Chez nous, tout commence dans un jardin : le Gan ‘Eden.

Par jardin on entend un endroit délimité, clôturé, qui a été pensé, aménagé et n’a pas poussé par hasard, au gré de la nature. Chacun possède dans son imaginaire une représentation de ce que devait être le Paradis, qui fait peut-être écho au jardin de son enfance ; celui dans lequel on entrait avec émerveillement, où chaque arbre y était un personnage, un ami, et que chaque saison transformait, l’emplissant de couleurs et de sons différents.

L’arbre et la nature dans la Torah ont une place toute particulière, à tel point qu’on leur accorde un nouvel an : Tou Bichvat. C’est dire l’importance qu’ils revêtent. Dans le deuxième paragraphe de la Parachat Béréchit, le mot ‘Ets (arbre) revient sans cesse. Les arbres sont l’élément central du décor : il y en a une multitude et D.ieu ordonne à Adam d’en jouir autant qu’il le désire, à une exception près, comme nous le savons. 

Il est évident qu’il y a derrière tout cela une symbolique, mais les commentateurs nous rappellent que le sens littéral du texte ne peut être négligé ; dans ce lieu magique que le premier homme devait se contenter de préserver et faire prospérer, il est intéressant de remarquer que ce sont les arbres qui sont investis de la clef de Vie, ainsi que de celle de la connaissance du Bien et du Mal. Lourde responsabilité qu’ils portent sur leur tronc, leurs branches et leurs fruits. 

Jusqu'à la faute d’Adam et de ‘Hava, il y a une proximité intense entre l’homme et son environnement. Le Gan ‘Eden a été conçu sur mesure par D.ieu pour l’humain, comme cadre idéal qui répondra à tous ses besoins. Et si l’écologie se traduit par la science de l’interaction entre une créature vivante et son habitat, on peut dire que le Paradis était un modèle parfait de symbiose et d’harmonie entre l’un et l’autre.

La CIA au service du langage des plantes…

Il y a 50 ans, on a commencé à envisager que les plantes pensaient, ressentaient et communiquaient, suite à un best-seller écrit par deux journalistes américains, Tompkins et Bird, intitulé « La vie secrète des plantes », sorti en 1975. Les observations sur les végétaux s’appuyaient sur les découvertes d’un employé à la CIA, Cleve Backster, qui utilisa sa machine à détecter les mensonges sur les végétaux. Les deux auteurs établirent avec assurance que les plantes réagissaient aux stimuli extérieurs. Le livre fut un succès mondial. Plus tard, des scientifiques réfutèrent la théorie, la reléguant à la pseudoscience. 

Puis récemment, en 2015, Peter Wohlleben, ingénieur forestier allemand, soutient à nouveau, dans son livre « La vie secrète des arbres » - le titre est un clin d'oeil à l’ouvrage précédent -, que les arbres ont une forme d’intelligence et établissent entre eux une commune, une sorte de tribu, dont les membres se comprennent, se soutiennent, se protègent cette fois par un réseau complexe de racines souterraines. Ils savent s’écouter et se faire de la place les uns aux autres pour que chacun se développe de façon optimale ; en gros, nous avons, nous humains, de quoi apprendre de nos amis les fougères et les bouleaux. Ils ne sont pas seulement notre principal fournisseur de bonbonnes d’air gratuit, le transformateur génial de carbone en oxygène, mais seraient également des entités palpitantes de vie qui sauraient s’organiser entre elles. 

Mais comme d’habitude, l’Occident n’a pas inventé la poudre. Nos Textes millénaires (Avot Dérabbi Natan 75 ; Talmud traité Souka 28a) rapportent que l’immense Rabbi Yo’hanan Ben Zakaï avait une érudition monumentale dans tous les domaines du sacré - il n’y avait pas une science de la Torah qu’il ne connaissait pas - et qu’il était également versé dans… la conversation des palmiers ! De quoi s’agit-il ? Essayons d’y voir plus clair.  

Les arbres murmurent pour qui sait entendre…

Tout d’abord par palmiers, on entend un mot général pour dire « arbres ». Notre Maître Rabbénou Cherira Haï Gaon (939-1038, époque des Guéonim) un des dirigeants du judaïsme de Babylonie au premier siècle de notre ère, explique que les arbres communiquent entre eux et se passent des messages secrets que l’on peut décoder en lisant l’inclinaison de leurs branches. Le Rav précise que pour capter cette douce conversation, il faut attendre une belle journée, sans vent, étendre un drap qui permettra de vérifier qu’il n’y a aucun souffle d’air, et alors, se placer entre deux arbres et lire ce que se racontent les arbres entre eux par le mouvement de leurs branches. C’est uniquement en l’absence de tout souffle d’air qu’on peut expérimenter le phénomène, car bien sûr si c’est le vent qui fait bouger les branchages et leur donne une certaine direction, l’expérience ne vaut plus rien. Le Rav ‘Haïm Kanievsky, dans son commentaire sur le Perek Chira (Perek Bechir), rapporte cette explication. 

Le Ritba (commentateur du 13ème siècle ayant vécu en Espagne) va plus loin encore, et pense que ce dialogue végétal entre les arbres, pour qui sait le lire, peut dévoiler l’avenir… Car les plantes connaissent le futur. Pour le Ritba, le déploiement du drap se fait sur l’arbre dont on veut déchiffrer la conversation et sous le drap étendu, dans le secret de cette communion entre l’humain et l’arbre, on pourra saisir ce qui se dit… Il qualifie cette science de « savoir miraculeux » que seuls de très rares initiés savent utiliser. 

Le Rachba lui, pense diamétralement le contraire ; on ne peut entendre ces conversations entre les arbres que lors d’un jour venteux, car c’est ce dernier, en soufflant sur les branches, qui fait naître le son des conversations. Dans ce cas de figure, il ne s’agit plus de décoder les mouvements des branches, mais bien d’entendre le murmure d’un arbre à son voisin…C’est plus beau qu'une poésie !

Beaucoup plus pragmatiques, le Rachbam (petit-fils de Rachi) et le Meiri (éminent talmudiste du 13ème siècle) pensent tout simplement que le terme « conversation des plantes » englobe en fait les propriétés de chaque plante à guérir ou soigner certaines maladies.

En tout cas, le sujet occupe sérieusement nos Maîtres. 

Une pousse appelée Machia’h

Tout le vocabulaire utilisé pour parler du Machia’h, de ses ascendants et descendants, fait également appel à l’imagerie des végétaux. Il est comparé à une pousse qui va surgir de la royauté de David Ben Ichay. Alors que le peuple juif est à son plus bas, exilé, coupé de ses racines, alors qu’on pense que tout est fini, soudain de ce tronc coupé, on voit surgir un petit plant vert, fort, qui relève la tête et redonne vigueur à tout l’arbre. Dans la ‘Amida, la prière par excellence, on dit dans la 15ème bénédiction : « Fais pousser au plus vite la plante de David, Ton serviteur ». Tout le processus d’avènement du Machia'h et de la fin des temps se prépare dans le silence et le secret, comme la pousse qui grandit en terre et pourrit, et qui soudain réapparait, plus vivante que jamais, annonçant le Dénouement. 

 

Ecolo bien avant l’heure

Nos Sages nous disent que lorsque l’on déracine un arbre fruitier, son cri de douleur - pourtant inaudible à nos oreilles - traverse le monde entier, de même (Yoma 20b) la voix de l’âme humaine au moment où elle sort du corps traverse le monde d’un bout à l'autre. 

Le souci de protéger la nature et tout ce qu’elle contient d’intelligence, de richesse, de potentiel pour l’homme, revient sans cesse dans nos Textes et dans le vécu du juif pratiquant.

La jachère obligatoire chaque 7 ans, la Chemita, qui ordonne le repos du travail des champs et des vergers, l’interdiction de couper un arbre, la sainteté de la terre d’Israël qui se transmet à ses fruits, sont toutes des expressions du respect à notre environnement. Lorsque Adam faute, c’est immédiatement la terre qui en subit les conséquences et dorénavant émettra ronces et mauvaises herbes, comme si leurs destins sont intimement liés, et que la responsabilité des actes de l’homme retombe immanquablement sur elle.  

Les Explorateurs déclencheront une calamité par une médisance sur la terre d’Israël et ses fruits, entraînant la mort d’une génération entière qui ne pourra plus y pénétrer. 

Mathusalem for ever

Concluons par un bel anniversaire de longévité : l’arbre répertorié le plus vieux du monde se trouve dans les White Moutains de Californie, et c’est un pin, nommé Pinus longaeva. Il a selon les spécialistes 4789 ans, aurait donc vu le jour avant la construction des pyramides égyptiennes et aurait été un contemporain de nos ancêtres. On l’a surnommé Mathusalem. Les responsables de la réserve gardent son emplacement secret pour éviter tout acte de vandalisme, car le pin qui détenait le record précédent a été abattu par un géographe qui voulait l’étudier. Mathusalem détient le record d’organisme vivant le plus vieux du monde. 

L’arbre à une propriété unique : stable, rassurant, son tronc massif et immobile est rattaché par ses racines à son terreau, et cependant il renouvelle à chaque saison sa frondaison. Il est la synthèse parfaite de l’ancrage dans la tradition, accompagné d’une éternelle renaissance.

Puissions-nous vivre sur terre, unis vers l’Uni, en respectant et en protégeant cette nature que D.ieu nous a offerte, nourricière, protectrice et incroyablement belle.

Chana Tova aux arbres et plantes du monde entier, même avec un brin de retard, que tous nos amis les végétaux, patients et magnanimes nous pardonneront certainement.