La culture moderne nous enseigne à « arrêter notre course et à respirer les roses » (NdT : phrase symbole de l'épicurisme). Elle nous invite à nous détendre, à nous délester de nos fardeaux. Il parait que l'on gesticule sans relâche. Nous devrions prendre le temps de vivre et « dé-stress-er », comme si toutes les actions que nous effectuons étaient équivalentes en valeur et en poids.
Il ne s'agit pas tant de faire une pause dans nos activités que de prioriser ce que nous faisons pour que nos vies aient une valeur et une signification. Nos enseignements sont clairs. Plutôt que de mettre de côté toutes nos activités, il y en a deux pour lesquelles nous devons ressentir une priorité absolue : étudier la Torah et nous repentir. Dans la prière du Chéma’, la Torah est très claire à ce propos : « Ces paroles, que Je te prescris aujourd'hui, seront en fronteau sur ton cœur et entre tes yeux. »
Nos Sages commentent que le mot « Hayom » « aujourd'hui » signifie que « la Torah devra être toujours fraîche dans votre esprit, comme si vous l'aviez reçue aujourd’hui ». En ce qui concerne le devoir de se repentir, Rambam enseigne « qu'un homme doit toujours s'introspecter comme si sa mort était imminente et qu'il pensait qu'il allait mourir dans l'heure en risquant de rester dans un état de péché ».
Aujourd'hui ! Maintenant ! La Torah m'est donnée chaque jour.
Chaque jour, c'est Roch Hachana !
Il n'est pas suffisant de se limiter à étudier, à acquérir des informations et des connaissances. Etudier la Torah consiste à se repentir, à devenir la personne que l'on est censée être. Le fait même d'étudier implique, d'abord et avant tout, d'avoir conscience que Dérèkh Erets Kadma Latorah, que notre humanité prévaut à notre Torah. En d'autres termes, sans Dérèkh Erets, l'étude de la Torah n'est que la plate récitation d'un savoir et non le parcours significatif, affirmatif et ennoblissant de la vie d'un Juif.
Où apprenons-nous que le Dérèkh Erets doit précéder l'étude de la Torah ? La réponse est à la fois courte et longue : Lag Ba’omer, le trente-troisième jour du compte de l'Omer. Lag Ba’omer marque l'arrêt de la peste qui a causé la mort de vingt-quatre mille disciples de Rabbi Akiva.
Vingt-quatre mille brillants jeunes étudiants en Torah ! Perdus à jamais ! Inimaginable ! Perdre un seul jeune est déjà une horreur indicible. Souvenons-nous de nos trois jeunes Ba’houré Yéchiva, une tragédie nationale. Alors en perdre autant... Comment pouvons-nous même appréhender ce drame ? Comment pouvons-nous donner un sens à une telle horreur ?
Comme nous, nos Sages ont été interpellés par cette même question. Leur réponse ? Ces étudiants sont morts parce qu'ils ne se respectaient pas suffisamment les uns les autres. Leur étude de la Torah et leur érudition étaient considérées comme acquises. Ils ont étudié la Torah comme n’importe quel autre savoir, sans enthousiasme, ni excitation, ni cette passion qui nait de connaissances nouvelles, d’une motivation renouvelée, d'idées originales. Ils se sont délectés de leur éclat plutôt que de l'éclat de la Torah. Ils ont été « repus » de leur étude, elle ne les a ni remis en cause, ni mobilisés.
Lag Ba’omer est désormais connue comme « la fête des étudiants en Torah » pour rappeler à ceux qui se consacrent exclusivement à l'étude de la Torah que cela est bien plus qu’une « quantité » de connaissances, plus que la science contenue dans les livres et les textes que l'on peut absorber. L'étude de la Torah englobe aussi la « qualité » de l'apprentissage, l'amitié et le dévouement pour les autres étudiants, l’enthousiasme pour la parole divine, une sensibilité croissante et des sentiments émanant de l'objet étudié, une réaction à l'étude de la Torah qui peut être comparée à celle de Matan Torah (don de la Torah).
Que dire de l'arrogance tacite d’un jeune étudiant ? Cela a existé à cette époque. Cela existe de nos jours. Avons-nous appris la leçon de Lag Ba’omer ?
Chaque jour ! « Hayom » !
Réfléchissons au manque de respect et de Dérèkh Erets dont nous avons été témoins récemment aux funérailles du Gaon Rav Chmouel Wozner. L'horreur de la bousculade suffocante, la cohue et le chaos font irruption quand « ils ne se témoignent pas mutuellement de respect ». Des milliers de personnes suffocant dans un espace destiné à des centaines, cela n’aurait pas dû aboutir à une telle tragédie, laquelle est à l'opposé de l'honneur dû à celui qui incarnait Matan Torah et Chavou’ot.
Aujourd’hui.
En ce jour.
Aujourd’hui nous recevons la Torah. Aujourd’hui, comme si c’était notre dernier jour, nous nous repentons comme à Roch Hachana. En agissant ainsi, nous faisons notre introspection et pouvons déterminer si, à notre grande honte, nous sommes en tort. Car aucun de nous ne peut faire face à D.ieu, sachant a priori que ce qu’il a fait est honteux.
Pouvons-nous constamment demander à D.ieu de nous aider à éviter la honte ? Quand nous bénissons un mois nouveau à Roch ‘Hodech, nous demandons « une vie sans honte ni humiliation ». Dans la bénédiction ‘Al Hatsadikim du Chmoné ‘Essré, nous prions : « Place notre sort avec eux pour toujours et nous n’aurons jamais honte. »
Dans une bénédiction de la prière du matin, juste avant de réciter le Chéma’, nous demandons : « Unifie nos cœurs dans l'amour et la crainte de Ton nom et puissions-nous ne pas avoir honte pour toute l'éternité ! »
Nos Sages ont été bien inspirés d’inclure une supplication demandant à n’être jamais honteux lors de nos plaidoyers sincères pour la Torah. Chavou’ot doit être intégré à Roch Hachana, tout comme la Torah avec la repentance, le Limoud (l’étude de la Torah) avec le Dérèkh Erets. Sans cela, nous pouvons en arriver à pousser, bousculer, participer à une tragédie indicible.
En quelque sorte, nous créons Lag Ba’omer.
Cette exigence de faire de chaque jour d’étude de la Torah un jour de Matan Torah ne s’impose pas seulement aux étudiants, mais aussi à leurs enseignants. Toutes les personnes impliquées dans l'enseignement de la Torah feraient bien de réfléchir et de se poser la question suivante : « Suis-je à la recherche de nouvelles méthodes et d’intéressantes pour présenter la Torah ? Suis-je créatif et novateur dans ma méthodologie et dans mon cheminement ? Fais-je preuve de Dérèkh Erets tout en enseignant la Torah ? »
Il incombe aux étudiants d’apprendre.
Il incombe à leurs professeurs de leur enseigner de la façon dont nous souhaitons que nos étudiants apprennent. Le but de l'éducation toranique efficace doit être de tenter de faire de tous les jours, chaque jour, une expérience unique et spéciale pour les étudiants afin qu'ils quittent nos salles de classe dans le même état d’esprit que nos ancêtres ont quitté le Sinaï : impressionnés et inspirés.
Chaque jour que D.ieu fait.
Le Midrach Tan'houma sur la Paracha Ki Tavo résume la situation : Qu'entend-on par « ce jour ? ». Le Saint, béni soit-Il, n’avait-Il pas ordonné ces préceptes pour Israël jusqu'alors ? L'année où ce verset a été indiqué n’était certainement pas la première de la Création. Pourquoi le verset précise-t-il donc : « Ce jour » ? Voilà ce que Moché voulait dire quand il s’est adressé à Israël : « Chaque jour, faites que la Torah vous soit aussi chère que si vous l'aviez reçue ce jour au mont Sinaï ».
Aujourd’hui.
Chaque jour c’est Chavou’ot. Chaque jour c’est Roch Hachana.
Chaque jour est un jour de Matan Torah. Chaque jour, un Juif doit renouveler et renforcer son enthousiasme, son engouement et son plein engagement pour la Torah. La Torah doit être chaque jour reçue de nouveau comme si elle était reçue au Mont Sinaï.
La joie et la satisfaction de l'étude de la Torah ne doivent pas être limitées à des journées spécifiques ou à des occasions spéciales. Elles doivent être permanentes, sans cesse renouvelées et continuellement répétées. L’étude de la Torah doit toujours inspirer spirituellement et élever émotionnellement. C’est pour cette raison que le Kéli Yakar dit que le même enthousiasme et la même passion qui ont été ressentis à la Révélation au Sinaï doivent être recherchés et retrouvés chaque jour.
Le Kéli Yakar pose le même raisonnement concernant le fait que la Torah omet le terme « Roch Hachana », ainsi que son association directe avec le Din (jugement) et la repentance. Un homme peut-il pécher toute l'année en ne pensant à se repentir que lorsqu’il se rapproche du Yom Hachem, le jour où D.ieu siège en jugement ? Non. Il doit plutôt imaginer que D.ieu siège en jugement chaque jour et enregistre ses actions quotidiennement. S’il est capable de penser de cette façon, il sera constamment engager dans la repentance, chaque jour.
Et il n’aura jamais honte.