Tous ceux qui ont étudié la Torah connaissent la règle de la vache rousse : les cendres de cette vache versées dans de l’eau, avec un peu d’hysope et de bois de cèdre, rendent cette eau purificatrice. L’eau lustrale, aspergée sur un homme impur pour avoir été en contact avec un mort, rendra cet homme pur. Celui qui aura préparé cette eau, aura brûlé la vache, lui, devient impur – jusqu’au soir. L’eau lustrale purifie l’impur et rend impur le pur ! Y a-t-il une plus grande contradiction essentielle ? La règle de la vache rousse fait partie de ces lois que l’on appelle « ’Houkim » - lois imposées par l’Éternel, dont le Roi Salomon disait qu’il ne les comprenait pas, parce que ces lois participent de l’intelligence divine. Idée fondamentale, et nécessaire pour pouvoir tenter d’analyser le message divin. Le principe est fondamental : ce n’est pas la matière qui purifie, ce n’est pas la matière qui rend impur.
Cette législation nous importe, car elle est à la source de notre relation avec le divin. Une tentative d’expliquer ce problème de façon rationnelle ne peut qu’échouer, car elle est la base de la Torah, et la réflexion du Roi Salomon le prouve. Il ne s’agit pas de dire que le problème de la vache rousse est difficile à comprendre par la sagesse rationnelle, mais ce problème signale le SENS même de la matière : elle est le véhicule de la sagesse divine. Le Maharal de Prague oppose, on le sait, l’intelligence grecque, qui se contente du visible, du concret, du beau – Yaffé, beau, symbolisé par Yéfèt, le fils de Noah, à l’intelligence divine qui voit au-delà, car elle est l’expression de l’Infini, de Celui Qui a précisément créé la matière. Dans ce contexte, le même soubassement peut être positif ou négatif. C’est ainsi que le problème de la vache rousse inclut la portée de la Torah.
En effet, si l’on se contente de la connaissance de l’immédiatement sensible, une perception du réel se trouve limitée, car l’au-delà du réel ne saurait être occulté. Se figer dans une dimension horizontale, sans se lier à un aspect vertical de la réalité, cela ne peut que conduire à un effondrement de l’intelligence rationnelle (qui se traduit aujourd’hui par l’intelligence artificielle), et cela conduit à une perspective qui ne peut mener qu’à l’absurde, qui refuse l’existence d’une Intelligence supérieure. L’ambiguïté de la vache rousse – pure pour les impurs, impure pour les purs – parallèle à l’ambiguïté de l’encens – qui a occasionné la mort de la faction de Kora’h, mais peut, par ailleurs, protéger de la mort, par l’intermédiaire d’Aharon, ou encore l’ambiguïté du serpent qui a pu entraîner la mort ou au contraire sauver ceux qui ont été tués par le serpent – ces 3 ambiguïtés sont l’effet de l’intervention divine. La vie ou la mort sont entre les mains du Tout-Puissant ! Ce n’est pas l’objet, le créé, qui est le sujet de la décision, mais l’Auteur de l’univers. Ainsi faut-il comprendre l’apparente contradiction de la vache rousse : le matériel est, on l’a souligné, le vecteur du spirituel.
La survie du peuple juif s’inscrit dans cette perspective. L’historien Arnold Toynbee explique l’histoire de l’univers par des règles sociologiques ou économiques. Il écrit clairement que l’Histoire du peuple juif ne correspond pas à ses critères : aussi a-t-il été antisémite ! Le peuple d’Israël a reçu la Mitsva de la vache rousse AVANT même d’arriver au Mont Sinaï, car elle est une BASE essentielle de notre foi.
Il va de soi que ce n’est pas la profondeur de l’opposition – dans un même objet, comme cela peut arriver aussi dans un même vocable – ce n’est pas cette contradiction interne que le roi Salomon estimait incompréhensible que l’on essaye ici d’expliquer, car cette contradiction appartient au domaine du mystère de la convergence (ou divergence) fondamentale dans la création entre le POSITIF et le NÉGATIF. Ce qui importe, pour notre propre service divin, c’est de reconnaître que le Tout-Puissant dirige, qu’Il organise, que la matière est entre les mains du Créateur « comme le pot entre les mains du potier, comme le verre entre les mains du verrier, comme de la pâte entre les mains de celui qui la pétrit » (Texte tiré de la Liturgie de Yom Kippour). C’est ainsi qu’il nous incombe de comprendre ce qui dépasse notre vue rationnelle limitée. C’est le mystère de l’Histoire : il y a un Auteur, Qui sait faire la différence entre le lait et la viande, ou entre le pur et l’impur. C’est en reconnaissant cette dimension que le croyant affirme sa FOI. Les lois de l’eau lustrale, de la vache rousse, de la pureté familiale, de la Cacheroute s’inscrivent dans notre lecture de l’évènement, et c’est précisément pour cela qu’elles transcendent l’éphémère, qu’elles assurent la pérennité du peuple, chargé de faire connaître à l’univers ce message de spiritualité. Loin d’exprimer une faiblesse de la raison, une législation médiévale, caduque, elles contribuent à maintenir vivant le message de Celui Qui a dit : « Que le monde soit ! »