Être né dans la famille de la pègre est une donnée du Destin qu’on ne choisit pas. Par contre, comment va-t-on jouer avec cette carte dans notre vie, cela reste entièrement entre nos mains. On peut décider de s’enliser dans le crime, chercher des filières toujours plus rentables, toujours plus sordides et, derrière une vitrine de respectabilité et un smoking impeccable, continuer le chemin du padre. D’ailleurs, le cinéma a aimé le thème et a adapté à l'écran un best-seller qui a fait exploser le box-office.
Mais on peut également être née chez Al Capone, et malgré les influences toxiques de son géniteur, rester une fleur, fraîche et innocente, aimer le Bien, et attendre la première occasion pour quitter cette Familia ma foi très peu recommandable. Et mieux encore : ce mal qu’on a vu à la maison, ces réunions enfumées où père et frère discutent à voix basse du prochain deal, où tout dans le foyer respire fourberie et manigance, pourra être utilisé, le jour venu, pour démasquer un grand méchant loup.
L’avantage considérable d’avoir grandi dans la maison d’un mafioso et d’en être sorti intègre, c’est que dorénavant, jamais personne ne pourra vous tromper sur les notions de Mal et de Bien. La vaccination est à perpétuité.
Rebecca, forever
Cette fleur née dans la pègre, qui dès son plus tendre âge, choisit le Bien, le don, la lumière, c’est Rivka, notre Mère. Issue de la branche d’Avraham « qui a mal tourné », elle va prendre en main les rênes de l’histoire et sauver au moment opportun l’humanité des mains d'Essav le pervers. Et si elle a su dépister le mal, c’est qu’elle y a été confrontée depuis son plus jeune âge.
Encore toute petite, lorsqu’on lui demande si elle veut quitter sa maison pour suivre Eli’ézer qui va la mener vers d’autres horizons, elle n’hésite pas et acquiesce avec empressement : âgée d’à peine 3 ans, avec une maturité déconcertante, elle a compris qu’il n’y a malheureusement pas d’issue dans sa famille.
Car papa Betouël est un parrain. Pas à New-York ni en Sicile, mais en Mésopotamie. Tout neveu d’Avraham qu’il est, il aime l’argent et n’hésite pas à éliminer sans pitié toute entrave à sa cupidité. Il essaye d’empoisonner un invité mais l’assiette se retrouve devant lui et il meurt par autogoal. Son fils Lavan est son héritier spirituel : moins impressionnant que Papa, il excelle en “pickpockettage”, sait savamment tâter les poches des invités et abuse de ses employés dévoués, sans pitié. « Ne tenez jamais vos promesses » est son slogan favori.
Mais étonnamment, la branche féminine de cette famille d’escrocs est une merveille : ce sont toutes des perles de beauté, d’intelligence et surtout de bonté. A croire que nos Matriarches sont nées dans les bas-fonds de ‘Haran pour confondre le Satan qui ne cherche les Tsadikot vertueuses que dans les bonnes familles de la Uptown….
Observer et se taire…
Rivka, déjà lors de sa grossesse tant attendue (elle fut stérile pendant 10 ans), se rend compte que quelque chose ne va pas. Elle ira consulter seule les Rabbanim de l’époque, Chem et ‘Ever, qui lui confirmeront sans besoin d’échographie que deux entités contraires grandissent en son sein. Il semble qu’elle n’en dira rien à Its’hak et gardera le silence tout le temps qu’ils grandiront à la maison. Elle et son illustre mari perçoivent très différemment leurs enfants. Its’hak est indulgent envers ‘Essav, son ainé, et même s'il voit ses écarts, ceux-ci ne remettent pas en cause son affection pour lui.
Pour Rivka, ‘Essav a beau être son fils, fruit de ses entrailles, elle sait, sans l’ombre d’un doute, que cet enfant est une mauvaise graine. Its’hak, lui, va se tromper sur son fils. Il ne peut discerner les profondeurs abyssales de la malice enfouie en ‘Essav, car il n’a jamais été confronté au Mal. Alors que Rivka, qui a grandi avec les gros bonnets de la pègre, ne peut être dupe devant la vraie nature de sa progéniture. Son regard perce toutes les carapaces de mensonges et d’hypocrisie. Imperméable au mal, mais l’ayant côtoyé, elle utilise ses connaissances du monde des bas-fonds, pour reconnaître les criminels, s’en protéger et en sauver l’humanité.
Une sublime chef d’orchestre
Une des scènes les plus époustouflantes du ‘Houmach va se jouer devant nous en quelques versets. Comme au théâtre, les portes s’ouvrent, se ferment, on rentre, on sort, on se déguise. Et Rivka orchestre tout en coulisses.
Il lui en fallait de l’aplomb pour manœuvrer contre l’avis de son éminent époux. Il ne s’agit pas ici de la femme du Rav Kanievsky ni celle du ‘Hafets ‘Haïm, ni même celle du Gaon de Vilna ou de Rabbi Méir : c’est la femme d’Its’hak, monument de notre foi, dont la vue se brouillera après avoir reçu dans ses yeux les larmes que les anges ont versées lors de la ‘Akéda.
Lorsqu’ Its'hak pressent que le moment est venu de transmettre ses Brakhot, son épouse comprend qu’il va se tromper de fils et les donner à ‘Essav l’impie. Avec un sang-froid stupéfiant, elle va sauver la mise. Elle est sûre d’elle et exhorte Ya’akov à la suivre. Pour ce dernier, dont l’attribut est Vérité, tromper son père n’est pas de tout repos. Elle lui dit : « Je prends tout sur moi. Écoute et agis comme je te l’indique. »
Une joute cosmique se met en place à cet instant et, comme souvent dans le Texte saint, les forces du Mal sont déboussolées quand on utilise leurs armes. L’inversion des rôles laisse le Yetser Hara’ pantois : Ya’akov l’ingénu devient l’usurpateur d’un instant, et Essav le véritable criminel ressemble au fils modèle. Rivka aux aguets profite d'un laps de temps critique, d’un écran de brouillard, pour voler le voleur et rétablir l’ordre moral du monde.
Véritable féminité
Il faut inviter ceux qui s’évertuent à vouloir trouver dans la Torah des éléments misogynes à lire le Texte saint et à voir comment les femmes et les mères de notre peuple y sont décrites. La Providence les place aux carrefours les plus sensibles de la formation de la nation et met sur leurs épaules la destinée du peuple juif.
Qui s’étonnera encore que le judaïsme passe par les femmes ?
Intuitives, audacieuses et perspicaces, elles sont le nectar de la nation. Avec discrétion, fermeté et féminité, elles aiguillent leur progéniture vers le Bien, et utilisent tout le savoir qu’elles ont accumulé pour désamorcer les pièges du Yétser Hara’.
Fabuleux !