On a beaucoup parlé de ce virus antisémite qui, au début du siècle, a eu toutes sortes de couleurs : brun chez les nazis, rouge à gauche, vert chez les musulmans ou chez les écologistes. Il semble qu’il réapparaisse aujourd’hui aux Etats-Unis, si l’on en croit un livre récent paru (Bari Weiss, Que faire face à l’antisémitisme ?). Ce que l’on voudrait analyser ici, c’est moins le phénomène sociologique, bien décrit dans ce livre, qui se cache derrière ce problème, mais plutôt la signification religieuse de cette situation, aussi vieille que l’Histoire. N’oublions pas que dans le Cantique chanté par Moché, les ennemis d’Israël sont mentionnés pour leur peur de voir arriver le peuple juif dans leur pays. Amalek fut le premier peuple à attaquer Israël, avant même leur arrivée au Mont Sinaï. Il s’agit d’empêcher Israël de recevoir la Torah. C’est ce point particulier qu’il importe de souligner et de comprendre dans la perspective de la tradition. L’idée traditionnelle que « Essav hait Yaacov » mérite d’être comprise, dans sa dimension transcendantale. Par-delà les bûchers de l’Inquisition, les pogromes, la Shoah, ou même l’Affaire Dreyfus, par-delà ces évènements significatifs incontestablement, il s’agit de dépasser l’Histoire et de s’intégrer dans un devenir métaphysique. Amalek est l’anti-Israël par principe, mais il a un rôle historique. Pourquoi David Ha-Mélekh, avant de mourir, rappelle qu’il faut punir Shim’i ? C’est parce que Shim’i symbolise le négatif, et qu’il faut supprimer le porteur de la négativité. C’est ce que nous enseignent les ‘Hazal, pour expliquer ces dernières paroles de David (I Rois 2, 9). L’antisémitisme ne cesse de tracer dans l’Histoire la route de la négativité, c’est une constante, à chaque étape.
Les Etats-Unis étaient, a priori, un refuge pour les Juifs d’Europe orientale qui fuyaient les terres de Pologne, de Russie, d’Ukraine. Ils pensaient y trouver un havre protecteur. Ce fut un rêve, et la fusillade de Pittsburgh, dans une synagogue en 2018, qui fit 11 morts, prouva bien l’erreur. Mais ce n’était qu’un élément d’une situation bien plus profonde. Les étudiants juifs, dans les universités, cherchent à camoufler leur identité. On ne persécute pas les Juifs, mais ils ne tiennent pas à être reconnus comme juifs. C’est cet aspect – la gêne dans une société – qui demande à être comprise. Nucingen, le banquier de Balzac, les héros juifs de Romain Rolland, Léon Blum ou Mendès-France, en France, appartiennent à une société officiellement dénuée de préjugés, mais leur identité les a poursuivis. En Amérique, aujourd’hui, le Juif cherche à disparaître dans la foule. Cet aspect – totalement laïcisé – dont Alfred Dreyfus fut victime, par exemple – nous prouve qu’un destin caché, mais profondément ancré dans la société, s’attache au peuple juif, en toute circonstance. Ce n’est plus la religion qui, apparemment, est en question, mais l’intériorité, cachée, et peut-être même ignorée, réapparaît au grand jour, quelle que soit l’époque, la civilisation. Pearl Buck raconte, sans être juive elle-même, dans « Pivoine », les difficultés d’intégration d’une famille juive, dans la société chinoise ! Il s’agit, assurément, d’un problème de base. Le Juif dérange, mais pourquoi ?
C’est ce « pourquoi » qu’il importe de débusquer ! Cet inconscient vit dans le monde, mais d’où provient-il ? Le « pourquoi » et le « d’où » ne sont des questions que pour ceux qui sont étrangers à la réalité fondamentale de l’ETRE juif. Il ne s’agit pas de religion, il s’agit d’un problème essentiel lié à la relation avec l’Absolu. Le CHOIX d’Abraham – du bas vers le haut, comme du haut vers le bas – transcende les siècles, les sociétés, les circonstances, l’Histoire. Le Juif a choisi D., et D. a choisi le peuple. Ce n’est nullement un choix de supériorité, nullement un problème d’excellence. C’est une réalité métaphysique. Les athées refusent d’y croire, les historiens s’acharnent à ne pas le comprendre, mais la réalité exige d’ouvrir les yeux, de ne pas s’aveugler. Le choix d’Abraham, confirmé au Sinaï, est éternel, car il provient de l’Eternel, et il est vérifié en tout temps, et en tout lieu. Il nous implique – bon gré, mal gré – mais nous ne pouvons pas le fuir. Fermer les yeux est possible, mais inutile. Mme Bari Weiss, aujourd’hui aux Etats-Unis, ne fait que constater, que décrire ; on peut se plaindre, refuser, ignorer. L’antisémitisme est là, et il appartient à l’Histoire, et nul ne peut y échapper. Elément de l’Histoire, il restera – camouflé, implicite, officiel ou même refusé – jusqu’à la « Gueoula », la délivrance finale. Alors, une nouvelle Révélation confirmera, résoudra cette énigme, et éclairera l’humanité.