Il y a deux semaines, je reçois un appel d'un ami avec qui j'avais étudié à la Yéchiva.
J'étais très étonné, car je n'avais pas été en contact avec lui pendant plusieurs années. Je m'étais marié à 21 ans et de son côté, il était resté à la Yéchiva. En gros, c'était un élève qui tardait à se marier.
Je me suis dit : il est certainement confiné, et après avoir papoté avec ses nouveaux amis, il se remémore ses anciens amis…
Mais lorsque je décrochai le téléphone et qu'il me transmit la nouvelle, je fus tellement choqué que ma seule réaction fut de dire : quoi ? Quoi ? Quoi ???
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Revenons quelques années en arrière, à l'époque où j'étudiais à la Yéchiva.
Comme dans toute Yéchiva, chez nous aussi, il y avait un comité, le Tat (Tomkhé Torah, une sorte de magasin au sein de la Yéchiva qui procure des vêtements aux Ba'hourim de familles pauvres à un prix dérisoire, voire gratuitement. Les élèves de la Yéchiva le dirigent de manière bénévole, recueillent des fonds (surtout à Pourim) et prennent la peine de trouver des vêtements convenables pour les élèves de familles défavorisées.)
Sans rapport avec notre histoire, je dormais dans la même chambre que le dirigeant du comité, et ce sujet m'était familier. Il vérifiait ce dont chaque Ba'hour avait besoin, et agissait avec délicatesse et noblesse pour savoir comment s'y prendre et lui procurer des vêtements tout en préservant son honneur.
Dans notre Yéchiva, la coutume était de ne pas collecter de fonds les jours précédant Pourim, mais uniquement le jour même de Pourim.
Le directeur du comité et ses assistants effectuaient tout le travail avant Pourim. Ils préparaient les listes, divisaient la Yéchiva en différents groupes de manière organisée. Le jour de Pourim, après la lecture de la Méguila, les élèves de la Yéchiva se rendaient au domicile des anciens élèves de la Yéchiva en fonction des adresses qu'on leur avait données, et collectaient de l'argent en faveur du comité.
Comme il n'y avait pas beaucoup d'anciens de la Yéchiva, la règle était que dans chaque immeuble où résidait un ancien, on frappait à la porte au hasard chez l'un des voisins. La formule était donc la suivante : un ancien et une adresse au hasard.
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Cette année-là, chaque groupe devait se rendre à 20 adresses.
À la deuxième ou troisième adresse, nous arrivâmes chez le voisin choisi au hasard, prîmes place et entonnâmes des chants, et lorsque nous voulûmes partir, le maître de maison (qui ne savait pas qu'il avait été choisi au hasard, pensant que nous faisions du porte à porte), nous recommanda de ne pas frapper à la porte de l'appartement du dessus, du fait qu'il était occupé par une veuve et ses enfants.
Il ignorait que sa phrase allait déclencher une tout autre réaction.
Car le chef de notre groupe, appelons-le Yonathan, était lui aussi orphelin depuis peu. Il avait perdu sa mère six mois plus tôt.
Yonathan ne perdit pas son sang-froid, et il prit des renseignements sur la famille.
Il s'avère qu'eux aussi étaient devenus orphelins six mois plus tôt et la famille comptait plusieurs enfants. Le voisin précisa également l'âge des enfants, et expliqua que la veuve avait du mal à gérer cette situation de deuil.
Nous partîmes et Yonathan déclara : « Nous allons monter chez eux. Comme je suis orphelin, je saurai comment leur parler, alors que personne ne fasse rien, suivez-moi tout simplement. »
En vérité, dans notre for intérieur, nous étions réticents à l'idée d'y aller, pour plusieurs raisons. La principale étant que notre mission était fixée à 20 adresses, et il y avait une sorte de concurrence entre les groupes pour déterminer qui avait recueilli plus de fonds.
Malgré tout, bien que Pourim ne parût pas le moment approprié pour une visite dans une famille dont le père était décédé six mois plus tôt, nous acceptâmes, car nous étions aussi gênés par rapport à Yonathan et étions tourmentés par notre conscience juive qui dépassait notre inconfort.
Nous montâmes les escaliers et frappâmes à la porte. La veuve annonça d'emblée en ouvrant la porte que son mari était décédé. Yonathan lui dit alors : « Oui, je sais, je suis moi aussi orphelin. Je pense qu'il est très important que nous soyons là. »
Nous nous installâmes au salon. Nous commençâmes à chanter, puis réalisâmes qu'un enfant de onze ans n'était pas là (le voisin nous avait mentionné les âges des enfants).
Yonathan lui demanda : « On m'a dit que vous aviez un enfant de onze ans. Où est-il ? »
Elle lui répondit : « Il est brisé, il est couché dans son lit et ne veut pas en sortir. Pourim lui a fait plus de mal que de bien. »
Yonathan lui dit alors : « Je pense pouvoir trouver un langage commun avec lui. Faisons un pacte. Faites-le sortir de la chambre, et je l'extrais de cette situation. »
Il s'exprima ainsi avec une assurance totale.
La mère le fit venir dans le salon, et le Ba'hour dit à la mère en silence : « Même si vous ne comprenez pas ce que je fais, faites-moi confiance. »
Nous prîmes place autour de la table, et Yonathan se mit à chanter des chansons extrêmement émouvantes. Ra'hèm, Téfila Lé'ani, Hanéchama Lakh…
Et nous, nous sommes happés par ses sentiments et ses pleurs, et sommes rejoints bientôt par tous les orphelins qui entonnent ces chants émouvants et pleurent pendant près d'une demi-heure.
En notre for intérieur, nous avions le sentiment que ce n'était pas approprié. Que faisait Yonathan à ces pauvres enfants ? Mais nous nous retînmes de parler, ne voulant pas lui faire de la peine. Nous pensions qu'il se trompait, mais c'était une erreur permise pour un orphelin.
Une autre pensée nous traversa l'esprit, légèrement mesquine : « Qu'adviendra-t-il de notre mission ? Nous nous attardons ici une demi-heure et nous n'avons presque rien collecté ! »
Au bout d'une demi-heure de chants et de pleurs, Yonathan dit à l'enfant de onze ans : « Sais-tu ce qu'A'hachvéroch dit à Esther ? "Formule ta demande, et elle te sera accordée ; dis ce que tu souhaites : quand ce serait la moitié du royaume, tu l'obtiendrais." Je te propose la même chose : dis-moi ce que tu aimerais que je t'offre. »
Yonathan était persuadé que l'enfant demanderait un vélo ou un jeu, mais il lui répondit : « Je voudrais que tu étudies avec moi en 'Havrouta (en binôme) ! »
Cette demande était problématique, car notre Yéchiva était située à l'autre bout de la ville, et on n'encourageait pas les Ba'hourim à étudier avec des enfants.
Mais comme Yonathan avait fait une promesse, il lui répondit : « Je tiendrai parole, avec l'aide de D.ieu. »
À ce moment-là, deux de ses frères se joignirent également à la demande d'étudier avec Yonathan, et toute cette histoire commençait à se compliquer sérieusement. Nous savions que la direction de la Yéchiva n'accepterait jamais cette formule.
Nous sommes sur le pas de la porte, et nous disons à Yonathan : « Écoute, tu as perdu ici quarante minutes. On est obligé de se presser. On doit collecter au moins 1500 shekels, et nous n'avons que quarante shekels en poche. »
Soudain, la veuve nous rappelle et nous dit : « Attendez un instant. Je voulais vous dire encore quelque chose. »
On se retint de soupirer. Il fallait nous faire preuve de patience avec une veuve. « Je dois aussi vous faire un don », nous dit-elle.
« Nous ne sommes pas venus pour un don, nous vous l'avons précisé au départ. Nous sommes venus pour réjouir les orphelins ! » s'exclama Yonathan.
Et la veuve répondit : « J'ai une enveloppe spéciale qui vous attend depuis longtemps ».
Je pensais qu'elle plaisantait.
Mais elle tendit une enveloppe assez épaisse à Yonathan, sur laquelle il était inscrit : Pour de pauvres érudits en Torah.
Elle relata qu'elle avait trouvé l'enveloppe dans un tiroir après le décès de son mari, et s'était adressée à un Rav pour savoir ce qu'elle devait en faire. Il lui répondit qu'à l'occasion, lorsqu'elle rencontrerait un pauvre érudit en Torah, elle devrait la lui remettre, et elle accomplirait ainsi de ses propres mains la Mitsva de son époux.
« J'ai le sentiment que votre comité répond à cette définition, et je me sens obligée de vous la donner, car vous avez gaspillé du temps pendant lequel vous auriez pu collecter de l'argent auprès d'autres familles, en faveur de mes enfants. »
Nous sortîmes et ouvrîmes l'enveloppe.
Elle contenait plus de 3000 shekels, que le mari avait mis de côté comme Ma'asser. Il nous avait pris en charge toute la soirée…
Nous enlaçâmes Yonathan tellement fort qu'il faillit tomber, et commençâmes à danser dans le lobby de l'immeuble.
Nous lui demandâmes : « Mais pourquoi as-tu entraîné tout le monde à pleurer ? C'est Pourim et il faut se réjouir ! »
Et Yonathan répondit : « Une joie ordinaire ressemble à un verre de thé. Les chants émouvants que nous avons chantés ont fait l'effet d'un médicament puissant. La preuve : ils ont réussi à extraire des enfants tous les pleurs et la détresse en eux, comme une infection dans le corps. »
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Une fois dehors, nous demandâmes : « Quelle est l'adresse maintenant ? »
Yonathan répondit : « Rendons-nous maintenant chez le Machguia'h (directeur spirituel) de la Yéchiva. »
Nous protestâmes : « Chez le Machguia'h ? Pourquoi ?! »
Et Yonathan répondit : « N'exagérez pas. Nous avons collecté plus d'argent que tous les autres, mais je me suis engagé auprès de l'enfant à être son tuteur. Vous savez qu'il y a de fortes chances qu'il refuse. Mais là, c'est Pourim, un moment favorable, et aujourd'hui, il se peut qu'il accepte. »
« Tu as raison. » Nous prîmes la direction de la maison du Machguia'h.
Nous lui fîmes le récit de cette soirée. Il opina de la tête, comme un Machguia'h et nous promit d'essayer d'obtenir l'accord du Roch Yéchiva, mais sans engagement.
Nous poursuivîmes la collecte pendant une heure, et réussîmes à collecter 1000 shekels de plus et rentrâmes à la Yéchiva avec une somme supérieure à celle de tous les autres groupes, avec un cœur mitigé. Nous étions très heureux, mais quelque peu inquiets par la promesse faite à l'enfant.
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Le lendemain matin, après la prière du matin et la lecture de la Méguilat Esther, nous fîmes le repas de Pourim. À la fin du repas, un émissaire demanda au Ba'hour de se rendre chez le Machguia'h.
J'étais très curieux et je lui dis : « Allez, je viens avec toi. »
Le Machguia'h lui dit : « La veuve m'a téléphoné, et elle m'a fait le même récit que toi. Elle m'a raconté que depuis le décès du père, l'enfant n'a jamais été aussi joyeux que ce Pourim. Elle m'a demandé ensuite que ce jeune homme soit le tuteur de ses enfants.
« Pour te dire la vérité, je n'avais jamais pensé permettre une telle chose, mais je n'ai pas pu refuser une demande à une veuve. Je lui ai promis que c'était d'accord. »
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Après Pourim, Yonathan se mit à étudier en 'Havrouta avec l'orphelin à raison de deux fois par semaine, et il trouva deux autres Ba'hourim pour étudier avec ses autres enfants.
Yonathan se découvrit un talent pour enseigner aux enfants. Il réussit à le faire non pas à partir d'un sentiment de compassion, mais d'amitié. Il s'intégra à la famille et prit soin de faire progresser les enfants. Il se lia d'amitié avec eux et les aida à se construire.
Au bout d'un an, je m'aperçus un jour que Yonathan était très ému.
Je lui mis la pression : « Dis-moi, pourquoi tu es si ému ? »
Il me répond : « Je ne peux rien raconter. »
Au bout de quelques jours, nous comprîmes la raison de son émotion.
Yonathan s'était adressé au Machguia'h en lui expliquant qu'il pensait avoir une proposition de mariage pour la veuve.
Le Machguia'h lui demanda de qui il s'agissait et il répondit : « Mon père. »
Le Machguia'h demanda à sa femme, qui connaissait bien la veuve et celle-ci lui dit : « Si c'est son père, il doit certainement être quelqu'un d'exceptionnel. Qu'ils se rencontrent et nous verrons bien. »
Ils se rencontrèrent et il s'avéra que oui, le père de Yonathan était très spécial, tout comme son fils, et ils se fiancèrent.
Ces orphelins que nous avions rencontrés à Pourim, et qui étaient devenus les élèves de Yonathan, étaient désormais ses frères adoptifs.
* * *
Deux ans s'écoulèrent, je me fiançai puis me mariai. Yonathan resta à la Yéchiva. Il était prêt à entendre des propositions de mariage, mais le Chiddoukh qu'il attendait ne vint pas…
Revenons maintenant au début de l'histoire.
Vous vous souvenez qu'au début de mon récit, un élève de la Yéchiva m'avait téléphoné et je m'étais dit qu'il s'ennuyait ? Et qu'ensuite, j'avais réagi à son annonce en m'écriant : « Quoi ? Quoi ? »
Ce jeune homme était Yonathan.
Et il m'annonçait ses fiançailles.
Je lui dis : « Mazal tov ! Tu ne peux pas savoir comme je suis content. On dirait que le Covid y est pour quelque chose. Tu as eu peur d'être isolé, hein ? »
« Peut-être. »
« Et qui est l'heureuse élue ? » demandai-je.
Il me dit alors son nom.
Ce nom m'était connu.
Tu veux dire…
« Oui, c'est la fille de l'épouse de mon père. En réalité, ma sœur adoptive… »
C'est alors que je m'écriai : « Quoi, quoi ? »
L'acte de noblesse qu'il avait réalisé à Pourim, dont nous avions tous été témoins, est le signe qu'un bienfait n'est jamais perdu. Quelques années s'étaient écoulées, et cette semaine, il venait de trouver son Mazal !