Découvrez la course-poursuite palpitante de Sophie en quête de son héritage, au cœur d'une enquête qui lui fera découvrir la beauté du judaïsme. Suspens, humour et sentiments... à suivre chaque mercredi !
Dans l’épisode précédent : Sophie et sa fille Léa se rendent dans un Kibboutz, dans le nord du pays, pour rencontrer les amies d’enfance de la tante Ida. Peut-être qu’elles en sauront plus sur l’étrange lettre retrouvée et cette accusation de vol...
Sophie et Léa étaient en train de visiter le Kibboutz Chefayim, étonnées de découvrir un lieu si fertile, qu’il était impossible de nier l’aide Divine sur cette terre. Mais Sophie, frappée par cette prise de conscience, n’eut pas le temps d’analyser ses pensées que trois vieilles dames s’étaient mises d’un coup à marcher rapidement dans leur direction, en agitant les bras et criant “Bubaleh !” A y regarder de plus près, elles ne marchaient pas vers elle, mais vers Léa !
L’ado rebelle, n’eut même pas le temps de battre en retraite, que déjà des mains se posaient sur elle, pour caresser ses longs cheveux blonds, pincer ses joues, comme si elle était une poupée géante.
"Mais pourquoi elles sont toute excitées comme ça, on les connait même pas ?!
- Est-ce que vous nous connaissez ?, reprit Sophie en polonais.
- Oh oui bien-sûr, on a vu tellement de photos de cette petite, c’est la nièce de notre chère Ida Grinbaum !” C’était la plus grande des trois qui venait de parler, une dame certes très âgée, mais avec des yeux rieurs et de longs cheveux gris nattés.
“Euh...non, ce n’est pas elle. C’est moi sa nièce : je suis Sophie Grinbaum, et voici ma fille Léa.”
Les dames se figèrent toutes en observant Sophie, puis éclatèrent de rire :
“Comme elle te ressemble ta fille, et combien tu ressemblais à Ida quand tu étais jeune. Si tu savais combien de fois ta tante nous a montré des photos de toi. Elle n’arrêtait jamais !
- Elle n’arrêtait jamais de parler, oui ! rajouta une des dames et se mit à rire de plus belle.
- Elle nous manque tu sais !”, déclara la seconde femme, la plus rondelette du groupe.
“Ne restons pas ici, au milieu de la rue, venez prendre le thé avec nous”.
Sophie et Léa se mirent à suivre les vieilles dames, jusque dans une petite maison ancienne, mais chaleureuse.
Sophie n’en revenait pas : retrouver les amies de sa tante s’était révélé d’une facilité déconcertante, elle espérait que trouver l’origine de cette mystérieuse lettre, le serait tout autant.
Léa, n’y comprenait rien. Les très vieilles femmes s’agitaient à servir le thé, poser des gâteaux sur la table et fouiller dans des boîtes de photos, tout en parlant un mélange d’hébreu et de polonais. A cet instant, elle se disait que l’expression “prise de tête” prenait tout son sens !
Entre le trajet depuis Jérusalem, la chaleur du printemps et ces langues inconnues, Léa s’endormit sans même s’en rendre compte.
Léa ne savait pas combien de temps elle avait fermé les yeux, mais elle les rouvrit quand elle sentit le poids de la main de sa mère sur son épaule. Toutes les femmes se taisaient maintenant, le visage baissé, regardant le sol, et sa mère, Sophie, avait les yeux remplis de larmes.
“Qu’est-ce qui se passe maman ? Pourquoi tu pleures ?”
Elle se mit soudain à ressentir une grande peur en voyant les larmes de sa mère. Mais que s’était-il passé pendant qu’elle dormait ?
“Ce n’est rien ma chérie, sourit-elle. J’ai appris à ces dames le décès de tante Ida et nous avons évoqué le passé.
- Mais de quoi avez-vous parlé, pour que tu sois triste comme ça ?
- De la guerre...de la Shoah.
- Tu veux dire que..?
- Oui, ta tante Ida, tout comme ma mère et comme ces femmes assises en face de toi, ont survécu à l’horreur des camps de concentration.”
Léa se redressa d’un bond. Elle ne s’attendait pas à ça. A vrai dire, elle ne savait pas à quoi s’attendre. Mais de là à rencontrer des personnes qui avaient survécu aux Nazis, aux rafles, aux camps...
“Vous voulez dire que ma grand-mère et ma tante Ida ont été déportées ?”
Sophie se mit à traduire les mots de sa filles aux trois dames âgées.
“Oui, c’est exact, répondit la femme à la tresse. Ida, ses parents, ses frères et sa sœur Halina.”
Sophie se tourna vers Léa et ajouta : “C’est ma mère, elle a changé son prénom après la guerre pour Hélène.”
Léa tombait des nues, jusqu’à cet instant elle avait toujours cru que sa grand-mère maternelle s’appelait Hélène Grinbaum.
“C’est là-bas que vous vous êtes connues ? demanda Léa.
- Noooon, on se connaissait depuis l’enfance ! Se mit à rire la grosse dame. Nous avons grandi dans la même ville, à Kazimierz en Pologne. Nous allions dans la même école, dans le quartier juif de la ville, et ensuite nous nous sommes retrouvées dans le ghetto de Cracovie. Après lorsque les Nazis ont commencé à liquider le ghetto, on s’est toutes promis de nous retrouver, alors nous voilà, aujourd’hui on vit même ensemble !
- J’ai du mal à suivre, maman.
- Pendant que tu dormais, ces dames m’ont raconté combien elles étaient proches avec tante Ida et quand elles ont été emmenées dans le ghetto, elles se sont fait la promesse que si elles survivaient à la guerre, elles devaient se retrouver, comme avant. Elles s’étaient donné un point de rencontre et une heure de rendez-vous, chaque semaine. Et c’est comme ça que les quatre, avec tante Ida, se sont finalement retrouvées et ne se sont plus quittées depuis.
- Attends maman, mais si tout le monde était proche… pourquoi mamie Hélène, euh...mamie Halina apparemment, n’est pas restées avec ses amies et est allée vivre en France ?”
Pas besoin de traduction, les femmes avaient compris le sens de la question et se turent immédiatement.
Ce fut au tour de la plus petite des trois de parler :
“On ne peut pas savoir ce qu’il s’est passé dans la tête et dans le coeur de chacun pendant ces années. Chacune a vécu des choses… qu’on ne préfère même pas se rappeler. Ta grand-mère était la plus jeune de toutes les filles de la classe. Ce qu’elle a vu… elle n’en parlait pas. Mais elle ne voulait plus rien entendre du passé après la guerre. C’est pour ça qu’elle est partie seule en France, qu’elle a changé son prénom et laissé ses souvenirs en Pologne. On ne sait pas pourquoi, mais elle a quand-même gardé son nom de famille, le vôtre en fait, elle y tenait, pour une raison inconnue. C’est grâce à ça que Ida l’a retrouvée après des années de recherche. Elle était sa seule famille proche, Ida voulait renouer avec elle, mais toute sa vie, votre grand-mère a gardé ses distances. On ne peut pas la juger”.
L’air dans le petit salon était devenu soudain plus lourd. Le poids du passé, des souvenirs et de la peine, tout ça était palpable. Sophie réalisa que plus personne ne souriait ni ne parlait.
Léa accusait le coup de toutes ces révélations. Le choc de se découvrir petite-fille de rescapée, sa grand-mère qu’elle avait cru connaître, le lourd passé qui venait d’être révélé.
“Ok...mais excusez-moi, ce que je n’arrive pas à comprendre, reprit Léa. C’est… je ne sais pas comment le dire poliment, mais euh… comment vous avez fait pour survivre toutes ? Je veux dire c’était la guerre, quoi ! C’était les Nazis et vous des fillettes juives ! Vous aviez peu de chances de survivre contre eux !”
Sophie marqua l’arrêt. Elle n’était pas sûre de vouloir traduire ça en polonais, de peur de blesser ces dames, mais ne voulait pas non plus trahir sa fille. Elle prit une longue inspiration et leur répéta la phrase du mieux qu’elle put.
Contre toute attente, au lieu de se vexer, les femmes se mirent à sourire, comme si la question de Léa était légitime. Et la dame à la natte se pencha vers Léa et lui dit d’une voix pleine de malice.
“C’est là où tu te trompes, ma petite. Nous avions une arme plus forte que les pistolets de ces sales hommes.
- Ah oui ?
- Nous étions solidaires. Pas seulement entre nous, mais toute la communauté. On s’est serré les coudes comme tu n’as pas idée. C’est ce qu’on nous enseignait à l’école juive, c’est ce que nos parents nous ont transmis de leurs parents. Et si nous sommes en vie aujourd’hui, c’est grâce à cette solidarité qui a une force incroyable.
- Tu sais, reprit l’autre vieille dame. Un jour dans le ghetto, quelques minutes après avoir reçu notre ration journalière, j’ai vu ma mère se priver et donner son morceau de pain à une vieille dame allongée par terre, qui tendait la main. Alors que tout le monde souffrait de la faim et luttait pour survivre, ma mère a préféré se priver et donner son repas à cette dame infirme et mourante. Ce jour-là, elle m’a donné la plus belle leçon de ma vie, elle m’a dit quand nous sommes parties : “Iné Ma Tov Oumana’im, Chevet A’him Gam Yakhad” (“Qu’il est bon, qu’il est doux à des frères de vivre dans une étroite union” Psaumes ch. 133). L’union et la solidarité, c’est ce qui rend notre peuple si fort.
- C’est pour ça qu’après la guerre, quand les camps ont été libérés et qu’on est venu nous trouver à Bergen-Belsen pour nous parler de cette terre où nous allions vivre ensemble et cultiver notre terre et tout partager, nous n’avons pas hésité une seconde.
- Nous vivons dans ce Kibboutz depuis que nous sommes descendues du bateau en 1946 ! Nous sommes même arrivées ici en tant que clandestines !”
Les trois dames se mirent de nouveau à rire, Sophie et cette fois, le regard de Léa s’éclaira, comme si tout faisait sens !
On reprit des gâteaux, du thé noir remplit les tasses et on sortit encore plus de photos des boîtes en carton.
Puis, Sophie se rappela de la raison de leur visite et leur montra la lettre.
Chacune des femmes l’examina avec attention, mais personne n’avait jamais entendu parler d’un vol.
Sophie ne put cacher sa déception. En repliant la lettre, elle s’avoua intérieurement qu’elle espérait éclaircir ce mystère, même si aujourd’hui, elle venait d’en apprendre plus sur sa mère et sa famille, que durant toute une vie à ses côtés.
Elle fit signe à Léa de se lever pour prendre congé et constata que celle-ci était restée pensive et silencieuse depuis un long moment.
Au moment de dire au revoir, la petite dame ronde s’écria :
“Attendez ! Cette lettre a été envoyée en France pendant les années 80, c’est bien ça ? Je me souviens que Ida s’est rendue en France plusieurs fois à cette époque. Et quand elle voyageait à Paris, elle restait toujours dormir chez Iréna, la cousine de ton père, Sophie.
- Mais oui, ajoutèrent les deux autres vieilles dames en chœur. Vous devriez aller la voir et lui poser la question !
- Ah oui ? Iréna...une cousine de mon père ? Elle vit en Israël ?
- Oui, répondit la vieille dame à la natte. Elle a vécu un temps avec nous au Kibboutz quand elle a fait sa ‘Aliya, mais depuis plusieurs années, elle vit à Tel-Aviv. On va vous trouver son adresse.”
Sophie était perplexe. Est-ce qu’un nouveau voyage, tout ça pour tenter de percer un mystère, en valait vraiment la peine ?
Elle se tourna vers Léa et lui fit part de ses doutes. Immédiatement, celle-ci répondit :
“Maman, tu te souviens de la vieille dame de la maison de retraite, qui a dit qu’on doit aider les gens à mettre leurs affaires en ordre avant de quitter ce monde. Alors on a une mission pour tante Ida. Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme une intuition qu’on cherche quelque chose d’important.
- Ok. Alors direction Tel-Aviv.”
La suite, la semaine prochaine...