J’habite aux Etats-Unis, que l’on appelle « le pays des possibilités infinies », mais qui peut également être « le pays des limites impossibles. »

J’ai grandi auprès de parents instables qui souffrent de troubles mentaux. Je ne sais pas comment j’ai survécu l’enfance, sans être guidée par mes parents, sans aucune chaleur ni amour, la situation à la maison était terrible. En-dehors de la pauvreté, il régnait une terrible négligence : personne n’était intéressé si les enfants allaient ou non à l’école. Et en effet, mon frère choisit l’option de ne pas y aller. Mais moi, j’avais compris dès l’enfance que toute endroit en-dehors de la maison était préférable, c’est pourquoi j’étais contente d’aller à l’école. Je me préparais mon sandwich, lorsqu’il y avait de quoi en préparer, car mes parents dormaient généralement tard le matin. Je m’achetai seule mes vêtements ou j’en empruntai à des amies. Je ne sais pas comment cette situation n’a pas affecté mon statut social, qui était loin d’être inférieur. J’étais toujours entourée d’amies.

A l’âge de 21 ans,  une amie me présenta un jeune homme qui me paraissait parfait. Ce qui m’a le plus enchanté chez lui, je crois, c’est qu’il avait une famille. Une famille est la chose la plus naturelle du monde pour la plupart des gens qui ne la mentionnent même pas comme une qualité, car c’est comme l’air qu’ils respirent, mais ce fut pour moi le premier facteur pour me décider à l’épouser. Et aussi le fait que quelqu’un était disposé à m’épouser.

Nous nous mariâmes.

* * *

Après notre mariage, je compris qu’il avait certes une famille, mais que sa famille n’avait pas vraiment de relations avec lui.

Ses frères et sœurs réussissaient bien dans la vie, mais mon mari était le « bon à rien », celui qui se lève tard et ne fait rien de sa vie.

Toute ma vie, j’avais rêvé de fonder un foyer opposé à celui de mes parents. Or, il se trouve que j’avais trouvé le mari qui était la copie conforme de mon père. Il avait bon cœur, mais mis à part ça, rien d’autre. Il ne faisait rien, et si je pensais me consoler avec sa famille, il s’avère qu’ils étaient contents qu’une femme ait accepté de l’épouser de sorte qu’ils puissent s’éloigner de lui. C’était vraiment ça. Après avoir enfin quitté son domicile familial, ils firent tout pour éviter de le rencontrer. Mon rêve se brisa.

Au bout d’un an et demi de mariage, nous eûmes un petit garçon.

Nous étions très contents et nous commençâmes à l’élever, ou plutôt, je commençai à l’élever, sans le soutien minimal de mon mari.

Environ six mois après la naissance, je remarquai quelque chose de bizarre. Il subit des examens médicaux, et rapidement il s’avéra que mon enfant était sourd, et pas à moitié, il était totalement sourd.

* * *

Je m’habituais à l’idée, d’autant que ce bébé était si mignon et adorable, et je m’attachai profondément à lui.

Mon mari, en revanche, ne trouvait aucun intérêt dans l’enfant, je suis persuadée que cela était dû à son handicap. Je pense que c’est parce qu’il ne s’intéressait à rien, et je me retrouvai à nouveau seule, affrontant les difficultés de la subsistance et de l’éducation d’un enfant handicapé qui a besoin de traitements ; de plus, aux Etats-Unis, sans couverture santé, on est foutu.

Mais j’ai trouvé les moyens de le soigner.

Un an et demi plus tard, je mis au monde une petite fille.

Cette fois-là, on m’avertit de vérifier immédiatement si elle souffrait de surdité. Je fis les examens. Et que pensez-vous ? Sourde ! A 100 pour cent.

« Il y a un problème génétique chez vous », annoncèrent les médecins. Ce fut suffisant pour mon mari ; il avait trouvé le prétexte pour disparaître, tout simplement.

* * *

Je ne sais pas comment j’ai eu les forces ; visiblement, le Créateur de l’univers en personne me donna des forces surhumaines. Je m’investis dans mes enfants et leur donnai de la chaleur et de l’amour, issus de je ne sais où, car je n’en avais jamais reçu.

* * *

Un jour, mon petit garçon, Dani, tomba et se blessa. Je me rendis avec les deux enfants au centre médical pour panser ses blessures.

Je les installai dans la salle d’attente puis descendis à la réception pour régler le paiement. Lorsqu’enfin mon tour arriva, je montai les escaliers, inquiète. Lorsque j’arrivai, je vis qu’un couple âgé d’une quarantaine d’années était assis en face d’eux, des non-Juifs. Ils observaient mes enfants, qui les regardaient également, leur posaient des questions auxquelles mes enfants tentaient de répondre à leur manière.   

Je restai à distance pendant quelques minutes, et ensuite je m’approchai et me présentai.

Ils me demandèrent comment je m’en sortais, et je leur répondis. Ils posèrent des questions sur les enfants, puis la femme dit : « C’est impensable que les gens ne comprennent pas le langage des signes, cela enferme encore plus les sourds dans leur solitude. » Et le mari ajouta : « Je pensais être intelligent, mais à côté d’eux, je me sens comme un petit enfant. Je ne parviens pas à comprendre ce qu’ils veulent. »

Ils s’intéressèrent à la manière dont je les élevais, et je leur racontai ma vie. Ils en furent très émus, la femme me donna son numéro de téléphone et me demanda le mien.

Nous nous séparâmes.

Une semaine plus tard, elle me téléphona et me raconta qu’ils avaient appris le langage des signes et voulaient nous rendre visite.

J’acceptai.

* * *

Ils apportèrent des jeux pour les enfants. Ils leur demandèrent leur âge et s’intéressèrent à leurs jeux préférés.

Je compris qu’il s’agissait d’un couple fortuné, mais sans enfants. Le mari possédait plusieurs stations essence grâce auxquelles il gagnait bien sa vie.

Ils m’adoptèrent en quelque sorte avec les deux enfants. Pour la première fois de ma vie, j’ai obtenu une aide financière qui me permit de sortir la tête hors de l’eau et m’éviter de m’inquiéter chaque jour pour le lendemain. 

Un jour, la femme me téléphona pour me demander si elle pouvait prendre les enfants pour quelques heures.

Je lui demandai où, et elle me répondit qu’une fête se préparait à l’horizon pour laquelle ils aimaient acheter des cadeaux, ils voulaient prendre les enfants et passer du temps avec eux.

Je ne sus que répondre. Je commençai à bégayer. Heureusement pour moi, ils étaient intelligents, ils comprirent qu’il y avait un problème et n’insistèrent pas ; Ils me dirent qu’ils viendraient le lendemain pour en parler.

Je ne fermai pas l’œil toute la nuit, je ne savais pas comment leur expliquer la situation. Je me préparai, et lorsqu’ils arrivèrent, je leur expliquai aimablement que non seulement nous étions Juifs, mais nous étions également orthodoxes, et notre éducation ne permettait pas que nos enfants célèbrent des fêtes non-juives, ou même qu’ils soient informés de leur existence.

Ils en furent très étonnés, mais pas blessés, ou au moins ils ne le montrèrent pas. Ils restèrent avec moi jusqu’aux petites heures de la nuit. Je leur expliquai ce que signifiait être juif, le nombre des Mitsvot, la difficulté de les accomplir, comment des millions de Juifs s’étaient sacrifiés au fil des siècles pour respecter le Chabbath, la Cacheroute ou même pour conserver la barbe et les Péot (papillotes).

Ils furent très impressionnés, et la femme déclara qu’ils voudraient étudier un peu de judaïsme pour savoir comment parler à mes enfants. « Je vois que personne ne peut étudier avec ton enfant la Torah ou le Talmud. Si nous nous mettions à l’étudier, mon mari pourra peut-être étudier avec lui. »

Je ne sus que répondre. Au fond de moi, je savais que l’apprentissage du judaïsme n’avait rien à voir avec le langage des signes. Je n’allais pas permettre à un non-Juif d’étudier avec mon fils des matières profanes, et encore moins des études de Kodech...

* * *

Pour résoudre le problème, je leur fis rencontrer le Rav de la communauté de mon quartier, un Rav intelligent et raffiné. Je savais qu’il pourrait arranger cette affaire pour moi. Je le renseignais sur la situation jusque-là et il comprit qu’ils m’aidaient beaucoup, et que je redoutais dans le même temps que mes enfants soient exposés au monde des non-Juifs.

Il les rencontra et leur donna des explications sur le judaïsme. Un monde inconnu se révéla à eux, ils s’y intéressèrent et commencèrent à étudier le judaïsme. Ils prirent ce sujet à cœur, ils achetèrent des livres et du matériel d’apprentissage sur le judaïsme.

Au bout de plusieurs mois d’étude intensive et d’intérêt incessant, ils arrivèrent chez moi un jour et m’annoncèrent qu’ils avaient décidé de se convertir.

Je ne sus comment réagir. Je me mis à pleurer.

Ils me demandèrent pourquoi je pleurai.

« Pour deux raisons », leur répondis-je. « D’abord, cela m’émeut beaucoup que vous vouliez devenir juifs, et aussi… et aussi…car je sais qu’il ne sera pas facile pour vous de devenir Juifs. »

« Oui », me répondirent-ils, « nous avons appris que vous étiez un club exclusif auquel il était difficile d’être accepté. Nous savons que nous pouvons aller trouver un Rav réformé ou libéral et devenir juifs au bout d’une demi-heure, mais nous savons que ce n’est pas authentique. »

* * *

Ils commencèrent le processus éreintant de la conversion, on les repoussa, mais ils n’en furent même pas vexés. Ils persistèrent jusqu’au bout, et au bout d’un an et demi, ils passèrent une conversion conforme à la Halakha et devinrent juifs.

Jacques devint Yaa’cov et Rachel, Sarah. Jacques étudia tout depuis le début : le Tanakh, la Michna et même le Talmud, et à un moment donné, il se mit à étudier en ‘Havrouta (binôme) avec mon fils et à suivre ses progrès. Sarah devint une sorte de seconde mère pour ma fille. Ce couple m’accompagna avec mes enfants.

Quelques années plus tard, j’épousai un homme bon avec lequel nous eûmes trois autres enfants en bonne santé.

* * *

Aujourd’hui, lorsque je regarde en arrière, je vois un miracle continu. J’avais grandi dans un foyer qui n’en était pas, sans soutien, sans amour, sans parents, sans éducation, et je ne raconte pas ce que j’ai vécu intentionnellement, car c’est une histoire particulièrement triste, et à deux doigts, ma vie d’adulte aurait pu lui ressembler.  

Et en réalité, ce qui était apparu comme une source de désespoir - mes deux enfants sourds - ont apporté la délivrance du Ciel, sous la forme de Yaa’cov et Sarah. 

* * *

Yaa’cov et Sarah n’avaient pas eu droit à des enfants, mais nous leur donnons largement le sentiment que nos enfants sont un peu comme leurs descendants. Ils jouent le rôle de papi et mamie à tous points de vue. Nous laissons les enfants aller chez eux sans crainte, ils sont en effet des Juifs animés de crainte du Ciel comme nous, si ce n’est plus.

Ils possèdent tous deux une âme pure et remarquable, pour être arrivés au judaïsme de manière aussi prodigieuse par désir de se rapprocher de mes enfants, par l’apprentissage du langage des signes, puis par l’étude du Talmud.

Les moyens sont nombreux pour se rapprocher de Hachem et de Sa Torah. Je pense que mon histoire décrit l’histoire d’un couple rare et exceptionnel. J’aurais nommé cette histoire « Des signes d’Emouna (foi). »