« D.ieu pensait donner la Torah qu’après mille générations, mais quand Il s’aperçut de la décadence des premières générations, Il précipita sa descente, et la donna après 26 générations ».
Ce passage expose la réticence d’Hachem à transmettre la Torah aux humains. Cela nous surprend certainement, car enfin, la Torah n’est-elle pas « bonne » ? Nous devons donc considérer que malgré ses qualités, ou peut-être justement à cause de ses qualités, elle pourrait générer des problèmes. Etant d’une valeur inestimable, elle risque d’exciter la convoitise ; ceux qui s’y attacheront seront jalousés par ceux qui ne la pratiqueront pas. En l’occurrence, les juifs l’ont acceptée, mais les nations par contre, n’étant pas prêtes à la pratiquer, l’ont refusée, et ainsi ces derniers jalouseront les juifs.
Si aucun ne croit qu’uniquement des avantages matériels engendreraient convoitise, jalousie, haine et meurtre, il n’en est rien ; la convoitise relative aux avantages spirituels s’exprime encore avec plus de force ! Caïn jalousait son frère Hévél, parce que D.ieu avait agrée le sacrifice de ce dernier, et refusé le sien ! Ainsi, la jalousie des non-juifs qui refusaient la Torah, à l’égard des juifs qui l’acceptaient, peut se transformer en haine : « Pourquoi la montagne sur laquelle la Torah fut donnée s’appelle Sinaï ? Car c’est sur elle que la Sina, la haine des nations est descendue ».
Quelles sont en fait les racines de cette haine ? Certains l’expliquent par le fait que les juifs seraient riches, et ailleurs du fait qu’ils soient pauvres. D’autres disent que la raison de l’antisémitisme se trouve dans le fait que les juifs soient peureux, ou encore qu’ils se retirent des affaires du monde, quand on ne les accuse pas d’être « un peuple dominateur et sûr de lui », et d’avoir « géré le monde politiquement et financièrement ».
Avant que les juifs n’aient un Etat, leur présence dans des pays qui « ne leur appartenait pas » gênait, et aujourd’hui qu’ils en possèdent un, c’est justement cet Etat qui empêche le monde de « tourner rond ». Les musulmans aux quatre coins du monde l’accusent d’être la cause des souffrances des palestiniens, alors que d’innombrables musulmans à travers le monde souffrent, sans que leurs « frères » ne s’en soucient. Divers mouvements que pourtant rien n’unit - extrême-gauche, extrême-droite, athées et salafistes - s’allient quand il s’agit d’exprimer leur refus du sionisme. Ces faits montrent que c’est bien un a priori contre les juifs qui alimente ces différentes argumentations.
Le Rambam explique, que c’est la jalousie pour cette belle Torah dont D.ieu a gratifié les juifs, qui dérange les nations. Enfouie dans leur inconscient, elle les incite à nous calomnier, pour nous détruire, ou nous assimiler à eux, afin de nous en déposséder. La raison principale de l’opposition des Grecs, Romains, Perses, chrétiens ou musulmans à notre égard, ne fut autre que cette jalousie :
« Par cette vraie Torah qui nous a été donnée par le Maître de tous les prophètes – Moïse -, D.ieu nous a différencié des autres peuples […]. Cela ne fut pas du fait que nous l’avions méritée, mais uniquement par la grâce de D.ieu, du fait que nos parents (les Patriarches) se comportèrent convenablement […], alors les nations nous jalousent infiniment pour notre religion, leurs rois nous persécutent à cause d’elle […]. Depuis que la Torah a été donnée et jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas eu un temps où les rois ou autres personnages n’ont tenté de l’ébranler, par des guerres ; comme ce fut le cas d’Amalek et beaucoup d’autres, ou encore par des argumentations venant des Grecs, des Romains ou encore des Perses ; leur but consistant à la détruire et à éliminer son souvenir.
Cependant, D.ieu a promis par l’intermédiaire d’Isaïe (54, 17) que ni les guerres et ni l’argumentation n’aboutiront. Les instigateurs de ces deux initiatives se sont aperçus que leurs tentatives n’ont pas été faciles à mener, car la Torah a été créée avec des fondations prodigieuses. Bien qu’ils accumulent fatigues et énervements, l’édifice de la Torah reste inébranlable et entier […] D.ieu qui est Vérité se moque d’eux, car c’est avec leur esprit faible « qu’ils s’en prennent à Lui » […]. Plus tard, un autre groupe (Jésus et ses disciples) rusa et déclara que D.ieu, outre la Torah originelle, en aurait donné une nouvelle […]. Cet argument était censé troubler les juifs. Pourtant, il ne réussit guère, comme D.ieu l’avait fait savoir à Daniel : « Des effrontés de ton peuple érigeront une vision, mais échoueront. »
[...] Puis, après (J. C.), se leva […] (Mohammed) qui se conduisit de la même façon (que J. C.), et qui entrepris de modifier notre religion […]. Tous ces trois adversaires, ceux qui utilisent la force, l’argumentation ou l’imitation de la prophétie, perdront leur combat […] ».
Pour que la Torah ne provoque pas cette jalousie, Hachem prévoyait de ne pas la donner avant que le monde n’ait acquis du Dérekh-Eretz, de bonnes « Midot », un bon caractère. Quand Il renvoie Adam du paradis, Il ne permet son retour qu’après avoir appris le Dérekh-Eretz :
« Il chassa Adam (du Gan-Eden); et Il installa des Chérubins à l’est du jardin d'Éden, et une lame d’épée tournoyante pour garder le « Dérekh Etz Ha’haim », le Chemin qui amène à l’Arbre de la Vie ».
« Que veut dire : garder le « Dérekh Etz Ha’haim », le Chemin qui amène à l’Arbre de la Vie ?
Rabbi Yshmael, fils de Rav Nahman, dit : « C’est le Dérekh-Eretz (le bon caractère), qui précéda le Don de la Torah de vingt-six générations, car le verset dit en premier lieu : « pour garder le Chemin », ce qui signifie le Dérekh-Eretz, (un bon caractère), et seulement en second lieu : « l’Arbre de la Vie, la Torah ».
Hachem a exigé de l’homme qu’il acquiert d’abord, avant l’accomplissement de la Torah, le Dérekh-Eretz ; de là vient le proverbe : « Dérekh-Eretz kadma laTorah », le savoir-vivre précède la religion. Voici ce qu’écrit rabbi Haim Vital : « Les traits de caractère, bons ou mauvais, sont ancrés dans la partie basse de l’âme de l’homme ; au-dessus d’elle est posée sa partie supérieure, de laquelle dépend la réalisation des 613 Mitsvot. Pour cette raison les traits de caractère ne sont pas inclus parmi les Mitsvot ; ils les précédent… Un mauvais caractère est bien pire qu’un péché. Tu comprends maintenant le sens des paroles des Sages : « celui qui se met en colère pratique en fait l’idolâtrie » ; « celui qui s’enorgueillit nie Le Tout… il mérite qu’on le déracine comme un arbre d’idolâtrie… il ne se réveille pas à la Résurrection des morts » ; « La Torah ne se trouve que chez celui qui ne se laisse pas aller à la colère ». Néanmoins, celui qui possède de mauvais traits de caractère – la colère, la recherche des honneurs, la haine de celui qui est plus grand que lui… - mais qui en étudiant la Torah et en appliquant les Mitsvot les contrôle, devient alors un juste… ».
C’est ce « Dérekh-Eretz » qu’ont enseigné dans l’antiquité, avant le don de la Torah, des prophètes tels que Chém et Evér. Cela fut aussi le travail de notre Patriarche Avraham Avinou, qui lui aussi a éduqué ses élèves ainsi :
« Celui qui se forge ces trois traits de caractère, est l’élève d’Avraham Avinou ; celui qui possède trois autres caractères, est l’élève de Bila’m le méchant. Celui qui a un bon œil (généreux), de la modestie, et de la réserve dans la recherche de plaisirs, est l’élève d’Avraham Avinou ; un mauvais œil, de l’orgueil et qui recherche les plaisirs, est l’élève de Bila’m le méchant ».
Si le monde a profité pleinement de leurs enseignements, la descente de la Torah n’aurait alors provoqué aucune jalousie ; le monde entier aurait été réjoui par sa présence. Mais l’espoir de D.ieu ne fut pas réalisé, et le monde, évoluant sans Torah, se dirigea pendant les vingt-six premières générations vers la déchéance ; vol, violence et immoralité furent pratiqués à profusion. D.ieu décida alors, a posteriori, si l’on peut s’exprimer ainsi, de faire descendre la Torah dans le monde « prématurément ». Car enfin, l’accomplissement de la Torah peut améliorer l’être humain. Les juifs qui l’accepteront, y trouveront une aide précieuse ; les sept nations les plus décadentes du monde, qui habitaient le pays de Canaan, disparaitront, et les autres nations, qui la refuseront, jalouseront les juifs. Cette jalousie est à la fois positive et négative ; positive du fait que les nations essayeront d’imiter les juifs, et s’améliorent, bien que cette imitation ne soit que partielle ; et négative, du fait que les nations importuneront les juifs.
La Torah n’entraine pas uniquement jalousie et haine des nations envers les juifs, mais au sein du peuple juif lui-même, celui qui étudie et pratique la Torah, est jalousé par celui qui la néglige :
« Celui qui étudie la Torah devant un ignare, ressemble à celui qui viole une femme devant son fiancé, car la Torah dit : « Moché nous a ordonné la Torah, comme une « moracha » pour la communauté de Jacob » ; ne lit pas (uniquement) « moracha », héritage, mais aussi « méorassah », fiancée ».
La Torah est la « fiancée » de chaque juif, sa « bien-aimée », mais, incapable de la comprendre, l’ignare jalousera celui qui l’étudie et la pratique. Il voit l’érudit lui « voler », ou lui « violer » sa « fiancée », et ressent donc de la haine envers lui :
« La haine que vouent les juifs ignares aux érudits est plus puissante que celle des non-juifs à l’égard des juifs. Et celui qui l’a étudiée et qui par la suite l’abandonne, sa haine est plus forte encore ».
Enfin, la Torah, étant elle-même par essence une qualité, confie de ses qualités à ses « bien-aimés ». Elle a instauré des hiérarchies : grâce aux Patriarches, les juifs sont chéris de D.ieu, grâce au zèle de leurs ancêtres, les Cohanim et les Léviim sont favorisés, grâce aux mérites de David, sa famille règne éternellement ; et grâce à l’érudition, les sages méritent du respect. Or, en absence de Dérekh-Eretz, les moins méritants pourraient jalouser les plus méritants.
Ce ne sont pas uniquement les ignorants qui risquent d’être jaloux des érudits, mais des érudits pourraient jalouser et détester des plus grands qu’eux-mêmes. Joseph, le plus sage de la famille de Jacob, n’était-il pas jalousé par ses frères, au point que ces derniers s’apprêtaient à le tuer ?
L’absence du Dérekh-Eretz, la course à l’honneur, à l’argent, aux plaisirs, la haine et tous défauts, empêchent une bonne compréhension de la Torah. En conséquence, la religion et l’érudition, qui donnent à l’homme dynamisme et vigueur, pourraient flatter son égo, lui donner un sentiment de supériorité, et l’amener à mépriser autrui ; la religion et l’érudition devenant des instruments de destructions. Tel homme, confondant la volonté de D.ieu avec sa propre volonté, et croyant agir au nom de D.ieu, risque de voir dans tous ceux qui s’opposent à ses desseins des ennemis de D.ieu, qu’il sied de combattre. Ainsi prennent naissance les guerres de religion. Le Tanakh nous rapporte de nombreux exemples, comment même les plus érudits, sans pureté de caractère, provoquèrent des calamités. Citons le cousin de Moché, Kora’h, grand érudit, qui jalousa Moché et Aaron, contesta leur œuvre, et entraina avec lui deux-cent cinquante « grands du peuple » dans l’abime.
A’hitofél et Doég, de grands érudits, jalousèrent l’oint de D.ieu, le saint David, et cherchèrent à l’anéantir. En fait, il manquait à leur étude la profondeur et le bon esprit :
« La Torah qui fut étudiée par A’hab, A’hitofél et Doég, ne fut que superficielle, et fut étudiée avec un mauvais esprit ».
Les rois Jéroboam, A’hab et Ménaché, de grands érudits, mais de caractère jaloux et orgueilleux, perdirent leur monde futur, en conduisant le peuple vers l’irréligiosité ; sans l’admiration du peuple pour leur érudition, ils n’auraient pas réussi à tant dévoyer les juifs. A cause de Jéroboam, une guerre éclata avec Aviah, roi de Jérusalem, qui couta la vie de 500 000 de ses soldats.
Bila’am, l’érudit, sur lequel la Torah témoigne : « Parole de celui qui entend les paroles de D.ieu, de celui qui voit la vision du Tout-Puissant, de celui qui tombe et dont les yeux s'ouvrent », jalousa l’œuvre de Moché, et dans sa perversité, chercha à détruire le peuple juif. Les dix explorateurs, chefs des tribus et personnes de renommée, conduisirent leur génération, celle de Moché, vers la mort. Chévnah, grand ministre et érudit exceptionnel, membre du gouvernement du roi pieux Hiskia, trahit son peuple et capitula devant l’empereur assyrien. Son attachement aux richesses et aux plaisirs entraina sa perte. Enfin, l’étude sans la modestie exigée, ne vaut rien :
« L’homme qui étudie la Torah, mais qui s’oppose à ses parents, ses maîtres, et à tout celui qui est plus grand que lui…, mieux aurait valu qu’il ne naisse jamais ». Cette étude détruit la personne :
« Celui qui étudie avec un bon esprit, la Torah est pour lui un médicament de vie ; celui qui étudie « chélo lichma », elle devient pour lui un poison ». La tartufferie est en contradiction total avec une vraie érudition :
« Rava dit : Chaque érudit dont l’intérieur ne correspond pas à l’extérieur, n’est pas un érudit ». Abbayé dit : il s’appelle dégoutant… ». Toute érudition qui n’est pas accompagnée par une crainte de D.ieu, et qui n’est pas mise en pratique, ne sert à rien :
« Rabbi Jonathan dit : quel est le sens du verset : A quoi servent des choses de valeur dans la main d’un imbécile, d’acheter la sagesse sans un cœur ? Gare aux (ennemis des) érudits qui étudient la Torah sans la Crainte du Ciel. Rabbi Yanaï dit : dommage pour celui qui n’a pas de maison, et qui acquière une porte de maison. Rava disait aux rabbins : je vous en supplie, ne vous faites pas gagner un enfer double, (l’étude sans crainte du Ciel est un double enfer, on ne profite pas bien de ce monde, et on n’aura pas non plus le monde futur, Rachi) ».
Un siècle avant la destruction du Temple, quand l’empereur Hérode commence son règne, il fait rentrer à son service le sage Menahem, Av Beth-Din à Jerusalem, avec 160 de ses élèves ; tous se laissent corrompre. Pour que cela ne se reproduise pas, les successeurs de Menahem, l’illustre Chamaï et ses élèves, ont interdit l’accès à la Yéchiva à tous ceux qui n’auraient pas acquis un caractère raffiné : « Bet-Chamaï disait : on n’enseigne (la Torah) qu’à celui qui est prévoyant, modeste, de bonne famille et heureux de ce qu’il possède » .
Hillel et ses élèves par contre n’ont pas fermé la porte à ces élèves, car ils espéraient que l’étude de la Torah améliorerait leur caractère :
« Bet-Hillel dit : on enseigne à tout le monde, car beaucoup de pécheurs juifs se sont approchés à l’étude de la Torah, et sont devenus des justes, des pieux et des honnêtes gens ».
Un siècle après ces événements, le président du tribunal de Yavnéh, Rabbi Gamliel, est de nouveau confronté à des élèves hypocrites, et leur interdit l’accès à la maison d’étude :
« Rabbi Gamliel proclamait : tout élève avec un intérieur qui ne correspond pas à son extérieur (qui est artificieux, dissimulé), ne rentre pas à la maison d’étude ».
Bien que Rabbi Gamliel soit l’arrière-petit-fils de Hillel, qui lui, permettait en son temps l’entrée à la maison d’étude pour tout le monde, Rabbi Gamliel en décida autrement. En fait, à l’époque de Rabbi Gamliel, les apostats tentèrent de détacher les juifs du judaïsme pour les convertir au christianisme, et Rabbi Gamliel et son tribunal se virent obligés d’instaurer la Birkat haminim, la « bénédiction » contre les renégats. Il contrôla alors l’accès à la Maison d’étude, afin que des élèves sournois ne se mêlent pas, et ne corrompent par la suite les autres. Après la destitution de Rabbi Gamliel, le nouveau président, Rabbi Eléazar ben Azarya, donna le droit d’entrée à tout le monde, et « on ajouta quatre-cent bancs dans la maison d’étude ».
Ce ne sont pas exclusivement les étudiants superficiels qui risquent d’être désorientés ; même un véritable sage peut déraper momentanément. Rabbi Eléazar ben Rabbi Chimon, joyeux et suffisant après de longues études chez son maître, rencontre un homme d’extrême laideur et lui dit :
« Comme tu es laid ! ». L’autre répond : « Vas-donc chez Celui qui m’a créé et dit lui : quel objet laid as-Tu fabriqué ! ». Rabbi Eléazar ben Rabbi Chimon demanda toute de suite son pardon ; par la suite, il enseigna : « Sois toujours tendre (modeste) comme un roseau, et non pas dur (arrogant) comme un cèdre ».
En conclusion, nous dirons que le manque d’érudition en matière religieuse a de grandes chances d’entrainer d’immenses défauts, mais l’érudition et la pratique religieuse ne sont pas des solutions « automatiques ». Pour que la religion n’ait pour fruit que le bien, il faudra forcément mettre un grand accent sur l’apprentissage et la pratique du Dérekh-Eretz.
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