Dans l’épisode précédent : Shimon et Perla avaient décidé de faire une pause concernant les traitements qu’ils avaient entamé pour les aider à avoir ce fameux bébé qui ne venait pas. Après un concours de circonstances inattendues, ils sont devenus des personnalités qui forcent l’admiration, l’inspiration et le courage. Ensemble, et avec l’aide des parents de Steeve qui est définitivement devenue Shimon, ils ont trouvé les fonds nécessaires pour ouvrir un centre pour accueillir des enfants en situations difficiles.
Trois ans plus tard…
Cela fait plus d’un an que notre centre « Pour le sourire d’un enfant / Mi’hiyoukho Chel Yélèd » a ouvert ses portes sur Tel-Aviv. Celui-ci vient s’ajouter aux trois autres déjà existants. Nous avons eu, tout d’abord, le tout premier à Jérusalem, puis un deuxième a vu le jour sur Netanya, et encore un autre sur Ashdod. Depuis que notre projet a été validé par l’état, nous travaillons étroitement avec différentes assistantes sociales agréées, qui, après enquêtes, nous envoient chaque mois un peu plus de demandes qui nous viennent des quatre coins d’Israël.
Chez nous, nous essayons d’assurer à nos pensionnaires tout le nécessaire dont un enfant n’a normalement pas besoin de se préoccuper : des repas chauds, des habits propres, du soutien scolaire, et le plus important à nos yeux, qu’ils se sentent en confiance et assez à l’aise pour savoir que s’ils ont besoin d’une oreille attentive, ils trouveront toujours quelqu’un de disponible à leur écoute. La chose très importante, qui compte beaucoup à nos yeux, c’est que ces enfants retrouvent une forme de routine et de stabilité, même provisoire, car il en va de leur bien-être, surtout quand ils sont petits.
L’aspect le plus difficile dans ce travail, qui est beaucoup plus que ça, c’est lorsqu’arrive le moment où l’un d’eux doit nous quitter. C’est toujours un réel déchirement, car Perla et moi avons cette fâcheuse tendance à nous attacher très vite à chacun d’entre eux. Dans le meilleur des cas, l’enfant repart chez lui, ou est choisi par une famille d’adoption.
D’ailleurs, je me souviens comme si c’était hier de la veille de l’ouverture du premier centre où il était prévu d’accueillir douze enfants. J’étais si nerveux qu’il m’était difficile de me concentrer sur mes tâches quotidiennes sans être affreusement gauche !
Dès que j’étais rentré de mon voyage à Paris, très vite, Perla et moi avons dû laisser, non sans une pointe dans le cœur, nos jobs de professeurs pour venir à bout de ce projet totalement fou dans lequel nous nous étions lancés. Récupérer les autorisations nécessaires, trouver le lieu idéal, recruter du personnel qui allait accepter d’être payé une misère, n’a pas été de tout repos. Notre rêve méritait toute notre énergie et notre plus grande attention, car les enjeux étaient énormes pour ces enfants !
Nous étions passionnés et n’avions pratiquement plus le temps de penser à autre chose ! Travailler avec ma femme a été aussi un vrai challenge, mais, grâce à D.ieu, nous avions découvert, avec beaucoup de concessions des deux côtés, que nous étions finalement complémentaires.
Ce soir-là, comme beaucoup de soirs, nous nous étions donnés rendez-vous directement au Centre pour vérifier que tout était en place pour le lendemain. Il fallait s’assurer qu’il ne manquerait rien. Bien sûr, nous savions qu’il allait y avoir quelques ajustements à faire au fil de l’eau, mais, globalement, nous étions prêts. Sachant que Perla avait un entretien avec une thérapeute qui se proposait d’être bénévole quelques heures par semaine, je compris qu’elle n’aurait pas le temps de nous préparer à manger. Pour la soulager, j’avais décidé de lui faire une surprise et de nous cuisiner un petit quelque chose.
Pendant que j’étais en train de mettre la table, je me souviens très bien avoir entendu Perla rentrer pour s’effondrer sur le banc en bois fraîchement livré. Elle était toute tremblante et avait le visage blanc. Paniqué, je lâchais les couverts que j’avais en main pour me précipiter vers elle et je lui demandais ce qui n’allait pas :
– C’est à cause de demain, c’est ça ? Si tu es anxieuse, c’est tout à fait normal, c’est la dernière ligne droite. Je suis sûr qu’on va vite prendre nos marques, une fois que l’on va faire connaissance avec les enfants. Tout va bien se…
– Shimon ?
– Oui ?
– C’est arrivé…
– Oui, on y est arrivé ! Tu vas voir, ce n’est que le début. Moi aussi je suis heureux, après tous ces efforts, demain…
– Je… enfin… nous… sommes… enceintes.
Et là, c’est moi qui ai perdu toutes mes couleurs. Ce n’était tout simplement pas possible ! Après cinq ans ! Cinq interminables longues années, dont deux ans de traitements intensifs sans aucun succès. Sans jamais, jamais tomber enceintes, même pas une fois, même pas un jour… et voilà que c’est enfin arrivé !
– Mais comment ?
– Comment ça, comment ?
– Je veux dire, c’est un véritable miracle !
– Oui, car Hachem écoute toutes les prières des enfants d’Israël, c’est juste le délai qui peut parfois être long, mais Lui Seul sait pourquoi ! Je ne voulais rien te dire avant d’être sûre. Je reviens de chez le médecin qui m’a annoncé que je suis enceinte de deux mois.
– Ça veut dire que dans sept mois, nous allons avoir notre bébé !
– Non, pas tout à fait, tu peux même enlever un mois, car nous attendons des jumeaux, Shimon ! Deux bébés ! Le docteur m’a dit qu’en cas de grossesse gémellaire, on ne va pas au bout, pour une histoire de qualité de placenta. Dans six mois, si tout se passe bien, avec l’aide de D.ieu, nous allons être parents.
Alors là, c’était trop ! Je ne savais pas que l’on pouvait ressentir un trop plein de bonheur ! Mon cœur et mes larmes explosèrent de joie et de gratitude envers Hakadoch Baroukh Hou ! Je prenais ma tendre Perla dans mes bras et la faisait tourner dans tous les sens en criant comme un fou :
– TODA LAHEL ! TODA LAHEL !
Perla pleurait et riait en même temps, et puis, d’un coup, elle s’arrêta pour me dire :
– Est-ce que j’ai le droit d’être un peu inquiète !? Entre l’ouverture du centre, ta mère qui va venir s’installer chez nous pour un temps indéterminé, le temps qu’elle trouve un appartement, je suis un peu… un peu déboussolée. Je suis tellement heureuse et surprise à la fois, que j’ai l’impression d’être une couscoussière d’émotion ! Désolée, je n’ai pas trouvé de meilleure métaphore pour exprimer ce que je ressens, là, maintenant. Shimon ? Shimon ? Mais arrête de rire, voyons !
Je ne pouvais pas m’empêcher d’être hilare, en réponse à ce que Perla m’avait dit, mais pas que… car je riais de bonheur, de joie, et de gratitude envers Hachem pour ces merveilleux cadeaux qu’Il nous offrait !
Après cette nuit-là, nous avions gardé la grossesse pour nous, mais, très vite, le ventre de mon épouse commençait à se voir.
Dès que la nouvelle s’est propagée et que les gens l’ont su, certaines réactions de notre entourage nous ont beaucoup surprises. Nous étions loin d’imaginer que notre « souci » d’agrandir la famille avait touché en plein cœur autant de personnes. Combien sont venus nous voir pour nous avouer que nous étions tantôt dans les prières d’untel, tantôt dans la Hafrachat ‘Halla de cette amie, ou encore ma grande sœur, qui n’était pas très observante à l’époque, s’était mise à faire des Téhilim chaque jour pour nous. Mais le plus surprenant venait de notre voisine, avec qui nous n’avions pratiquement pas échangé trois mots depuis que nous avions emménagé, qui était carrément venue sonner à notre porte pour nous dire qu'à chaque fois qu’elle allumait ses bougies de Chabbath, elle priait de toutes ses forces… pour nous !
Et, comme par magie, les rancunes et les maladresses que nous avions ressenties autrefois, ont laissé place à un sentiment d’amour profond envers tous ceux qui, à l’époque, n’arrêtaient pas de nous questionner sur le sujet.
Nous étions tellement loin d’imaginer que tous ces gens avaient prié pour nous. Je m’étais dit qu’au final, Hachem avait dû être harcelé, non pas que par Perla, moi et nos familles, mais par des centaines et des centaines de personnes différentes ! Et ça, mes amis, c’est ce qui fait que nous sommes une grande nation :
Priez pour le bonheur de l’autre, sans rien attendre en retour, à part le savoir heureux !
A quelques semaines de l’accouchement, le centre marchait très bien. Nous étions passés de douze à trente quatre ! Si bien qu’un jour, un journaliste qui avait entendu parler de nous souhaitait réaliser un reportage sur nous. Apparemment, il serait diffusé sur une grande chaîne israélienne.
Au début, j’étais un peu réticent à l’idée qu’une équipe de tournage vienne nous filmer pendant toute une journée. Je ne voulais pas que les enfants en soient perturbés. Cependant, ma maman, qui était depuis le début très investie dans notre projet, nous avait poussés à accepter.
Nous y avions beaucoup réfléchi et avions fini par dire oui. Ce que nous ne savions pas, c’est que le directeur de la chaîne, qui avait lui aussi pris à cœur nos actions, avait mis en place un numéro vert, destiné à récolter des dons, afin que chaque enfant ne manque de rien.
Et ce fut un véritable succès !
Pendant deux semaines, le téléphone n’avait pas cessé de sonner ! Perla, maman, et moi étions submergés d’appels, si bien que j’avais demandé au reste de ma propre famille et de ma belle-famille de venir nous prêter mains fortes. Et c’est grâce au Centre que mon père, ma sœur, et mon frère ont fini, eux aussi, par faire leur Aliyah. Ils en avaient marre de faire sans cesse les allers-retours.
Et puis… nous devenions enfin parents de deux magnifiques petits garçons. L’accouchement s’était très bien passé, et huit jours plus tard, lors de leur Brit-Milot, le cœur rempli de joie et de gratitude, nous les nommions : David-Levy et Elnathan-Its’hak.
Appeler l’un de nos fils David, en mémoire de mon meilleur ami disparu dans ce terrible accident qui lui a coûté la vie, a été comme une évidence. Pour Elnathan-Its’hak aussi, puisque c’était en l’honneur de nos pères respectifs.
Lorsqu’il m’arrive de faire le bilan de celui que j’étais comparé à celui que je suis maintenant, je ne regrette pas le chemin par lequel je suis passé. Bien sûr que pas un jour ne passe sans que je ne demande pardon de toute mon âme à Hachem pour toutes mes ‘Avérot passées et celles que je fais encore. Mais, d’un autre côté, je suis reconnaissant d’avoir été arrogant, colérique, gâté, insolent, et parfois même violent, car mes mauvaises Midot, dues à l’absence de Torah dans ma vie, rongeaient ma Néchama (âme). Tous ces sentiments négatifs que j’avais en moi me servent aujourd’hui d’outil indispensable pour ma vie de famille et mon travail que j’effectue auprès des adolescents.
Le Steeve que j’étais m’aide chaque jour à me mettre à leur place, et c’est là toute la force de la Téchouva, que tout est pour le bien !
Y compris cette attente interminable pour avoir nos enfants, car, quand je me surprends à les regarder, je suis l’homme le plus heureux du monde. Ma richesse profonde est leur sourire, leur bouderie, leur innocence, leur pleur, et même quand il leur arrive d’être en colère contre ma bien-aimée ou moi, je suis heureux, car je connais la valeur de leurs présences dans nos vies. C’est seulement grâce à l’incertitude et l’attente que nous en avons grande conscience.
Si aujourd’hui, grâce à Torah-Box, j’ai raconté mon histoire, c’est qu’à l’âge de cinquante ans et papa de huit merveilleux enfants, dont je précise une autre paire de jumeaux, c’est pour vous dire qu’en chacun d’entre nous, il y a un Shimon qui sommeille, qui n’attend plus qu’à se révéler !
S’entourer des bonnes personnes en est la clef, mais surtout, il ne faut jamais douter de ses propres capacités, car Hachem Lui-même croit en vous et à votre retour vers Lui, qui peut être fait à chaque instant et de tout votre cœur…
Note de l’auteur : je tenais à vous remercier de nous avoir suivis pendant plus de vingt semaines consécutives. C’est un grand honneur pour moi d’avoir été lu et suivi par vous. Que D.ieu vous bénisse, mes amis. (Je me réserve un quart d’heure par jour à être dans la peau d’une grand-mère Séfarade qui distribue des Brakhot à tout celui qui croise mon chemin !)
Je suis très heureuse de vous annoncer que je reviendrai très bientôt avec une nouvelle saga, rien que pour vous. À très bientôt, et encore merci. Kol Touv.