuse et en l'anéantissement du mal, a tout remis en question devant les visions d’enfer d'Hiroshima et de Nagasaki, où des infirmiers venus au secours de la population racontent avoir vu les yeux des victimes fondre sous la chaleur de la radiation. 

Pauvre Robert Julius, ce n’est ni dans l'hindouisme, ni dans les écrits de zoroastre qu’il trouva la réponse au terrible dilemme auquel il fut confronté, à Los Alamos, avant la décision fatidique.  

C’est auprès d’hommes versés dans la sagesse originelle et ayant nettoyé leur être de toutes les scories d'intérêt personnel ou d’orgueil, que Robert Julius aurait reçu les plus sages conseils. Auprès de ceux qui savent mettre sur la balance un menace en face d’une vie humaine, qui savent à la lumières des Textes Saints, peser les actes et leurs conséquences. 

Mais pourquoi aller chercher dans la richesse de son patrimoine les véritables réponses, quand on peut s’égarer sur des terres étrangères.

On ne refait pas le monde, ni les hommes….

Derrière les yeux clairs de Robert Oppenheimer