« L’histoire que je m’apprête à vous relater s’est déroulée il y a quatre mois.
Nous étions plusieurs familles réunies au Parc Hayarkon avec nos enfants. Les enfants jouaient à l’aire de jeux, les grands au vélo, les femmes bavardaient, et nous, les hommes, préparions un barbecue. Je voudrais préciser, sans rapport avec cette histoire - ou peut-être en rapport avec elle -, que nous sommes tous des laïcs, mais nous avons du respect pour la religion. Nous nous connaissons tous depuis l’enfance, et avons plaisir à sortir parfois en semaine pour un pique-nique.
A côté de nous, un jeune homme religieux jouait avec un très jeune enfant au ballon, nous n’avons pas vraiment fait attention à lui.
A un moment donné, mon ami Tomer alla chercher dans sa voiture, garée dans le parking, des Pitot. Il en revint, tout énervé : « Il y a une moto garée près de la porte, je n’ai pas pu entrer ».
Tomer est le leader naturel de notre groupe. C’est un grand gaillard, musclé, qui perd vite son sang-froid. Il a bon cœur jusqu’à ce qu’on l’énerve, et cette moto, allez savoir pourquoi, l’avait énervé.
« A qui appartient la moto ? », s’écria Tomer, comme si quelqu’un parmi les milliers de visiteurs du parc l’entendait.
Mais, à notre grande surprise, le jeune homme fluet avec l’enfant lui répondit : « Tu parles d’une moto de Hatsala (premiers secours) ? »
- Oui, avec un grand coffre à l’arrière, rouge et blanc, pourquoi, c’est à toi ?
- Oui, c’est à moi.
- Alors, dégage et vire-la de là de suite, dit Tomer.
Le jeune homme lui répondit alors : « Pourquoi parler comme ça, parle gentiment ! »
« Parler gentiment, t’as dit ? Je vais te casser la tête, plus besoin de parler ! Dégage ta moto avant que je ne m’en prenne à toi. »
Le jeune homme le regarda, il avait l’air blessé. « Tu aurais voulu qu’on te parle comme ça à côté de ton enfant ? », demanda-t-il.
Tomer s’approcha de lui arborant un air menaçant. Il voulait vraiment le frapper. Là, nous l’avons arrêté et avons demandé au jeune homme : « Laisse tomber, déplace juste la moto et c’est tout. Ne t’embrouille pas avec lui. »
En vérité, je n’ai pas soutenu la position de Tomer, et je pense que mes amis non plus. Mais c’était notre ami, contrairement au jeune homme, et selon nos codes, cela suffisait pour soutenir Tomer. Et le jeune homme ? Il ne nous intéressait pas du tout.
Le jeune homme prit son fils et partit, complètement humilié. Le silence régna entre nous. Ce silence criait tout ce que chacun d’entre nous pensions silencieusement. Pourquoi devait-il l’humilier comme ça ? En vérité, il aurait pu prendre les Pitot par l’autre côté de la voiture, pourquoi était-il si urgent de déranger le jeune homme ? Mais, comme je l’ai déjà expliqué, tout ceci resta du non-dit. Nous n’avons rien dit à Tomer, mais nous nous sommes sentis coupables d’avoir contribué à cette scène humiliante.
Le jeune homme revint quelques instants après et continua à jouer avec son fils.
Ce qui se passa quelques minutes plus tard fut un véritable coup de théâtre.
***
Nous avons soudain entendu un cri : « ‘Haguit est tombée de l’échelle. »
‘Haguit, six ans, est la fille de Tomer, elle jouait avec les autres enfants sur l’échelle de corde et est tombée du haut de l’échelle, et tous les enfants se sont mis à hurler : quelque chose lui est arrivé. Nous accourûmes là-bas comme des fous. ‘Haguit était allongée sur le sable. Entièrement bleue. On voyait qu’elle ne respirait pas.
Tomer s’approcha et commença à hurler : « ‘Haguit, ‘Haguit, réveille-toi. Au secours, à l’aide ! Appelez une ambulance ! », ses cris résonnaient dans tout le parc.
Soudain, le jeune homme apparut à mes côtés, il déposa son enfant à côté de moi. « Surveille-le, je vais aider la petite. » Et avant de pouvoir répondre, il disparut en courant à toute allure.
Il m’est difficile de décrire les instants suivants. Il y avait là des dizaines de personnes qui assistaient à une scène affreuse sans pouvoir agir. Je ne peux pas décrire ce sentiment d’impuissance, c’est impossible.
Et, au milieu de ce chaos, nous entendons la sirène d’une ambulance. Nous n’avons pas compris comment une ambulance était arrivée avant même que quelqu’un ne l’appelle. Nous avons de suite eu la réponse. La sirène provenait de la moto rouge portant un grand coffre à l’arrière… sur cette moto étaient inscrits les termes « Yi’houd Hatsala ».
Le jeune secouriste en descendit à toute vitesse, ouvrit avec ses mains expertes le coffre, en sortit quelques objets et se dirigea vers la petite fille.
C’était tellement étrange. Tomer, le gaillard robuste et fort, tremblait comme une petite fille, et le jeune homme délicat se transforma en un instant en commandant qui maîtrisait les événements. Il lançait des instructions à ceux qui l’entouraient : « Tiens ça, donne-moi ça, cours vers la moto et apporte-moi le sachet bleu, maintenant déchire-le délicatement… ». En parallèle, il parlait dans son talkie-walkie : « Faites venir une ambulance. Chute à la tête. Perte de connaissance. »
Nous l’avons observé comme un ange et un sauveteur. Il opérait de sang-froid et avec expertise, et, au bout d’une minute, ‘Haguit qui était allongée jusque-là sans connaissance, commença à bouger et à tousser.
Il avait réussi à la ranimer.
Les femmes pleuraient et criaient, et nous aussi, les hommes, nous pleurions. Le jeune homme était concentré. Il continuait à surveiller la petite fille et à parler avec le centre d’appels.
Au bout de quelques minutes qui nous semblèrent une éternité, une civière arriva. Un secouriste et deux autres hommes transportèrent la fillette dans l’ambulance. Tomer s’approcha du jeune homme et lui dit : « Pardon, je… je suis désolé », et pleura sans discontinuer. Le jeune homme lui répondit : « On n’a pas le temps, monte dans l’ambulance, tout se passera bien ».
Et l’ambulance disparut dans un hurlement de sirène.
***
Nous nous sommes tous approchés de lui. Nous l’avons pris dans les bras, l’avons embrassé et demandé pardon. Je ne peux pas décrire cette scène. Le jeune homme s’est presque rétracté, étouffé par la quantité des accolades et des baisers qu’il recevait.
Nous étions émus, nous avons compris qu’un événement rare avait eu lieu. Nous lui avons demandé son numéro de téléphone en lui précisant que nous allions garder contact.
Nous sommes allés à l’hôpital. L’enfant n’était plus en danger. Tomer était brisé et malheureux. Il avait tellement honte de sa conduite vis-à-vis de l’homme qui avait sauvé sa fille.
Le lendemain, il lui téléphona. Il lui demanda pardon en pleurs et déclara : « J’aimerais te compenser avec de l’argent », mais le jeune homme l’apaisa et répondit : « C’est bon, je te pardonne ».
En parallèle, il tenta de minimiser son rôle dans l’événement. « Nous, à Yi’houd Hatsala, faisons chaque semaine ces gestes-là. C’est notre salaire. Que D.ieu préserve, je ne prendrai pas un centime. »
Tomer le pressa, mais il répondit : « Si tu veux, tu peux faire un don à Yi’houd Hatsala, je ne prendrai pas un centime de toi. »
‘Haguit sortit de l’hôpital au bout de trois jours, mais Tomer n’était pas apaisé. Il était troublé. Il nous annonça qu’il voulait organiser une grande « Messibat Hodaya », une fête de remerciement, et convier le jeune homme à être invité d’honneur.
Il fixa une date une semaine plus tard, un Motsaé Chabbath, et demanda au jeune homme de venir. Il lui promit de faire un don à Yi’houd Hatsala en signe de reconnaissance. Le jeune homme accepta.
L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais aucun d’entre nous ne pouvait s’imaginer la fin de cette histoire, et je te suggère, ainsi qu’à tes lecteurs, de t’assoir pour lire la suite.
***
Le jeudi, veille du 23 Iyar, deux jours avant la fête prévue, à 3h du matin, le jeune Efi Gadassi, fut appelé pour une urgence médicale. En route, rue Ménaché Ben Israël, à Jérusalem, un chauffeur de taxi fonça violemment sur lui. Efi mourut sur le coup.
Vous avez certainement entendu parler d’Efi Gadassi, bénévole chez Yi’houd Hatsala, tué il y a quatre mois.
C’est l’homme qui a sauvé ‘Haguit.
Nous avions honte, et notre vie en fut transformée.
Nous avons tous participé à son enterrement.
Nous avons pleuré comme des petits enfants. Nous soutenions Tomer qui était à deux doigts de s’évanouir. Impossible de décrire son désarroi et son sentiment de culpabilité. Nous l’avons apaisé en lui rappelant qu’il avait demandé pardon à Efi et qu’il lui avait pardonné, mais il avait l’impression qu’une partie de son cœur s’était brisée.
Nous nous sommes renforcés, et Tomer, plus que nous tous. Il se mit à porter une grande Kippa, à faire les prières, à respecter intégralement le Chabbath. Et le tout, pour le mérite et à la mémoire d’Efi.
Tomer organisa une collecte parmi tous ses amis pour acheter une moto d’Yi’houd Hatsala, et cette moto sera transmise dans un mois à l’association.
C’est l’histoire d’Efi Gadassi zal, l’un des centaines de bénévoles d’Yi’houd Hatsala qui accomplissent une mission sacrée sans attendre de récompense en retour. Comme l’atteste notre cas, cette mission sacrée s’effectue au prix d’un inconfort, d’un manque de sommeil, voire de blessures et d’un manque de respect. »
Que cette histoire et son message soient portés au souvenir du dévoué bénévole Efi Gadassi zal.