Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.
Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !
Je suis à l’aéroport à l’endroit réservé aux arrivées. Cela faisait plus six mois que je n’avais pas vu ma famille adoptive, et je dois dire qu’ils m’ont tous drôlement manqué. J’ai l’impression que ma vie parisienne est un lointain souvenir et que mon seul lien du passé reste ma famille et eux.
Lorsque j’aperçois Elnathan et Ruth et le reste de la famille, j’ai envie de sauter de joie, limite courir pour les retrouver, mais je me ressaisis parce que c’est un peu démesuré, comparé à leur démarche tranquille et classe à la fois.
Cela n’empêche pas mon Rav d’avoir le visage autant éclairé que le mien lorsqu’il m’aperçoit. Tout en se faisant une belle accolade, il me dit :
– Alors mon Steeve, comment ça va ? Tu as bonne mine, le soleil d’Israël te va bien. Mais qu’est-ce que je vois ? Tu portes un pantalon ! Noir, qui plus est ! Où sont passés tes éternels jeans qui portent le même nom que l’essence que je mets pour ma voiture ?
– Rassurez-vous, mes Diesels sont toujours là, rangés dans un des tiroirs de ma chambre. C’est seulement que depuis quelque temps j’ai opté, disons, pour un look plus local.
– Attention, tu vas finir par me ressembler !
– A vrai dire, c’est tout ce que je souhaite.
Ruth me dit bonjour à son tour et m’informe que, par son intermédiaire, ma mère m’envoie pleins de choses qu’elle doit me donner :
– Elle est passée hier à la maison, et je peux t’affirmer que tu ne vas pas mourir de faim avec tout ce qu’elle t’a mis. Elle t’embrasse et t’appelle dans l’après-midi.
Les petits me sautent dessus et Perla, comme toujours, se tient en retrait avec sa discrétion légendaire. Elle me regarde et esquisse un timide sourire en ma direction, que je lui rends en retour.
Je charge les bagages, et on prend la route vers la maison de Rav Levy, qui se situe dans le même quartier que la Yéchiva. Sur la route, je fais le fier, car, même si j’ai beaucoup, beaucoup de mal à apprendre l’hébreu, j’ai quand même réussi à passer mon permis, et je peux avec aisance converser avec les israéliens que l’on a croisé.
On arrive à la maison, et les retrouvailles entre frères sont denses. Pour leur laisser un peu d’intimité familiale, et de peur de m’imposer, je décide de les laisser et nous convenons de nous retrouver directement pour l’office du Chabbath à la synagogue.
En attendant, je rentre me préparer avec Aviad, puisque lui aussi est invité pour les repas.
Depuis mon arrivée, nous avons tous les deux des vies un peu parallèles, sauf que lui vient d’une famille de gens très observants. Je sais donc que, depuis quelques semaines déjà, il est en Chiddoukh avec une fille du séminaire d’à côté, et qu’entre eux, cela commence à se préciser. C’est pourquoi, sur le chemin pour aller prier, je ne suis qu’à moitié surpris lorsqu’il me confie que lui et Livnat vont se fiancer ! Je suis très heureux et me fais la réflexion qu’à lui, il ne lui a pas fallu trop longtemps pour être sûr, même s’il me rétorque :
– Tu sais, on n’est jamais sûr de rien. Il faut savoir agir avec réflexion et spontanéité à la fois. C’était important pour moi que ma future femme ait du caractère pour m’aider à savoir dire non dans certains cas, car tu sais bien que j’ai tendance à toujours dire oui et râler ensuite !
Alors, c’est peut-être cela le secret d’un mariage qui a tout pour réussir, choisir une femme complémentaire à soi ? J’en sais rien, faut que je réfléchisse parce que, perso, ce qui m’a plus chez Sim’ha, comme son nom l’indique, c’est sa joie ! Je ne pense pas trop à elle parce que je suis toujours dans l’euphorie des retrouvailles et des bons moments que je vais passer.
Le vendredi soir, c’est de bon coeur que nous sommes tous en train de trinquer pour Aviad en criant : “Mazal Tov ! Mazal Tov ! Lé’haïm ! Beaucoup de bonheur !”, quand, soudain, Elnathan se penche vers moi et me dit spontanément :
– Et toi, Steeve ? Tu en es où ? Mon frère m’en a touché un mot tout à l’heure.
– Oui, il y a un mois, j’ai déjà vu une fille, mais cela n’a pas fonctionné. Et là, je suis censé revoir une autre, qui se prénomme Sim’ha.
À ces mots, j’ai une boule dans la gorge parce que Perla vient juste de s’asseoir près de son père. Elle me regarde, et, là, je sais ! J’ai la certitude que je dois arrêter mon Chiddoukh en cours. Quitte à devoir probablement me casser les dents. J’ai bien conscience que jamais une fille comme Perla ne deviendra ma femme et que je peux rêver pour qu’Elnathan et Ruth deviennent mes beaux-parents un jour. Ce genre de dénouement heureux n’arrive pas dans la vraie vie.
Je trouve que, malgré tout, ce n’est pas très honnête de ma part. Je ne peux pas continuer à voir une fille quand une autre envahit mes pensées. Je vais peut-être le regretter, parce que c’est déjà une grande chance d’avoir le choix de me projeter avec une fille d’un niveau de pratique convenable en sachant d’où je viens, mais c’est mieux comme ça.
D’ailleurs, si je suis souvent mal à l’aise en présence de la fille de mon Rabbin, c’est probablement parce qu’elle m’a connu arrogant, limite voyou, totalement hors contexte de son milieu à elle, et il serait normal et juste qu’elle choisisse un homme qui a toujours baigné dans la Torah. De toute façon, rien qu’avec mon prénom, il est facile de deviner d’où je viens.
– Ouhou, Steeve, tu es là, avec nous ?
– Oui, mais j’y pense Rav, je voudrais… qu’à partir de maintenant, vous m’appeliez Shimon.
– Dites-moi que je rêve ! Mon frère, tu as entendu ça ? D’abord les jeans, ensuite le prénom ! J’ai bien fait de faire ce voyage. Perla, tu es témoin, toi aussi ?
– Oui, je suis témoin papa. Témoin de beaucoup de choses.
Et elle se lève.
Les deux frères se lèvent en ma direction, Aviad me prend par le bras et nous nous mettons tous à danser autour de la table en criant :
– Baroukh Haba Shimon ! Mazal Tov !
Hé bien, si j’avais su, j’aurais sauté le pas plus tôt, mais je n’étais pas encore en mesure de dire au revoir à celui que j’étais. Cependant, soutenu par le regard bienveillant de Perla, j’avais toutes les forces pour enfin lâcher Steeve…
Le samedi soir, après la Havdala, je pris mon courage et partis voir Rav Levy pour lui dire que j’avais beaucoup réfléchi et que je prenais la décision de mettre un terme à mon Chiddoukh en cours. Je me sentis très soulagé, bien que sa réponse me perturba :
– J’avais déjà dit non pour toi, lors de notre dernier entretien à ce sujet.
– Comment ?
– J’avais compris que Sim’ha, bien qu’elle t’ait fait une très bonne impression et qu’elle soit une charmante jeune fille, n’était pas pour toi.
– Je sais que ma décision est étrange, parce que je viens d’un milieu de traditionaliste et que…
– Shimon, stop ! T’ai-je dit à quel point, depuis que tu es arrivé chez nous, je suis fier de toi ?
– Vous dites cela parce que j’ai changé de prénom ?
– Non, parce que tu acceptes enfin qui tu es.
– Et je suis qui ? Rav, vous ne savez pas tout de moi. Des choses mauvaises que j’ai fait dans ma vie. J’ai triché, trompé, insulté mes parents, méprisé mes profs, fait du mal aux filles que je voyais, j’ai perdu mon ami, David, parce que je buvais et faisais n’importe quoi ! COMMENT VOUS POUVEZ ÊTRE FIER DE MOI ?
J’avais tellement mal que j’avais crié involontairement ma dernière phrase.
– Tu as fait Téchouva ! Accepte-le ! Au fond de toi, tu feras tout pour ne pas retomber dans tous ces travers, n’est-ce pas ?
– Je ferai tout pour être un homme bon et racheter mes fautes du passé.
– Depuis deux ans, tu ne fais que ça, mon garçon. Arrête d’être aussi dur avec toi-même et pardonne-toi. Hakol Létova. Je vais te poser une question, Shimon : Entre un homme qui a vécu toute sa vie dans la Torah et un homme qui a connu le monde des plaisirs éphémères et qui revient de loin, à ton avis, qui est le plus méritant ?
– Un homme qui a vécu dans la Torah !
– FAUX ! Tu es beaucoup plus méritant, mets-toi ça dans la tête, car tu as combattu ton Yétser Hara’ (mauvais penchant), alors sois fier. Ne dénigre pas tout le chemin que tu as parcouru pour devenir le Shimon qui se trouve en face de moi ! Si toi, tu ne crois pas en toi-même, moi je crois en toi ! C’est pour ça que demain soir tu as rendez-vous devant le Kotel à 20h précises pour un nouveau Chiddoukh.
– Non Rav, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
– Mon petit doigt me dit que si. Fais-moi confiance et sois à l’heure !
Je sortis chamboulé de ma conversation avec Rav Levy. C’est pour cette raison que, ce soir-là, ne trouvant pas le sommeil, je me levai et allai faire une prière spéciale à Hachem pour Lui dire que je Le remerciais de m’avoir donné une deuxième chance et d’avoir mis sur ma route des gens aussi formidables. Je n’étais pas tranquille concernant ma rencontre du lendemain, mais surtout, je demandai à D.ieu de me donner un signe pour que je sache si Lui m’a pardonné. Je fermai mon livre en disant à voix haute : “Je verrai si Tu acceptes mon pardon en fonction de la fille que je suis censé voir demain, même si je n’y crois pas trop. Et puis, en plus, y avait pas plus discret comme endroit de rendez-vous sérieux ?”
Le lendemain, à 20h précises, en face du Kotel, non seulement j’avais ma réponse, mais j’étais loin d’imaginer ce qui m’attendait.
La suite… mercredi prochain.
(Note de l’auteur : Autant vous dire qu’il me tarde d’y être, limite j’aimerais avoir une machine pour accélérer le temps !)