Nous trouvons dans la Torah des commandements logiques que notre entendement conçoit facilement, alors que d’autres échappent à notre esprit rationnel et sont désignés par le nom de ‘Houkim (lois dont le sens nous est caché), comme par exemple la vache rousse, l'interdit de mélanger le lait et la viande ou encore le Cha'atnez. C’est à la première catégorie que se rattache la Mitsva du respect des parents, qui constitue l'une des Dix paroles prononcées par l’Eternel au mont Sinaï. En effet, quoi de plus normal que d’exprimer notre reconnaissance à ceux à qui nous devons la vie, et qui en général se sont occupés de nous dans les jeunes années ?
Mais voilà que depuis la seconde moitié du vingtième siècle, de nouveaux courants de pensée ont émergé, jetant le trouble sur ce qui constituait la base de la morale humaine, et remettent en question la hiérarchie familiale et le respect dû aux géniteurs ; ce qui amène la jeunesse à se libérer de toute gratitude envers leurs parents.
Afin de connaitre la vision du judaïsme sur ce sujet brûlant, à savoir la pertinence du respect des parents à toute époque, il nous a paru intéressant de rapporter l'un de nos textes du Talmud (Kidouchin 31a) qui pose la question de savoir jusqu'à quel point la Torah exige-t-elle que nous respections nos parents. La Guémara rapporte le cas d’un non-juif du nom de Dama Ben Nétina, résident de la ville d’Achkelon, qui se conduisait de façon exemplaire envers ses parents et servira de référence dans la loi pour nous les Juifs !
Voici le récit : les Sages étaient à la recherche de l'une des pierres précieuses du pectoral du Kohen Gadol (l’Efod), et se rendirent chez Dama Ben Nétina qui en possédait une. Il s’agissait d’un achat très coûteux mais qui était indispensable pour le service dans le Temple. La clé du coffre dans lequel se trouvait cette pierre était sous l’oreiller du père de Dama, qui dormait et ne voulait à aucun prix être dérangé dans son sommeil. Le fils respectueux dut renoncer à cette vente pour ne pas enfreindre la volonté de son père.
En une autre occurrence, ce même Dama Ben Nétina, se trouvant à une autre occasion en compagnie de grands personnages romains, vit sa mère faire irruption dans la réunion, lui déchirer son habit, le gifler et lui cracher au visage ; là aussi, par souci de respect envers sa mère, Dama ne réagit pas.
Voilà donc jusqu'où va l’obligation de cette Mitsva : même face à un père aux exigences extravagantes, qui refuse qu’on le dérange pendant sa sieste même au prix de la perte d’un gain faramineux pour son fils, ou d’une mère instable mentalement (cf. commentaire du Tosfot), il faudra se conduire comme Dama Ben Nétina !
Il est tout de même surprenant que nous déduisions le commandement du respect des parents, qui ne concerne que les juifs (cette ordonnance n’apparait pas dans les 7 lois noa'hides), de l’attitude exemplaire d’un non juif, ce qui laisse sous-entendre que l’on n’a pas trouvé pas chez les nôtres de respect d’un tel degré.
Pour répondre à cet étonnement, ramenons la suite du Talmud qui rapporte comment Dama va être récompensé par le Ciel pour son respect envers son père : l’année suivante naitra dans son troupeau une vache rousse, nécessaire dans le Temple pour la purification de l’impureté contactée par un mort. Cette vache était extrêmement rare et on n'en compte dans l’Histoire que neuf qui ont servi à la purification. L’homme ne demanda comme prix que ce qu’il avait perdu en ratant la vente de la pierre précieuse. Les commentateurs demandent pourquoi D.ieu a-t-Il récompensé Dama par la naissance de cette vache rousse. La réponse est extraordinaire : la vache rousse fait partie des 'Houkim et, Mida Kénéguèd Mida (mesure pour mesure), de même que Dama Ben Nétina se conduisit avec ses parents sans faire appel à sa raison et sa logique mais en agissant avec un respect religieux qui ne connaissait aucune faille, de même il fut récompensé par une vache rousse, symbole d’un commandement qui ne fait pas intervenir la raison.
Devant ce type de situations, nous aurions sans doute réagi différemment : il aurait suffi d’un petit bruit pour réveiller le papa ou d'un petit geste de la main auprès d’un serviteur lui indiquant d’éloigner délicatement la maman, et cela aurait évincé tous ces désagréments, car n’oublions pas que cette Mitsva est logique et pourrait théoriquement supporter des restrictions. Ce Goy d’Achkelon accomplissait en revanche son devoir comme s'il s'agissait d'un ‘Hok, sans chercher à l'édulcorer, sans y mettre son interprétation et toutes les exceptions qu’une situation peut engendrer.
Pour conclure, nos Sages nous apprennent que la Mitsva de Kivoud Av Vaèm (respect du père et de la mère), bien qu’elle s'adresse à notre logique, ne doit connaitre aucune restriction dans son application, même si les parents ne se conduisent pas selon les normes de la bienséance. Le message est clair : c’est avec une application rigoureuse, absolue, que cette Mitsva reste immuable dans l’Histoire. Cela reste vrai quels que soient l’esprit de l’époque et ceux qui voudraient nous persuader que l’on peut, même partiellement, en être dispensé. Ce n’est pas par hasard si nos Sages la considèrent comme l'une des Mitsvot les plus difficiles à appliquer !
Matière à réflexion.