Découvrez la course-poursuite palpitante de Sophie en quête de son héritage, au cœur d'une enquête qui lui fera découvrir la beauté du judaïsme. Suspens, humour et sentiments... à suivre chaque mercredi !
Dans l’épisode précédent : Après avoir retrouvé le tableau de son grand-père Shmulik Grinbaum, Sophie se rend au musée pour le faire authentifier et rencontre Yoël Kissler, un ancien galeriste parisien, prêt à l’aider dans ses recherches. Elle apprend que le tableau a beaucoup de valeur. Sophie décide de rentrer à Paris, pour mener l’enquête.
Yoël Kissler n’y comprenait rien. Il venait d’aider Sophie Grinbaum à authentifier le tableau de son grand-père. Et en prime, il lui avait annoncé que le tableau valait une grosse somme d’argent, ce qui aurait contenté beaucoup, beaucoup de monde. Alors pourquoi cette femme aussi mystérieuse que charmante lui disait qu’elle voulait continuer son enquête sur le vol du tableau ?
“Mme Grinbaum, j’ai peur de ne pas vous suivre. Pourquoi poursuivre votre enquête si vous avez retrouvé le tableau disparu ?
- Mais parce que je suis persuadée qu’il en existe d’autres et qu’il faut les retrouver.
- Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
- Regardez, ce sont les dessins que j’ai trouvés dans la boite de ma tante, accompagnée de cette lettre.”
Sophie elle-même avait du mal à suivre. Pourquoi se confier à cet inconnu ? Ok, il l’avait aidée avec beaucoup de gentillesse mais là, elle était en train de lui montrer des dessins, dont personne ne connaissait l’existence à part sa fille. Qu’est-ce qui faisait qu’elle lui avait fait instantanément confiance ?
Yoël prit tous les dessins et les étala sur une grande table, dans la salle où ils se trouvaient avec les experts. Il les étudia pendant de longues minutes. Sophie, elle n’y comprenait rien à ce qu’il regardait. Ces dessins n’étaient même pas beaux, ils ressemblaient plus à des croquis qu’autre chose.
Après plusieurs minutes, Yoël, d’un ton très sérieux, lui dit : “Je vous crois. Il doit exister d’autres tableaux quelque part.”
Sophie ne sut dire pourquoi elle était si heureuse. Est-ce que c’est parce qu’elle avait vu juste ou parce que l’avis de Yoël comptait pour elle ?
Il fallait reprendre ses esprits et se concentrer sur ses dessins, se sermonna Sophie.
“Qu’est-ce qui vous fait dire ça, juste en regardant ces brouillons ?
- Regardez, ici, c’est le croquis du tableau que vous avez retrouvé, et maintenant regardez attentivement ce qu’il représente : deux mains réunies qui tiennent un boitier de Mézouza et un parchemin. Sur cet autre dessin, on reconnaît clairement deux bougeoirs allumés, face à une fenêtre. Et ici”, Yoël pointa du doigt un autre dessin représentant un livre ouvert face à un parchemin, “c’est clairement un Siddour - un livre de prières - ouvert face à un Séfer Torah. En fait, chacun de ces dessins représente un symbole fort de notre identité juive. Et ils ont tous un lien entre eux. C’est une série de tableaux sur le même thème : “La vie juive au quotidien”.
Et puis, vous m’avez raconté que Shmulik Grinbaum était parti rencontrer le marchand d’art avec tous ses tableaux, et qu’en revenant à Kazimierz, il n’avait plus rien.
- Oui, c’est ce qu’on m’a raconté, confirma Sophie.
- Alors, il n’est pas difficile d’imaginer que Shmulik était à la recherche d’argent pour pouvoir faire fuir sa famille nombreuse et que pour pouvoir obtenir de l’argent liquide, il a pris beaucoup de tableaux avec lui.
- Ce n’est qu’une hypothèse, répondit Sophie pessimiste. Rien ne dit que ce soit effectivement le cas.
- Mme Grinbaum, en tant que galeriste, j’ai toujours été plus attiré par les artistes qui me présentaient des séries de tableaux, plutôt qu’une toile seule. C’est un travail plus ambitieux, plus abouti...En d’autres termes, une plus grande valeur marchande. Et je ne suis pas le seul dans le métier à raisonner comme ça...
- Donc, si je vous suis, les dessins que nous avons sous les yeux auraient été faits par ma tante pour s’en souvenir ?
- Oui, ou pour les décrire plus facilement auprès des gens chez qui elle enquêtait. Attendez, je pense à quelque chose…Mme Grinbaum, remontrez-moi la lettre écrite par votre tante, s’il vous plaît.”
Sophie s’exécuta, impressionnée par la rapidité de réflexion de Yoël. C’était si réconfortant de rencontrer quelqu’un qui prenait sa recherche à coeur.
“Regardez !, s’exclama-t il. Le tampon de la poste indique la date d’envoi de la lettre, juin 1984. Est-ce que la Rabbanite Presburg vous a dit quand Ida était allée la voir à Paris ?
- Euh… je ne sais plus… Attendez.. mais oui ! Elle a dit que c’était au moment de la Brit-Mila de son fils. Une minute, je vais essayer de l’appeler pour lui demander.”
Elle appela Mme Presburg, qui lui confirma qu’Ida lui avait confié le tableau à Paris en août 1982.
“C’est bien ce que je pensais, dit Yoël avec assurance. Ida a écrit cette lettre deux ans après avoir confié le tableau à la Rabbanite, ça veut bien dire qu’elle parlait d’autres tableaux et que si dans la lettre elle accuse directement la personne de vol, ça signifie qu’elle avait trouvé la personne qui était derrière tout ça.
- Ok, donc si Ida avait réussi à remonter jusqu’à cette personne, peut-être qu’en faisant le même parcours que ma tante, je pourrais moi aussi retrouver la trace de ce voleur ?
- Peut-être…” Yoël se mit à jouer avec une de ses Peyot, l’air pensif.
Sophie ne savait pas d’où lui venait cette soudaine confiance. Elle qui avait tellement douté de ses capacités ces dernières années et qui s’était même mise à croire qu’elle était bête à force d’écouter les critiques de son ex-mari. Et voilà que maintenant elle se prenait pour une détective à la recherche de tableaux volés !
“Si j’étais vous, reprit Yoël, sorti de ses réflexions, j’essaierais d’en savoir plus sur le voyage d’Ida Grinbaum à Paris en 1984. Qui a-t elle rencontré ? Où a-t elle trouvé le tableau ?
- Ça fait beaucoup de questions complexes. Là tout de suite, je dois partir, je dois retrouver ma fille, mais je vais réfléchir à cette idée de voyage de la tante Ida.”
Après avoir quitté le musée, Sophie, qui avait donné rendez-vous à sa fille et ses copines au Kotel, décida de s’y rendre directement, plutôt que de se balader en ville, en attendant l’heure du rendez-vous. En quittant le musée, elle avait plus de questions que de réponses. Comment allait-elle retrouver la trace du voyage de sa tante, effectué il y avait près de 40 ans ? Qui pourrait la renseigner ? Et pourquoi cette rencontre avec Yoël Kissler la bouleversait plus qu’elle ne l’aurait dû ?
Elle n’avait cessé de ressasser toutes ces questions, sans pouvoir y apporter un brin de réponse, et sans non plus remarquer qu’elle avait traversé la moitié de la ville en taxi, qui déjà s’approchait de l’entrée du Mur des Lamentations.
Ce ne fut qu’en descendant du taxi qu’elle réalisa où elle se trouvait. Elle avait déjà bien sûr entendu parler du Kotel, mais sans savoir réellement ce qu’il signifiait ni pourquoi on se pressait du monde entier pour venir dans cet endroit. Elle s’arrêta face à l’entrée et réalisa que c’était la première fois de sa vie qu’elle venait ici.
Fébrilement, elle passa le portique de sécurité et s’approcha de l’espace réservé aux femmes. Comme elle était bien en avance sur l’heure du rendez-vous, elle s’assit sur une chaise au fond de la section, bien loin du mur. Elle le contempla silencieusement et observa les femmes assises près d’elle. Une jeune fille se tenait debout, le visage enfoui dans un livre de prières, elle se balançait doucement en murmurant des paroles que Sophie ne pouvait pas entendre. Plus loin, elle vit une femme qui pleurait, assise sur une chaise, les yeux fermés.
“Ces femmes se laissent aller à ouvrir leur cœur”, pensa Sophie. Et si elle faisait pareil ? Elle ne connaissait personne pour la juger.... Alors c’est ce qu’elle fit :
“D.ieu, voilà… Je ne sais pas par où commencer… Jusqu’à mon voyage ici, je n’ai jamais pensé à Toi, mais là, j’ai l’impression que Tu es partout : dans les tableaux, dans les lettres de ma tante, chez la Rabbanite… et ça me fait peur. Oui, j’ai peur D.ieu, j’avoue. J’ai 43 ans, je suis maman, mais j’ai peur au fond de moi, parce que j’ai l’impression que ce n’est pas un voyage comme les autres, comme s’il était écrit à l’avance. Et j’ai l’impression que tout est en train de changer… et je ne sais pas si je suis prête pour ça…”
Sophie ne s’était pas rendue compte, au fur et à mesure qu’elle parlait, elle s’était mise à pleurer. Et elle se livrait comme elle ne l’avait jamais fait, sans comprendre pourquoi cet endroit si particulier lui donnait envie de déverser ses doutes et ses angoisses et d’appeler à l’aide, comme une enfant.
Sophie ne sut dire combien de temps elle était restée assise, mais en quittant le Kotel, elle avait l’intime conviction qu’elle avait été entendue, comme si maintenant les choses devenaient plus claires. Elle essuya ses larmes du revers de sa manche et se dirigea vers l’entrée du musée où Léa était partie avec ses copines.
Les adolescentes étaient déjà là, dans un niveau d’excitation palpable :
“Mamaaaaaaan, c’était le feu ce musée ! On a trop rigolé, il faut que tu le fasses, je viens avec toi si tu veux !
- Super, je suis contente ma chérie”, répondit Sophie, attendrie.
Elle raconta à Léa sa visite au musée, sa découverte des tableaux et sa discussion avec Yoël Kissler. Les jeunes filles écoutaient son récit passionnément.
“Attends, c’est fou ! Alors il y a d’autres tableaux ? Comment tu vas faire pour les retrouver ?
- On va rentrer à Paris et je vais retracer le voyage de tante Ida là-bas.
- Non.
- Comment ça non ?
- Non, maman. Je ne rentre pas à Paris… je reste ici.”
La suite, la semaine prochaine...