Découvrez la course-poursuite palpitante de Sophie en quête de son héritage, au cœur d'une enquête qui lui fera découvrir la beauté du judaïsme. Suspens, humour et sentiments... à suivre chaque mercredi !
Dans l’épisode précédent : En rencontrant Iréna, la cousine de son père, Sophie, accompagnée de sa fille Léa, apprend que son grand-père était un ‘Hassid et un peintre, dont les tableaux ont disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. Grâce à Iréna, elles comprennent que la tante Ida avait décidé de mener l’enquête. Pour en savoir plus, elles décident de retourner à Jérusalem, où une Rabbanite les attend pour leur premier Chabbath...
Revoici Sophie et Léa sur les routes. “Moi qui ne connaissais pas le pays, pense Sophie, je vais bientôt pouvoir éditer un guide des bus d’Israël !”
Léa est occupée à échanger des messages avec sa nouvelle amie Ariella. Ce qui laisse du temps à sa mère pour se repasser mentalement la conversation qu’elle a eue avec la cousine de son père, Iréna.
Ainsi, sa famille descendait des ‘Hassidim polonais. Qui l’aurait cru ? Elle qui ne connaissait rien, en dehors du jour du Grand Pardon. Et dire que son grand-père était un peintre et un ‘Hassid, avec un chapeau et des papillotes près des oreilles, incroyable ! Quel dommage qu’elle ne puisse pas voir ne serait-ce qu’un de ses tableaux, pour avoir un souvenir, comme un contact avec ce grand-père qu’elle ne connaîtrait jamais.
Mais au moins, elle se sentait plus légère. Le fait d’avoir appris une partie de l’histoire de sa mère lui permettait de mieux comprendre ses silences, sa distance, ce qu’elle avait cru comme un manque d’affection. Maintenant qu’elle avait une idée plus précise des épreuves qu’elle avait vécues, elle ne lui en voulait plus. Au contraire, elle se disait qu’une mère qui avait survécu au ghetto, aux camps, à la Shoah, et qui avait réussi à avoir un enfant et à l’élever, méritait son admiration éternelle.
Les embouteillages étaient bien connus des Israéliens. Pas d’autre choix que de prendre son mal en patience. Sophie craignait que Léa ne s’impatiente et fasse une crise, mais non, elle était étrangement calme. En fait, au fur et à-mesure des jours passés dans le pays, Sophie la trouvait changée, plus proche d’elle qu’avant, qu’avant les mauvaises rencontres, les bandes, les cigarettes et l’école buissonnière.
“Tout va bien ? demanda Sophie à sa fille.
- Oui, je réfléchissais à ce qu’a dit la cousine Iréna. Elle qui a passé sa vie à voyager et faire la fête, elle se retrouve âgée et seule dans un hôpital, ça fait grave de la peine.
- Je suis d’accord. On essaiera de repasser la voir, avant de partir.
- Elle a dit un truc qui m’a marquée. Que les Nazis ont gagné la guerre parce qu’on s’est éloigné du judaïsme. C’est fou, jamais je n’y avais pensé.
- C’est vrai, c’est très dur et très fort ce qu’elle a dit.
- Tu te rends compte, on joue leur jeu, à ne rien connaître de notre religion, à ne rien faire. Ça me dégoûte.
- Ne sois pas trop dure avec toi-même. Peut-être que j’aurais dû t’apprendre, mais moi-même je n’ai rien reçu comme éducation juive. Maintenant que je sais ce que mes parents ont vécu, je ne peux pas leur en vouloir. Mais, bon, on va se rattraper ! La Rabbanite nous attend pour notre premier Chabbath.”
Une heure après, arrivées dans le quartier de Bayit Vagan, elles furent frappées par l’atmosphère. C’était un autre paysage que celui de Tel-Aviv, du Kibboutz ou même de la maison de retraite, qui pourtant se trouvait aussi à Jérusalem.
Des hommes marchaient d’un pas pressé, un livre de prières ouvert à la main. Des dames, têtes couvertes, jupes longues, sortaient des magasins, avec une ribambelle d’enfants joyeux à leur suite. Ce quartier ne ressemblait en rien à ce qu’elles avaient connu. Mais étonnamment, au lieu de se sentir étrangères à cette ambiance, toutes deux ressentaient une atmosphère sereine.
L’adresse indiquée se trouvait au début de la rue ‘Ouziel, un petit immeuble à l’allure modeste, mais rempli de charme. Arrivée devant la porte indiquant “Famille Presburg”, Sophie sonna, le cœur battant. Elle ne savait pas trop pourquoi elle se sentait d’un coup émue à l’idée de rencontrer cette femme.
Presque immédiatement, une femme, le visage sillonné de rides, le sourire aux lèvres et une allure semblable à celles des femmes aperçues dans la rue, ouvrit la porte.
“Chalom !, lança-t-elle.
- Bonjour”, bredouilla Sophie, suivie par Léa.
La Rabbanite les accueillit chaleureusement, comme si elles étaient des cousines revenues de voyage ! On se sentait immédiatement bien chez elle et comble de l’attention, une chambre attendait ses invitées, avec des lits faits, un bouquet de fleurs sur une table basse et même des petits mouchoirs parfumés, posés sur la table de nuit.
“Je me doute, dit la Rabbanite, que ce n’est pas si simple de venir chez une famille qu’on ne connait pas, mais je veux que vous sentiez ici comme chez vous !”
C’était trop beau pour être vrai ! Comment une femme qu’elles ne connaissaient pas pouvait donner autant de chaleur en si peu de temps ? C’est sûr que la famille Grinbaum n’était pas habituée à ces marques d’affection.
Sophie ne savait pas trop quoi faire pour se rendre utile et proposa à la Rabbanite Margalite (c’était son prénom) de lui donner un coup de main. Celle-ci accepta et l’envoya acheter les quelques ingrédients qui manquaient pour compléter les plats du Chabbath. Léa l’accompagna.
A quelques rues de l’immeuble, elles tombèrent sur Ariella qui tirait une valise. Sophie crut que c’était une drôle de coïncidence, mais non. Elle venait prêter des tenues à Léa, qui tenait absolument à faire honneur à leur hôtesse. Même si la Rabbanite n’avait fait aucun commentaire sur son jean troué, elle avait très envie justement de vivre cette expérience à fond, en portant une belle jupe longue plissée que Ariella lui avait envoyée en photo. Sophie n’en croyait pas ses yeux. Et dire que des mois de lutte acharnée contre les choix vestimentaires douteux de sa fille n’avaient rien donné !
Mais ce moment de complicité entre les deux jeunes filles était trop mignon pour que Sophie le gâche en livrant sa pensée. Elle se garda de parler et décida de laisser les filles en pleine séance de mode, pour partir à la recherche de la supérette.
Plus elle s’enfonçait dans la rue, plus elle se demandait si l’excuse d’aller acheter des épices n’était pas un motif pour lui faire découvrir cette incroyable atmosphère d’avant Chabbath. Les rues étaient animées et tout le monde se hâtait de faire ses courses, d’acheter des fleurs, de choisir des bouteilles de vin, de faire la queue devant le pâtissier. Comme si une ambiance de fête était palpable, et que chacun se préparait à recevoir ce soir dans sa maison, une personne de grande importance.
Le vendredi soir, Sophie se tint près de la Rabbanite Margalite au moment d’allumer les bougies de Chabbath. Elle se sentait un peu gauche, ne sachant pas trop quoi faire ni quoi dire, mais la Rabbanite la mit tout de suite à l’aise en lui expliquant chacun des mots de la prière et pourquoi c’est une belle Mitsva (une action positive) d’allumer les bougies de Chabbath. C’était tellement beau, que Sophie en avait presque les larmes aux yeux (elle se sentait cruche à s’émouvoir juste parce qu’elle contemplait des bougies, mais c’était plus fort qu’elle).
Léa vint les rejoindre dans le salon et Sophie crut voir une apparition ! elle portait une longue jupe plissée argentée et un joli pull avec de la dentelle assortie. Cette fois-ci, c’était trop dur pour elle de retenir ses larmes. Elle avait devant elle une jeune fille si belle, envolée l’ado rebelle au maquillage ultra-voyant, là, elle était tout simplement élégante. Le repas fut aussi copieux que festif, les rires et les chants fusèrent, pour le plus grand plaisir de Léa qui écoutait le Rav et son fils Yinon chanter en cœur. Cette joie simple de se retrouver ensemble autour d’une table était incroyable pour Sophie. Elle n’avait jamais ressenti autant de chaleur, de bien-être. Et cette fois-ci, elle ne cherchait même plus à trouver une excuse rationnelle, elle savait que D.ieu y était pour quelque chose.
La journée du Chabbath fut le prolongement de cette douce soirée. Aucune conversation futile ou compliquée, que des échanges sympathiques, des repas, des prières. Léa confia à sa mère qu’elle avait eu peur de s’ennuyer, loin de ses messageries pendant 25 heures, mais qu’en fait, elle ne voulait pas que ce moment se termine. Sophie comprenait tellement son sentiment.
L’après-midi passa comme dans un rêve, Léa sortit même à la rencontre de sa nouvelle amie Ariella, accompagnée de Batchéva, la fille de la Rabbanite Margalite, qu’elle avait rencontré la veille, au chevet d’Iréna, à l’hôpital. Ce qui laissa Sophie en tête à tête avec la Rabbanite Margalite, pendant que les hommes étaient partis faire Min'ha, la prière de l’après-midi. Sophie était curieuse d’en apprendre plus sur l’histoire de sa famille.
“Rabbanite Margalite, est-ce que vous avez connu ma famille en Pologne ?
- Sophie voyons, appelez-moi Margalite ! Non, je suis née après la guerre, mais je sais que mes parents ont connu vos grands-parents. Disons que la vie à cette époque était très difficile. Bien avant que la guerre n’éclate en 1939, les Juifs subissaient de nombreuses brimades, quand ce n’était pas les pogroms de la part des Polonais. Alors, quand les Allemands ont commencé à se manifester, mes parents ont décidé de quitter le pays grâce à de la famille en Suisse, mais ils n’ont jamais pu se remettre de cette tragédie. Avec la Shoah, c’est toute leur ville qui avait disparu, tous les gens qu’ils aimaient, qu’ils connaissaient. Je me souviens que dans mon enfance, peut-être pour se raccrocher au passé, mes parents nous parlaient continuellement de Kazimierz et des histoires de la ville.
- Est-ce qu’ils vous ont raconté des histoires sur mon grand-père ?
- Mais bien-sûr ! Ce n’était pas courant à l’époque de croiser un peintre ‘Hassid. Et un artiste talentueux, qui plus est ! Mon père me racontait souvent comment les gens venaient de loin pour acheter des tableaux de Shmulik Grinbaum. Ca le faisait rire, parce qu’il disait que Shmulik ne savait - et ne voulait - peindre que des tableaux qui témoignait de son amour pour Hachem et la Torah. Et ces non-juifs qui venaient et qui étaient prêts à payer pour ça, c’était le comble pour mon père !
- Ma tante Ida, qui vient de décéder, avait commencé à mener l’enquête, persuadée que les tableaux avaient été volés.
- Pardon ?
- Volés. Les tableaux ont été volés. Je vous en dirai plus tout à l’heure, j’entends mon mari et mon fils qui reviennent, il est temps de se mettre à table pour la Sé’ouda Chlichit, reprenons cette conversation après Chabbath.”
Une heure après, il faisait déjà nuit et ce moment suspendu venait de prendre fin. Sophie et Léa ressentaient comme un vide en elles, peut-être de la tristesse à l’idée de se séparer de cette magnifique famille Presburg, mais peut-être aussi parce qu’elles auraient souhaité que leur vie soit comme un grand Chabbath sans fin…
Après le rituel de Havdala, pour séparer le moment sacré du temps de la semaine, la Rabbanite débarrassa la table pour y poser du thé et des gâteaux, tout en lançant une demande en hébreu à son fils, qui immédiatement sortit de l’appartement.
Un peu étonnée par cette scène, Sophie, s’assit autour de la table où, à la demande de sa mère la Rabbanite, Batchéva lui servait un verre de thé.
“Je vous disais Sophie, reprit la Rabbanite Margalite, que les tableaux de votre grand-père ont été volés. La Shoah a fait ressortir le pire chez beaucoup d’hommes qui en ont profité pour confisquer des maisons, bijoux et œuvres d’art aux Juifs. Ce sont des convois entiers chargés à ras-bord qui ont été découverts, tous ces biens arrachés à des familles, parfois dans la violence. Mais pour ton grand-père, d’après ce que je sais, c’était un vol.
- Comment le savez-vous ?, questionna Sophie, à présent impatiente d’en savoir plus.
- Votre tante Ida m’avait contactée au début des années 80, elle était persuadée que les tableaux de votre grand-père existaient toujours. Elle disait avoir vu une photo d’une toile dans un magazine et elle jurait que c’était celle de son père. L’article parlait d’une exposition à Paris. Elle a carrément acheté un billet d’avion - ça coûtait encore très cher à l’époque - et s’est rendue en France. Une fois de retour, elle est venue me voir, plus convaincue que jamais qu’elle avait raison. Mais elle manquait d’indices pour remonter jusqu’au voleur. C’était l’été 1982, je m’en souviens comme si c’était hier, c’était au moment de la Brit-Mila de mon fils Yossef.”
Ces révélations étaient très fortes ! Sophie brûlait de connaître la vérité sur ce vol.
Au même moment, la porte de l’appartement s’ouvrit et Yinon entra, un carton dans les bras. Il déposa le carton au centre de la table et, sans un mot, la Rabbanite se leva, l’ouvrit et tendit un paquet de tissus à Sophie.
“C’est quoi, maman ?”, s’interrogea Léa.
Sophie ne dit rien. Incrédule, elle retira du paquet les couches de tissu qui l’enveloppait.
“Ça alors !” s’écria Léa.
Sa mère ne dit rien. L’émotion avait coupé la parole à Sophie, qui pleurait maintenant sans retenue, en contemplant le précieux paquet qu’elle tenait entre ses mains...
La suite, la semaine prochaine...