Depuis toujours, les jeunes juifs sont partis en Yéchiva, y restant pour une période prolongée. Cette institution représente le lieu idéal pour s’imprégner des enseignements transmis de maître à élève depuis Moche Rabbénou. En effet, l’éventail de connaissances que propose la Torah est si large, si riche, qu’il nécessite un investissement soutenu et une déconnexion de toute autre activité sur une période conséquente afin d’acquérir un bagage solide de notre patrimoine.
Mais voilà qu’il y a plus d’un siècle et demi, face aux défis des “Lumières” (la Haskala) qui menaçaient le judaïsme authentique, la Yéchiva remplira un rôle supplémentaire. C’est dans son enceinte que l’adolescent trouvera les moyens de demeurer intègre face aux dangers de l’assimilation. Des Rabbanim de stature exceptionnelle vont extraire de la Torah de nouvelles approches, que se soit dans l’étude ou le service divin, qu’ils transmettront à leurs élèves. Les commentaires sur le Talmud du Rav ‘Haïm de Brisk, les leçons de Moussar du Rav Salanter, les cours de pensée juive de Machgui’him remarquables, la ferveur particulière de la prière “yéchivatique” vont contribuer à construire solidement les étudiants et les préparer à se confronter au “vaste monde”, une fois sortis de la Yéchiva.
Des courants comme la ‘Hassidout, celui de Torah et Dérekh Erets du Rav Chimchon Réfaël Hirsch ainsi que le positionnement du ‘Hatam Sofer au 19ème siècle fourniront aussi au peuple juif les moyens de se protéger des dangers qui menaçaient le judaïsme authentique.
Dans la Paracha de Vayétsé, nous trouvons chez notre Patriarche Ya’akov ce même souci : alors qu’il a vécu des dizaines années chez son père auprès duquel il s’instruisait assidûment (“Ya’akov ich tam yochèv Ohalim”), il étudiera 14 ans supplémentaires à la Yéchiva de Chem et ‘Ever avant de se rendre chez son oncle Lavan le fourbe. On peut s’interroger sur la nécessité d’une telle démarche, alors qu’il se trouvait déjà depuis sa tendre enfance au Beth Hamidrach d’Its’hak.
Chem a survécu au Déluge et ‘Ever a connu la génération de la Tour de Babel. L’un comme l’autre ont été témoins d’une génération dégénérée dans les mœurs et dans l’hérésie et ont su comment s’en protéger. Ya’akov, qui se prépare à vivre auprès de Lavan, a besoin de leur expérience afin de neutraliser l’influence nocive de cet oncle malfaisant chez qui il est contraint de se rendre. C’est pourquoi il doit absolument faire halte chez Chem et ‘Ever pour se préparer aux nouveaux défis qui l’attendent, même s’il a passé sa jeunesse dans le cocon protégé de son père.
Aujourd’hui, il est inutile de s’étendre sur les dangers spirituels (mœurs, hérésie, drogue...) auxquels tout adolescent est confronté lorsqu’il sort de l’école juive pour entamer des études universitaires ou une formation professionnelle. Lorsqu’on conseille aux parents de permettre à leurs enfants de connaître l’expérience d’une ou deux années de Yéchiva (ou de séminaire pour une jeune fille), certains expriment leur désaccord en avançant l’importance cruciale d’un cursus ininterrompu - et commencé à temps - de leurs études profanes. “Perdre un an ?!” s’écrient des parents outrés à cette pensée, alors qu’en vérité cette année de “perdu”, c’est une vie de gagné !
Il est vrai qu’il est de notre devoir de prévoir un métier pour notre progéniture “afin de pas en faire un brigand” (Kiddouchin 29a), mais d’un autre côté, il nous incombe aussi de les protéger spirituellement et de tout faire pour ne pas les laisser tomber dans les griffes du Lavan des temps modernes.
Soyons lucides et cohérents dans notre éducation et si l’on veut que notre progéniture reste fidèle à nos valeurs juives, donnons-leur les moyens de le faire.