Le Sfat Emet (Parachat Ha’hodèch 5645) nomme la Parachat Ha’hodèch « clé de la Guéoula, la Délivrance. » Il explique de manière assez énigmatique que « cette (Mitsva de sanctifier la nouvelle lune) a été le premier commandement prescrit au Klal Israël (voir Rachi, Béréchit 1:11 et Ramban, Chémot 12 :2). En conséquence, lorsque le son de la Torah a été révélé, tous les liens de l’esclavage ont été supprimés. »
Il poursuit en citant des versets de Chir Hachirim (Cantique des Cantiques 2:8-9) qui se réfèrent à notre sortie rapide d’Egypte lorsque « même un mur de fer n’a pu s’interposer entre nous-mêmes et notre Père au Ciel » (Pessa’him 85b). Or, la référence à la « révélation du son de la Torah » reste déconcertante, car en réalité, le « son de la Torah » n’a pas été entendu avant le Matan Torah, le don de la Torah environ trois mois plus tard. Nous savons bien entendu que la raison d’être de la sortie d’Egypte a été l’événement capital du don de la Torah (Chémot 3:12). Mais, en-dehors de ces propos enflammés du Sfat Emet, nous n’aurions pas su que la Parachat Ha’hodèch était la « clé de la Délivrance. » Analyser ce concept plus en profondeur nous donnera un aperçu de l’importance de la dernière de ces quatre Parachiot, souvent incomprise.
Rav Guédalia Schorr nous rappelle qu’en vérité, chaque Roch ‘Hodèch constitue un renouveau, car au bout de trente jours, l’être humain est assez épuisé. Il le prouve à partir d’une Halakha (Ora’h ‘Haïm 225 :1) : si on n’a pas vu un ami pendant trente jours, on pourra réciter la Brakha de Chéhé’héyanou en le voyant. Nissan est le premier mois à démontrer le renouveau et le nouvel souffle présent chaque mois. Le Chla Hakadoch va jusqu’à affirmer que chacun des douze premiers jours de Nissan est en soi un microcosme de Roch ‘Hodèch.
Ce concept semble s’appuyer sur la décision du Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 429) : chacun de ces 12 premiers jours doit être traité comme un Yom Tov, étant donné que le Néssiim, les princes de chaque tribu, offraient leurs Korbanot (offrandes) pour inaugurer le Michkan ces jours-là. Mais l’auteur du ‘Hidouché Harim est troublé par cette proposition. Il est d’avis que nous ne devons plus commémorer ces 12 jours, sachant que leur statut spécial se trouve dans la Méguila Ta’anit, et nous ne célébrons plus aucun des jours mentionnés dans ce texte ancien.
Le ‘Hidouché Harim répond que les parties de la Méguila de Ta’anit qui sont devenues obsolètes sont celles qui dépendent du Beth Hamikdach, du Temple. Comme nous n’avons malheureusement plus de Temple, les jours consacrés à sa grandeur ont été annulés. Or, les 12 premiers jours de Nissan proviennent de la splendeur du Michkan, le sanctuaire, qui n’a jamais été détruit. Dans la même veine, les jours de Tichri nous instillent tous chaque année de nouvelles forces.
Mon Rav, Rav Its’hak Hutner (dans le Maamaré Pa’had Its’hak, Pessa’h 44 :7) relève également que nous ne jeûnons pas pendant les 12 premiers jours de Nissan (Tour 429), sachant que c’étaient les jours de l’inauguration du Michkan, en dépit du fait que la Méguilat Taanit n’est plus en vigueur. Donc, il doit y avoir une sorte d’effet puissant du début de Nissan qui empêche de jeûner et nécessite un certain degré de joie. Comment définir exactement cette qualité ?
La propre réponse du Rav Schorr à cette question est que Nissan transporte chacun d’entre nous à un lieu où la Téva, les lois de la nature, ne vieillissent jamais, étant manifestement supplantée par le surnaturel, incarné par le Ness, le miracle, la quintessence de ce mois.
Rav Chimchon Pincus (Chémot, p 123) nous rappelle que Nissan est nommé ‘Hodèch Haaviv (Chémot 13 :4), car le printemps représente un renouveau à la fois matériel et spirituel. Même les observations les plus élémentaires sur cette nouvelle saison évoquent le fait que ce qui apparaissait comme mort et décomposé a déjà fleuri et s’est transformé en vie nouvelle. En conséquence, Pessa’h et en réalité, tout le mois de Nissan, nous donne l’espoir de pouvoir redécouvrir la vie, même lorsque la destruction et la morosité de l’hiver ont semblé triompher.
Rav Hutner (Pa’had Its’hak, Chavouot, dernier article) explique qu’on peut attendre d’un enfant qu’il accepte le joug de la maturité, parce qu’il voit la croissance et le renouveau constamment dans son propre être physique. A une échelle plus grande, au niveau de la nation, nous revivons le réveil de la nature au printemps et réalisons que tout était là pour nous. Rav Hutner émergea un jour d’une difficile période de deuil pour un proche et fut consolé par la vue d’un arbre en fleurs qu’il avait le sentiment d’avoir été placé spécialement pour lui (Séfer Hazikaron). Nous observons aussi des arbres revenir à la vie, récitons la Birkat Hailanot, la bénédiction sur les arbres, et méditons sur notre propre potentiel de croissance et d’amélioration.
Mais l’ultime leçon de la Parachat Ha’hodèch est peut-être qu’à titre de Am Israël, nous n’apprenons pas seulement de la nature, mais transcendons la simple Gachmiout, la matérialité, en embrassant la Torah que nous avons commencé à recevoir avec la première Mitsva. Le Gaon de Rogatchov nous enseigne que la Torah transcende les lois de la nature, tout en définissant ces mêmes lois (voir Rav Mendel Kasher, Sefer Mefaanea’h Tsefunot). Les Makot (plaies) et la Kriat Yam Souf (l’ouverture de la Mer des joncs) ne sont pas intervenues pour prouver la grandeur de Hachem. Elles visaient à nous enseigner que nous contrôlons la nature, tout comme nous avons un pouvoir de décider quel jour deviendra Roch ‘Hodèch et de déterminer le jour de Yom Tov. La Brakha est « Mékadèch Israël Véhazémanim » car, contrairement au Chabbath, c’est nous qui décidons du jour qui sera un Yom Tov, un jour de fête, renforçant ainsi notre conviction d’avoir reçu le mandat de conquérir le monde, à condition d’agir Léchem Chamayim, avec désintéressement. C’est la grandeur ultime du mois de Nissan. Ce ne sont pas les miracles en soi, mais le mandat confié par D.ieu d’employer chaque recoin de la nature pour la Avodat Hachem, le service divin. Cela signifie parfois qu’il faut accepter la nature telle qu’elle est et parfois, il est question de notre aptitude à « laisser le vinaigre brûler à la place de l’huile », car ainsi en a voulu Hachem.
Nissan est réellement la clé de la Délivrance, car ce mois nous donne le pouvoir de croire et de savoir que Hachem peut réduire un esclavage de 400 ans en 210 ans, sachant que le temps Lui appartient et nous a été confié. Puissions-nous rapidement voir ce pouvoir se concrétiser, rapidement et de nos jours.
Rabbi Yaakov Feitman/yated.com