Il suffit de lire tous les textes liturgiques pour comprendre que chaque génération n’est rien d’autre qu’un passage, ou une transmission d’un message. La première bénédiction de la 'Amida illustre cette idée fondamentale : « Il (le Tout-Puissant) accorde des bienfaits, Se souvient des bienfaits des patriarches… et amène la délivrance à leurs descendants… » Bienfaits du Tout-Puissant, en réponse aux bienfaits des patriarches ; en conséquence, la délivrance aux descendants. Tel est le tableau de l’Histoire, annoncé au début du Chemoné Essré : du Créateur à la créature, du « ‘Hessed » de l’Éternel au « ‘Hessed » des patriarches, et en conséquence, le Salut, c’est-à-dire la rencontre, le lien avec l’Être suprême. Cette lecture implique aussi bien les avatars de l’Histoire que l’aventure personnelle de chaque individu : naissance, croissance, maturité et vieillesse, puis élévation vers la spiritualité. Un tel processus permet de comprendre l’idée exprimée du passage des générations : un pont aujourd’hui entre Hier et Demain. La Révélation divine vient nous dire comment vivre cette période (don de la Torah) pour le peuple sorti d’Égypte, mais aussi pour les nations (lois noa'hides). Vue ainsi, la vieillesse devient un reflet de notre existence, une conclusion à l’objectif de notre passage sur le pont.
Dans les pays sauvages, on agitait les cocotiers pour faire tomber des noix de coco sur les vieux, qui « ne servent plus à rien ». Dans des pays plus civilisés, on rapporte l’histoire de cet individu, qui renvoie de chez lui son vieux père qui dérange dans sa maison. Il lui donne juste une couverture pour le protéger contre les intempéries. Il demande à son fils d’apporter cette couverture à son grand-père, mais celui-ci n’apporte qu’une demi-couverture. Le père demande à son fils : « Pourquoi n’as-tu donné à ton grand-père qu’une demi-couverture ? » Et le petit-fils répond : « J’ai gardé la deuxième moitié pour toi, quand tu seras vieux ! » Mais au-delà de ces réflexions – importantes sans aucun doute puisqu’elles participent d’une morale universelle –, au-delà de cela, la Torah donne un rôle important à la vieillesse.
Ce rôle est, d’abord, inscrit dans le mot lui-même : Zaken est compris en hébreu comme Zé (celui) qui a acquis (Kana) de la sagesse. Au-delà de cet acrostiche, lié au mot lui-même, le « Zaken » a une signification spirituelle dans l’être juif. D’abord, quand Moché et Aharon, en Égypte, voulaient s’adresser au peuple, c’est toujours aux « Zekénim » qu’ils parlent. Cela signifie qu’ils étaient toujours les magistrats du peuple. Quand Yéhochoua veut transmettre la Torah orale qu’il a reçue de Moché, c’est aux « Zekénim » qu’il la transmet. L’image du vieux dans la perspective de la Torah reste toujours celle d’un « maître en Torah ». C’est parce qu’il symbolise le passage du pont évoqué plus haut, c’est-à-dire de la tradition, qu’une telle image émerge. Mais une question se pose : pourtant, le corps vieillit, les forces diminuent, alors y a-t-il un avantage dans cette vieillesse ? Les maladies ne viennent-elles pas toujours – plus ou moins – affaiblir cette belle mission, ternir cet enthousiasme ? Alors, à ce moment-là, se révèle le véritable critère, qui a accompagné notre vie. Une jouissance matérielle, ou un idéal spirituel ? Certes, on ne peut pas généraliser, ni conclure absolument, mais cependant la vieillesse éclaire la véritable orientation de l’existence : est-ce le MOI que l’on a adoré, ou avons-nous servi l’Auteur de la création, et reconnu Son action dans le monde ? Les ‘Hassidim à papillotes qui sont entrés, en chantant, dans les chambres à gaz, et en louant l’Éternel, ont bien signalé le sens de leur vie.
Attention ! il ne s’agit pas d’exalter le sacrifice, de souligner la valeur d’êtres assurément exceptionnels. Ce qui est essentiel, c’est de prendre conscience que l’on n’est jamais indépendant. L’homme qui a refusé de choisir a aussi choisi. Une absence, une abstention est déjà un choix et on n’en est pas toujours conscient. C’est la vieillesse qui nous éveille, et c’est, selon la Torah, le secret de la vie terrestre. Les Sages nous disent : « Reviens (vers l’Éternel) un jour avant ta mort » (Maximes des pères 2,15). Nul ne sait, bien sûr, quel jour il quittera ce monde, mais, appliquée à la vieillesse, elle inclut toute l’existence. La perspective de la Torah ne cesse d’être orientée vers la spiritualité. Pont entre les générations, retour sur le passé, la vie, ici, est un passage vers une Délivrance. Il importe d’être conscient de l’importance du rôle spirituel de ce monde-ci. Les séductions matérielles ne manquent pas, à notre époque plus qu’à toute autre époque de l’Histoire, mais il ne faut pas en oublier l’Auteur. Ce fut la grandeur d’Avraham qui, de la sorte, a conclu une alliance qui garantit la pérennité de l’existence du peuple d’Israël.