J’ai rencontré pour la première fois Yossef Herter, un Juif ‘hassidique de Brooklyn, à un week-end organisé l’été dernier. Nous nous liâmes d’amitié pendant Chabbath, au cours duquel nous échangeâmes de nombreux Divré Torah et histoires.
Je n’entendis pas parler de lui pendant des mois, puis en novembre dernier, il me surprit avec un appel téléphonique inoubliable. Yossef me relata qu’il était mêlé à une histoire épique, et sachant que la plupart des gens seraient en désaccord avec ses actions, il était fermement convaincu qu’il se devait d’agir comme il s’apprêtait à le faire.
« C’est surtout vrai, me dit-il, alors que le premier Yahrzeit (anniversaire de deuil) de mon père approche et je veux agir correctement, pour offrir un mérite à sa Néchama, son âme. »
La plupart des lecteurs auront du mal à croire l’histoire suivante.
Yossef est un agent d’assurance qui travaille pour Montana Life depuis plus de vingt ans. En 2015, il vendit deux polices d’assurance vie qui furent restituées à la fin de la première année d’assurance. Mais en août 2016, Montana Life lui envoya une commission d’un montant de 49,668.31 dollars. Yossef jugea qu’il s’agissait d’une erreur et il téléphona à la société.
Ils lui assurèrent qu’il méritait la commission et qu’il devait garder l’argent. Il n’était pas convaincu ; le lendemain, il demanda à son comptable d’appeler Montana Life pour leur expliquer les réserves de M. Herter à accepter cet argent, estimant qu’il s’agissait d’une erreur. La société répondit qu’il faisait erreur et que l’argent lui appartenait.
De manière remarquable, un an plus tard, en août 2017, Montana Life lui envoya une autre commission pour ces mêmes polices tombées en déchéance. Il reçut la même somme : 49,668.31 dollars. Il avait reçu la somme astronomique totale de 99,336.62 dollars. Il contacta à nouveau le personnel de la société qui lui assura que l’argent lui était bien destiné.
En août 2018, il reçut une lettre de Montana Life qui l’ébranla. En voici le contenu : « Nous réalisons à présent que les deux paiements de commission de 49,668.31 dollars vous ont été versés par erreur. Nous vous demandons de restituer la totalité des 99,336.62 dollars. »
Le 30 août, Yossef téléphona à M. Thomas Hanley, directeur des opérations à Montana Life et lui expliqua qu’ils pouvaient vérifier les conversations enregistrées des deux appels téléphoniques qu’il avait faits, lui et son comptable à Montana Life en 2016, qui montraient qu’il hésitait à garder l’argent, pensant qu’ils faisaient erreur de lui donner. Mais Montana Life, au moment des appels, avait insisté pour qu’il garde ces sommes.
Au cours des deux mois suivants, Yossef attendit une réponse. Le vendredi 9 novembre 2018, il eut des nouvelles de la société d’assurance, qui écrivit qu’au vu de leur erreur, il pouvait garder 49,668.31 dollars et restituer la seconde moitié. Yossef téléphona à son ami, M. Ira Lipsius, un avocat renommé et expert en assurance, qui lui expliqua que légalement, Montana Life était en position fragile pour insister afin de recevoir un remboursement, et en conséquence, s’il le souhaitait, il pourrait négocier un meilleur accord.
Mais pour Yossef, le timing était très particulier. Deux jours plus tard, le 11 novembre, était le jour où il devait cesser de réciter le Kaddich pour son père défunt. C’est à ce moment-là que Yossef me téléphona et me dit : « Pendant 11 mois, j’ai dit Yitgadal Véyitkadach Chemé Rabba (Que Son Grand Nom soit exalté et sanctifié) - je dois maintenant le réaliser concrètement. Je vais restituer la somme totale et je voudrais que tu m’écrives une lettre qui accompagne le chèque. »
« Je veux faire un Kiddouch Hachem, une sanctification du Nom », s’exclama-t-il avec emphase. « Je veux qu’ils sachent qu’un Juif est honnête et qu’il ne garde pas un centime qui ne lui appartient pas, et j’ai besoin d’insister sur ce point dans la lettre. »
Bien qu’impressionné par son intégrité, je protestai : « Mais ils te permettent d’en garder la moitié ! Pourquoi ne pas le donner à diverses causes et aux personnes démunies, comme mérite pour ton père ? De cette manière, tu ne gardes pas l’argent pour toi, et simultanément, un grand nombre de personnes en bénéficient. Je ne te demande pas de faire quoi que ce soit contre la loi ou la Halakha. Ils te donnent cet argent de leur propre gré. »
Mais Rav Yossef, avec le soutien et les encouragements de son épouse Rivka, ne voulait pas en entendre parler. Il prit conseil auprès de son Rav, Rav Avraham Hersh Wosner de la communauté Satmar de Monsey qui lui expliqua que puisque la société réclamait uniquement la moitié de l’argent, il n’était pas obligé de restituer plus que ce qu’ils exigeaient. Mais il y avait là une extraordinaire opportunité de réaliser un Kiddouch Hachem, en payant la somme totale des $99,336.62 dollars, sachant que la société savait que cette somme lui avait été versée par erreur.
Rav Wosner cita le célèbre avis du Bééer Hagola dans ‘Hochen Michpat, qu’il avait souvent entendu cité par son défunt grand-père, l’illustre décisionnaire Rav Chemouël Wosner, lorsqu’il conseillait les Juifs en matière d’honnêteté dans les affaires : « J’écris ceci pour les futures générations…Un grand nombre d’hommes ont sanctifié le Nom de Hachem et ont restitué (des fonds) là où des non-Juifs se sont trompés sur d’importantes sommes d’argent, leurs affaires ont prospéré, ils se sont enrichis et ont réussi, et ont laissé des sommes importantes à leurs descendants. »
Le Rav soulignait l’importance d’une lettre d’accompagnement qui mette en lumière l’honnêteté et l’intégrité en jeu dans cette prise de décision.
Et c’est exactement ce qu’il fit…enfin presque. Je conduisis Rav Yossef chez un éminent Talmid ‘Hakham, qui lui recommanda de se rendre en personne pour restituer les fonds au directeur des opérations. Le Rav dit : « Qu’ils voient un Juif ‘hassidique qui est scrupuleux jusqu’au centime. Cela produira réellement un grand Kiddouch Hachem. »
Rav Yossef fixa un rendez-vous, voyagea pendant plus de trois heures jusqu’au bureau de Montana Life et remit en personne le chèque et la lettre à M. Thomas Hanley, directeur des opérations. Il expliqua la nature de sa visite et M. Hanley fut sidéré. Rien de pareil n’était jamais arrivé à Montana Life. Les deux hommes, le ‘Hassid de Brooklyn et le chef d’entreprise de Montana Life, discutèrent amicalement pendant une demi-heure.
Deux semaines plus tard, Rav Yossef reçut une magnifique lettre du conseiller en chef des opérations, Donald Vinten, qui contenait les phrases suivantes :
« Pour moi, c’est un type de lettre qu’on reçoit une seule fois dans la carrière, réalisant le type de professionnalisme et d’intégrité dont nous avons si désespérément besoin dans notre profession, notre culture, nos quartiers et familles…Je voudrais saisir cette occasion pour souligner les caractéristiques remarquables que vous possédez, et vous exprimer à quel point la lecture de votre lettre m’a ému et m’a donné un sentiment de fierté…Merci encore pour l’inspiration que vous nous avez communiquée par votre décision et votre lettre…Vous avez fixé la barre très haut pour les autres qui suivront votre exemple et montré le pouvoir de l’honnêteté et de l’intégrité dans notre société. »
Le fait que ces propos aient été écrits par le chef des opérations de l’une des 500 premières sociétés au classement du magazine Fortune - avec plus de 10 000 agents et courtiers dans tous les Etats-Unis - est simplement remarquable.
Rav Yossef avait raison. Il a réalisé un Kiddouch Hachem, une sanctification du Nom à une échelle pratiquement inconnue jusque-là. Il a agi ainsi en l’honneur de son défunt père, qui a été son modèle depuis son enfance. De manière remarquable, la lettre de Montana Life est datée de deux jours après le premier Yahrtzeit de son père. Il a le sentiment que c’est un message pour poursuivre l’héritage d’honnêteté, d’intégrité et de sanctification du Nom divin.
Peu d’entre nous aurons la chance de réaliser un Kiddouch Hachem à cette échelle, mais nous devons apprendre de cet incident à savoir toujours peser nos actions dans notre vie quotidienne, afin de pouvoir sanctifier le Nom de Hachem dans toutes nos actions.
Rabbi Paysach Krohn / Yated Neeman, traduit par Torah-Box