Il n’est pas sans intérêt de remarquer que la troisième Paracha au début de la Torah s’intitule « Lèkh-Lékha » (Pars et va à l’endroit) et la troisième Paracha avant la fin de la Torah s’intitule parallèlement « Vayélèkh » (Et Moché alla). La première est une injonction à Avraham de partir vers un but défini – faire connaître l’Éternel dans le monde, et la seconde expression traduit la réalité du départ et sa signification. Il semble qu’il faille voir ici la vocation d’Israël face aux nations du monde. Dans une très fine analyse comparée, le philosophe Emmanuel Levinas oppose le départ vers la Transcendance d’Avraham au retour nostalgique d’Ulysse qui retourne après la guerre de Troie, vers son île natale. Il oppose ainsi le départ vers l’au-delà au retour immanent d’Ulysse, et donc la foi en un D.ieu transcendant face à un athéisme matérialiste. S’élever vers l’au-delà, ou s’inscrire dans un aujourd’hui sans horizon.
Ce double aspect se reflète dans le judaïsme autour de deux personnages, deux fils de Ya'akov : Yossef et Yéhouda, complémentaires. L’un traduit la voie, le chemin, la rencontre avec l’étranger, le second symbolise la demeure, la fixation, et cette double perspective est résumée dans la lecture du Chéma' que l’on récite « assis dans la maison ou se trouvant en voyage ». Le voyage, périlleux, doit nous mener vers le palais d’accès difficile. Yossef fonde la base matérielle, et Yéhouda prépare le Beth Hamidrach, la maison d’étude.
Ainsi, la « marche » de Moché complète la marche d’Avraham. Avraham l’Hébreu (du terme hébraïque : Ever – le passage) est d’un côté et le monde entier est « de l’autre côté ». Moché, avant l’entrée au Royaume, continue l’injonction adressée à Avraham, mais il ne peut pas parvenir au Royaume, car il est un être humain. Quand Yéhouda prépare la Maison d'Étude, c’est en exil, en Égypte. Quand Vespasien, nous dit la Guémara, demande à Rabbi Yohanan Ben Zakaï quel don lui faire, en récompense de la bonne nouvelle qu’il lui a transmise, le Maître Talmudiste lui répond : « Donne-moi Yavné et ses Sages » (Traité Guittin 56b). Il ne lui demande pas d’épargner le Temple de Jérusalem, mais d’accorder un lieu pour l’étude de la Torah.
Nous retrouvons ici le vrai sens et la raison de la stabilité du peuple d’Israël : son attachement à l’étude de la Torah. C’est pour cette raison que les Sages donnent aux livres d’éthique des titres évoquant la marche : « Nétivot 'Olam » (Les Cheminements du monde), Or’hot Tsadikim (Les Chemins des Justes), Messilat Yécharim (Le Sentier des hommes droits), Dérekh Hachem (la Voie de l’Éternel). La voie doit mener à la demeure, même si son accès est difficile, mais elle ne saurait être stérile ou statique. C’est le dynamisme de la Torah qui a guidé et maintenu Israël de génération en génération. Les périls du voyage sont nombreux mais celui qui les affronte à la lumière de la Torah saura les transcender.
C’est ici qu’intervient la fête de Souccot : symbole de la protection divine, puisqu’elle rappelle les tentes dans lesquelles les enfants d’Israël ont vécu pendant les 40 ans du désert, elle nous fait sortir de la demeure, mais c’est pour que nous puissions ressentir la « Chékhina » qui accompagne toujours la démarche d’Israël. Fragile, faite de feuillage, la Soucca, liée à la nature – ainsi d’ailleurs que les 4 espèces du monde végétal – est l’expression même de notre vie terrestre : fragile, éphémère, mais chargée de spiritualité. Sortir de la demeure, découvrir la nature, et, de la sorte, se lier au Créateur, tel est de but de Souccot. C’est, en parallèle, le but de l’Histoire universelle, par l’intermédiaire des 70 taureaux offerts à Souccot, au Temple de Jérusalem, mais face à ces taureaux (qui diminuent progressivement) apparaissent les 98 agneaux qui représentent le peuple d’Israël. Fête du peuple d’Israël, c’est aussi la fête symbolique de l’influence de moins en moins importante de l’idéologie des 70 nations, Souccot annonce la Délivrance. Construction éphémère mais symbole du permanent, elle représente cette synthèse de l’Histoire universelle entre le fragile et le solide, entre la voie et la demeure, et annonce la venue miraculeuse de l’époque messianique.