Le ‘Hazon Ich allait à la plage accompagné d’un ou plusieurs élèves, comme il sied à un Juif pieux de son envergure, et aimait regarder la mer, le Rav Chakh également. Ils ne renonçaient pas à cette méditation devant la grande bleue, qui leur inspirait Crainte du Ciel et émerveillement ; Rav Steinman, pendant les 3 semaines de Ben Hazmanim, dans ses vieux jours, ne quittait pas son appartement du 5 rue ‘Hazon Ich, et continuait ses Sédarim comme à l’accoutumée ; Rav Kanievsky avait l’habitude d’aller à Safed quelques jours avec la Rabbanite, mais dans ses dernières années, il restait chez lui, étudiait et écrivait ses ‘Hidouchim, demandant de suspendre momentanément l’afflux du public : pour lui, les « vacances », c’était étudier, avec les visiteurs en moins ; Rav Guerchon Edelstein se rendait en général à Jérusalem, dans le quartier de Cha’aré ‘Hessed où un notable, reb Reichman lui prêtait son appartement ; Reb Baroukh Beer Leibowitz, élève chéri de Rav ‘Haïm de Brisk à Volodjin, partait avec ses propres Talmidim dans une forêt proche de sa Yéchiva, où il rencontrait Rav ‘Haïm Oyzer Grodjensky et Rav Shimon Schkop. Quelle Datscha cela devait être, entre les plus grands Talmidé ‘Hakhamim de l’époque ! Ceci dans le vieux continent, avant la guerre…
Car nager dans la mer du Talmud restait immuablement, inlassablement, infatigablement, leur principale occupation.
Le soleil se couche (chaudement) à l'ouest
On ne va pas parler des manifestants de Tel Aviv qui revendiquent le droit à la liberté, en écrasant celle des autres, ni de Poutine et de Zelensky, prix ex aequo d’entêtement, ni des émeutes à Paris, ni de la vague de chaleur qui frappe l’Italie, ni du « presque » autodafé d’un livre de Torah en Suède, évité de justesse, alors que l’ultra libéral (et libertin) pays des fjords avait déjà donné son accord à ce « brûlement du Talmud » façon 2023.
On ne va pas en parler, parce qu’il nous reste peu d’illusions et d’attentes sur ce qu'il se passe en Occident, où décidément le soleil ne cesse de se coucher, plus chaud que jamais.
Quant à nous, doucement bercés dans le hamac du mois d'août, les cris et les rires des enfants barbotant dans la piscine résonnant au loin, bien installés dans notre transat, un coca frais en main, avec paille et tranche de citron, le seul véritable ventilateur, capable de rafraîchir nos âmes fatiguées, reste même en villégiature, les histoires de nos Sages et de nos Maîtres, relatant leur comportement exemplaire.
La tête ou le cœur ?
Il y a quelques années aux USA, un journal juif orthodoxe à gros tirage a lancé une campagne en forme de questionnaire à ses lecteurs : à la clef, un très beau prix. On leur demandait : « Si vous pouviez recevoir chez vous pour un repas de Chabbath trois personnalités juives, bibliques ou rabbiniques, toutes tendances, nationalités, périodes confondues, qui inviteriez-vous ? »
Des dizaines de milliers de réponses affluèrent au journal. On proposait bien sûr, les 3 Patriarches, d’autres voulaient le Ba’al Chem Tov, le Gaon de Vilna et le Arizal ; d’autres désiraient leurs grands-parents décédés et le « rebbe » adoré de leurs 8 ans – celui qui leur avait donné pour toujours le goût des histoires du Tanakh…. D’autres auraient voulu à leur table la famille Bar Yo'haï au grand complet, et certains demandaient à recevoir le ‘Hafets Haïm, Baba Salé et Rabbi ‘Akiva Eiger. Et vous chers lecteurs, qui auriez-vous invité ?
À cette période, un des journalistes rencontra le fils de Rav Moché Feinstein, Rav David, et lui posa la question, à savoir qui il inviterait chez lui parmi la pléiade de nos Sages.
Et Rav David de répondre sans une seconde d’hésitation : « Et bien ceux qui en ont le plus besoin ; si je dois en choisir trois, je choisis ceux qui ont le plus faim… » !!!????
Simple comme bonjour pour quelqu’un qui ne pense qu’au bien-être de l’autre, et non pas à son prestige, à son plaisir, à l’intérêt qu’il aurait tiré de ses invités. Rav David Feinstein était connu autant pour son érudition que pour l’extrême délicatesse et raffinement de son caractère.
D’ailleurs, à ce sujet, Rabbenou Behayé, grand auteur du 11ème siècle (‘Hovot Halevavot), nous fait remarquer que le Texte Saint, à aucun moment, ne parle des capacités intellectuelles hors du commun, du génie cérébral de nos Patriarches et Matriarches. La seule mention qui est faite sur eux a toujours rapport à leur propension au bien et à leur énorme capacité de don. Ra’hel décédée à 36 ans (certains pensent 26), a laissé son empreinte à travers les siècles comme la personne du « Vitour », du renoncement par excellence, au profit de sa sœur.
Si Noé, le nouveau père de l’humanité, s’appelle ainsi (Noa’h, paisible, facile à vivre en hébreu), ce n’est pas par hasard. L’homme était bon, c’est indéniable, et c’est pour cela qu’il mérita de devenir l’ancêtre d’une humanité renaissante. Sa femme, Naama, de la racine « agréable », était beaucoup plus âgée que son époux : cela ne les empêcha pas de vivre heureux. Quand l’harmonie règne entre des êtres au tempérament aimable, est-ce que les années comptent ?
Champion !
Et la cerise sur le gâteau, c’est une histoire que nous devons à Rav Steinmann, de mémoire bénie, où l’on trouve toute sa délicatesse, son sens de l’éducation, sa compréhension de l’âme humaine et sa compassion.
Un jeune qui avait laissé tomber la pratique passait Chabbath chez ses parents à Bné Brak. Son père lui demanda s'il voulait l’accompagner chez le Rav Steinman en fin de repas, car il s’y rendait pour un cours. L’ado acquiesça. Père et fils descendirent toute la rue Rabbi ‘Akiva, puis tournèrent à droite, rue ‘Hazon Ich, marchant côte à côte, l’un en costume-chapeau, l’autre, tête découverte, jeans et tee-shirt.
Après le cours, le papa vint serrer la main du Gadol, et lui dit en présence de son fils : « Mon enfant ne garde plus Chabbath ».
Le Rav Steinman demanda au garçon :
« Depuis quand ? »
- « Deux ans. »
- « Et tu as eu pendant cette période un regret, une envie de revenir ? »
- « Oui. »
- « Combien de fois ? »
- « Quatre fois. »
- « Combien de temps ça a duré ? »
- « Chaque fois 10 minutes environ. »
Et Rav Steinman sincèrement impressionné, de conclure : « Ça veut dire qu’en 2 ans, pendant 40 minutes tu t’es tenu à l’endroit sur lequel il est écrit : “là où le Ba’al Téchouva (repentant) se tient, même un Tsadik parfait (juste) ne peut se tenir !!???”
Je t’envie. Gut Shabbès ». Et le Rav lui serra chaleureusement la main.
L’observation de Rav Steinman pénétra si profondément le jeune homme, qu’il repensa son chemin.
Mais l’histoire a une suite. On lui demanda plus tard, alors qu’il était revenu à la pratique, comment avait-il accepté ce fameux après-midi de Chabbath, d’accompagner son père chez le Rav. Il raconta :
« Quand j’avais 10 ans, nous avions été visiter le Gadol avec toute la classe, pour qu’il teste « nos connaissances ». Les questions étaient très faciles, et interrogés l’un après l’autre, les enfants savaient répondre. Lorsque mon tour arriva, ce fut le black-out. Il me posa alors une question plus facile. Toujours rien. Troisième essai, je ne savais pas. À peine un balbutiement sortit de ma bouche.
À la fin de la réunion, tous les enfants s’attroupèrent autour du Rav Steinman pour lui serrer la main et recevoir une sucette. Sauf moi. Trop honteux.
Le Rav s’en aperçut et me fit signe d’approcher. Il me pinça délicatement la joue et me dit : « Dans la Torah, on reçoit une récompense pour l’effort fourni, et pas pour le résultat. Tu as essayé trois fois, donc tu mérites 3 sucettes. »
Quand mon père me proposa de visiter le Rav, 15 ans plus tard, je n’avais pas oublié ma visite d’alors.
Comment aurais-je pu ne pas m’en souvenir ?
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Bonnes vacances à tous, régénérantes, revitalisantes, rafraîchissantes, sous la brise inspirante des fantastiques récits de nos Maîtres.