Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.
Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !
Je suis dans la salle de mon mariage. Depuis que nous sommes arrivés voilà une heure trente maintenant, ma famille et moi-même sommes un peu spectateurs de ce qu’il se passe sous nos yeux. En effet, c’est la première fois pour eux, comme pour moi, que nous allons assister à une cérémonie religieuse version israélienne. Il faut avouer que nous ne connaissons qu’un modèle de mariages traditionnels à la française, et spécifiquement parisien. Il n’est pas rare que les festivités durent plus d’une semaine. Il y a d’abord la mairie, ensuite le Henné, puis la synagogue, et ensuite la soirée en grande pompe.
C’est vrai qu’ici, les choses sont un peu plus simples, et c’est l’une des raisons qui me fait encore plus aimer notre pays. C’est un peu le mariage tout en un. Le mariage religieux avec ‘Houppa fait office de mairie aux yeux de l’état israélien, seule la Kétouba suffit !
Après la cérémonie religieuse, dans la même salle, place à la soirée, et on pourra directement commencer à faire la fête.
Au cours des préparatifs de notre mariage, j’ai pu constater le nombre de fois où ma mère a pris sur elle, en faisant des efforts, limite surhumains, pour ne rien dire. Il était clair qu’elle était loin d’être enchantée de réduire autant « ces purs moments de kiffe », comme elle aime les appeler, mais franchement, il n’y a rien à dire, car elle a joué le jeu jusqu’au bout.
Ce qui m’inquiète le plus, c’est que la semaine dernière, pendant que nous étions en train de récupérer mon costume, elle m’a confié qu’elle avait mis le paquet sur l’unique robe qu’elle allait porter. J’ai franchement commencé à avoir des gouttes de sueurs perlées sur mon front tant cette phrase m’avait fait peur :
– Comment ça tu vas mettre le paquet ? Ça veut dire quoi ? Tu sais que, sur la carte, j’ai précisé à tous nos invités de s’habiller selon les codes de la Halakha, la loi juive. Les bras couverts, la robe après les genoux, pas de dos nu…
– La Halara, la Halara ! J’en peux plus de ce mot, tu n’as que ça à la bouche ! Déjà qu’avec ton père, nous avons beaucoup accepté, en faisant énormément de concessions, tu ne vas pas en plus m’imposer que je me couvre de la tête au pied.
– Pas besoin de couvrir autant. C’est juste que je refuse qu’à mon mariage, notre côté arrive avec des tenues qui vont mettre la famille de Perla mal à l’aise.
– Ecoute-moi bien Steeve Lelouche Shimon, c’est ta mère qui te parle. N’aie jamais honte de nous ! Parce que si tu commences à aller sur ce terrain là, moi aussi je peux commencer ! Tiens, commençons par l’arrivée de la mariée : est-ce que tu te rends compte que ta future femme va rentrer avec sa mère et non avec son père, comme on a l’habitude chez nous ! Excuse-moi, mais c’est choquant !
– Comme TU as l’habitude, nuance maman !
– Et la Meroutzsa ? On en parle de ce machin qui va m’empêcher de profiter avec toi !
– La Mé’hitsa (séparation), maman.
– Oui bon bref, tu m’as compris. Je ne comprends toujours pas pourquoi, ce que cela va changer à ta fête, la façon dont les femmes de notre famille vont s’habiller, puisque l’on va être séparé par une bâche, noire en plus ! En plus, je ne te dis pas combien ton père et moi sommes déçus ! Lui ne va pas pouvoir danser avec sa brue, et moi, je ne pourrai pas ouvrir la soirée avec toi. Il faut que tu comprennes que ça a été très dur pour nous d’accepter que tu nous retires toutes ces traditions auxquelles nous tenons.
– Oui, j’en ai bien conscience, et je m’en excuse, mais maman, lorsque tu seras au tribunal devant Hakadoch Baroukh Hou et que les juges passeront le film de mon mariage, crois-moi que, quand ils verront tous les efforts que vous avez fait pour respecter les lois, par amour pour moi, cela va beaucoup compter dans la balance.
– Encore tu me parles de ce tribunal ! Tu insistes souvent avec ça, mais Steeve, mon chéri, faut vivre un peu. Faut arrêter avec cette pression que vous, les religieux, vous mettez, tout le temps. Il faut kiffer !
Nous sommes interrompus par le vendeur qui me remet mon costume :
– Monsieur Lelouche, votre tenue est prête. Je vous souhaite un grand Mazal Tov ! Tous nos voeux de bonheur pour vous et la future mariée.
– Merci beaucoup.
Et nous quittons la boutique.
La conversation entre ma mère et moi s’était poursuivi pendant plusieurs autres magasins. Je n’essayais même pas de la convaincre de quoi que ce soit. Je m’efforçais juste de lui expliquer qu’il y a différentes façons de vivre sa vie, et que, moi, je ne me sentais vivant qu’à travers la pratique de la Torah. C’est pour ça qu’aujourd’hui, à quelques minutes d’entrer sous la ‘Houppa (dais nuptial), c’est plus qu’heureux que j’attends dans une petite pièce que l’on m’appelle pour m’unir avec ma Perla.
Ma fiancée et moi avions voulu respecter la coutume de ne pas s’appeler ni avoir le moindre contact pendant la semaine qui précède le mariage. Ne pas la voir ni l’entendre a été une torture, ne serait-ce que pour me confier sur ce que je vivais avec ma famille.
Tiens, comme hier, par exemple, quand mes oncles, mes tantes, et mes cousins sont tous arrivés en Israël et que l’on s’est donné rendez-vous dans un restaurant pour passer un moment en famille. J’ai été choqué de découvrir qu’ils m’avaient tous tendus « un piège », car le restaurant n’était pas un restaurant, mais une petite salle où tout le monde était dans le coup. Plus de soixante personnes qui s’étaient déplacées pour faire la fête. J’ai dû y assister malgré moi.
J’aurais aimé raconter à Perla combien l’attention était touchante, mais que je me suis aussi senti trahi, car j’avais dit explicitement à mes parents que je ne voulais pas de fête la veille de mon mariage ! J’avais argumenté que nous avions les Chéva’ Brakhot pour prolonger la fête, mais, apparemment, aucun de mes mots n’a eu assez d’impact ! Alors, pour ne pas les vexer, j’ai souri et me suis assis toute la soirée en attendant que cela se passe.
Mon D.ieu, quelle épreuve difficile de regarder sa propre famille danser les uns avec les autres. Je sais que leur coeur est pur et que leur intention n’était pas mauvaise, cependant, en fin de soirée, j’en avais mal à la mâchoire à force de la serrer et de sourire de temps en temps. C’est bien pour ça que, lorsque je serai avec ma femme, elle m’aidera pour ne plus me retrouver dans ce genre de situations. J’en suis certain !
Ma mère vint me rejoindre, et nous sommes si émus de nous voir. Mes yeux se posent directement vers sa robe, et je ne peux que respirer avec un peu moins d’anxiété, car elle a respecté « le dress code » imposé. Il est clair que les plumes d’oies, la couleur de sa robe rouge criard, et son rouge à lèvre ne sont pas super discrets, mais je la félicite d’avoir, malgré tout, respecté mon mariage. Je sais combien ça a dû lui coûter de le faire. Mon père arrive à son tour, et je suis surpris de le voir aussi ému :
– Mon fils, tu es un homme maintenant ! Je te souhaite d’être aussi heureux que ta mère et moi, et saches que je suis très fier de toi.
– Merci papa.
Ma soeur aussi est venue pour me prendre dans ses bras. Auparavant, je n’avais jamais été très proche d’elle, mais, ces dernières semaines, les choses ont changé. Elle m’a beaucoup aidé à communiquer avec mes parents quand ils montraient de la résistance. Je peux vraiment avouer que c’est grâce à elle si aujourd’hui j’ai réussi à imposer les tables séparées. Autant les danses mixtes, j’étais catégorique, ce n’était même pas envisageable, ni vingt, ni dix, ni cinq minutes. Autant les tables, je n’étais pas aussi sévère. Le problème c’est qu’ils ont senti ma faille et ont tenté d’imposer leur point de vue, et c’est là que ma soeur est intervenue en leur expliquant qu’il fallait que tout le monde soit à l’aise et que les parents de Perla ne le seront pas avec des tables mélangées. Avec sa patience, sa gentillesse et son tact, j’ai découvert que ma Beverly pouvait être aussi ma meilleure amie. Elle défendait mes intérêts dans le seul but de m’aider, n’attendant rien d’autre en retour. Je me rends compte à quel point j’ai été tellement bête de ne pas voir qu’elle avait toujours voulu mon bien par le passé.
Puis, mon petit frère Dylan est rentré à son tour, et, bien qu’âgé de dix ans, cela ne l’a pas empêché de sauter sur mes genoux et de me serrer fort pour me dire que j’étais le plus beau des grands frères !
Soudain, on tape à la porte, et c’est Rav Elnathan qui nous prévient que tout est en place et que c’est l’heure ! Il demande la permission à ma famille de nous laisser juste deux petites minutes seuls tous les deux, car il doit me parler en privé.
Je commence à paniquer et me dire qu’il va jouer le rôle du père protecteur avec une phrase que tous les pères rêvent de prononcer à leur futur-gendre : “Si tu fais de la peine ou du mal à ma fille, tu auras affaire à moi, en personne !”
En attendant que tout le monde sorte, et qu’il ferme la porte derrière eux, je n’en mène pas large :
– Mon cher Steeve, avant que tu n’épouses la Perle de mon coeur, mon bijoux, je voulais te dire à quel point je n’ai jamais été aussi heureux qu’aujourd’hui. Les progrès que tu as fait depuis que tu as poussé la porte de mon cabinet de kinésithérapie sont phénoménaux.
– Ne me parlez plus de cette période, je suis trop gêné.
– Oui, je comprends, mais ne le sois pas trop ! Au contraire, sois fier aussi ! C’est la tête haute que je veux que tu accueille sous la ‘Houppa ma petite fille ! Tu es Shimon désormais, et les Shimon sont humbles et forts à la fois. Saches que je t’aimais déjà dans mon coeur en tant qu’ami, mais, désormais, c’est en tant que fils que j’éprouverai cet amour.
C’est sur ces paroles plus que touchantes que mon Rav m’ouvre la porte et me souhaite un grand Mazal Tov. Je m’élance vers l’allée nuptiale pour accueillir ma future femme…
La suite mercredi prochain…