Après minuit, Rav Aharon Margalit s’installe seul à son bureau, et son fax émet un document qui va lui changer la vie ou, peut-être, plus justement, « qui va lui faire la mort ».
Dans des petits caractères latins et un peu troubles, il est écrit noir sur blanc : Aharon Margalit est atteint d’un cancer particulièrement violent, qui l’a atteint tout près du cortex cérébral.
Le monde est brisé et explose en morceaux. L’avenir semble plus court que jamais.
L’appartement spacieux semble être superflu et ne présenter aucun intérêt. Tout tourbillonne devant ses yeux, la réalité et l’imaginaire se mêlent, et ce, non pas sous un angle positif.
Rav Margalit est brisé, éclate en sanglots, mais après huit minutes, le Rav Margalit se ressaisit et retrouve ses esprits. C’est un homme très concret, et, comme toujours, même à ce moment-là, il se met à réfléchir en termes réels. Que faire ? Comment préparer un testament ? Comment se préparer au pire de la meilleure façon possible ? Mais aussi, comment mener la guerre contre l’ange de la mort ? Se soumettre et attendre avec désespoir ? Pour lui, cette option n’est pas du tout envisageable.
Aux côtés du programme que le Rav Margalit a préparé de façon ordonnée et typée, quelques heures après avoir appris que sa mort approchait, il a également pris une décision stratégique qui allait l’accompagner depuis ce jour-là et, jusqu’à présent, plus d’une décennie après cette rude bataille contre la mort.
« Ma décision était très claire, raconte-t-il. J’ai décidé que, peu importe ce qu’il adviendra de moi et quel que soit mon état, je suis ici pour faire ce qu’Hachem attend de moi. À présent, il me reste à comprendre ce qu’Hachem veut de moi. Je me suis alors adressé à Hachem, dans un discours direct, et ai commencé à lui parler. "Papa, lui ai-je dit, je voudrais que Tu me fasses comprendre ce que Tu veux de moi. Si je comprenais, je ferais. Je ne suis pas en colère contre Toi d’avoir fait abattre sur moi une maladie si terrible. Je n’essaie pas de lutter contre Ta volonté, je veux simplement savoir ce que je dois faire. Quelle est ma mission maintenant dans ce monde ici-bas ?"
Pendant une longue heure, je me suis adressé ainsi à Hakadoch Baroukh Hou. Je me suis fortement attrapé à la table et j’ai crié d’une voix silencieuse. "Papa, mon cher Papa… Qu’est-ce que Tu veux de moi ? Fais-moi seulement comprendre et j’accomplirai Ta volonté."
Ainsi, j’ai continué à parler et à supplier pendant une heure, voire une heure et demie. Puis, j’ai senti qu’Hachem éclairait mes yeux et me fit comprendre quelle était, à présent, ma mission. J’ai senti comme s’il me disait : "Aharon, c’est vrai que jusqu’à maintenant, tu t’es efforcé d'encourager les malades, tu t’es investi pour apporter de l’aide à celui qui était dans le besoin, pour réjouir les personnes qui avaient du mal à se réjouir de par leurs propres moyens, mais… où as-tu fait tout cela ? Dans ton bureau confortable ? Ce n’est pas assez bien. À présent, je souhaite que toi, Aharon, tu ailles réjouir les gens qui se trouvent dans les endroits les plus sombres et les plus douloureux, Je t’envoie dans les fosses de la douleur la plus profonde, à un endroit où Mes enfants sont alités et gémissent de douleur, là où on leur injecte des poisons dans les veines pour combattre leur maladie, c’est là-bas que Je t’envoie ! Es-tu capable de pénétrer en ces lieux et d’y accomplir cette mission ? Pourrais-tu remplir ta tâche bien que tu sois toi-même attaché exactement de la même façon à des tuyaux de poison qui te brûle toute surface lisse de ton corps ?! C’est cela ta mission Aharon ! Tu es obligé d’entrer là-bas, mais ce n’est pas possible d’y accéder sans les uniformes adéquats. Or, dans un tel contexte, l’uniforme n’est autre que la maladie elle-même." C’est ce qu’Hachem me dit.
" J’ai de nombreux enfants brisés, va leur parler de foi, de confiance, du rôle des souffrances dans ce monde. Va leur faire oublier pour quelques minutes leur terrible souffrance, fais dessiner un sourire sur leurs lèvres." Depuis cet instant, j’ai senti que j’étais l’ambassadeur du Maître de l’univers. La maladie est ma carte de visite, mon ticket d’entrée.
Je me suis comporté comme un consul. J’ai parlé avec les gens dans des moments les plus difficiles. Avec tout le monde. Je n’ai ignoré personne. Je suis ici en mission. Je n’ai pas le temps de me préoccuper de mes souffrances personnelles. Personne ne sortait sans m’avoir entendu. Je me suis comporté comme un bébé, comme un enfant. Je faisais des sottises pour les réjouir, pour capter leur attention. De temps à autre, je me ravisais et je ne croyais pas moi-même que je me comportais ainsi, mais je jouais mon rôle. Personne ne réussissait à se dérober de moi. J’entretenais des relations avec chaque malade que je croisais. La majeure partie de mes traitements, je les suivais en hôpital du jour. Vous arrivez le matin et vous entrez dans une salle destinée aux traitements chimiothérapiques, et c’est là que vous passez la majeure partie de la journée. Cela commence par un bilan sanguin, puis on vous commande les "sacs" de la pharmacie. Il y en avait 6 suspendus à deux "piliers ambulants". Je prenais les deux et je me promenais avec dans la grande salle, en passant d’un lit à l’autre, d’un malade à l’autre. Je passais entre les lits et les fauteuils des personnes qui étaient sous traitement. Chacun avec son histoire, chacun avec son poison. Il y avait des personnes avec lesquelles je pleurais, je rigolais. Il y avait certains avec lesquels je me liais d’amitié. Ce n’était pas toujours possible. Certains suivaient des traitements difficiles qui causaient des nausées, des vomissements et de très mauvaises sensations, une faiblesse indescriptible.
Mais j’étais un "consul". J’étais constamment en action pour les réjouir, les renforcer, leur donner espoir, les aider à comprendre que nous sommes là pour une raison qui, parfois, nous échappe. Ces souffrances ont un but, elles ne sont pas vaines… Elles ont une raison et un objectif… comme toute autre chose qui se passe dans le monde qu’Hakadoch Baroukh Hou a créé.
J’étais un consul et j’ai mérité de guérir. Je suis à nouveau tombé malade et j’ai guéri, et, à nouveau, à D.ieu ne plaise. Je suis encore un ambassadeur… J’organise des conférences, j’ai écrit un livre ("Tant qu’il y a de la vie"), et on m’invite à diverses occasions pour discuter avec les malades en situation difficile ou avec des enfants atteints de graves maladies. On m’invite dans les abîmes de la chimiothérapie et je fais tout ce que je peux pour les réjouir, les renforcer, et transmettre le message qu’au bout du compte, nous sommes tous des consuls. Pas moi seulement, mais chacun de nous… Vous aussi vous êtes des consuls ! À chacun de trouver et de comprendre quelle est sa mission sur terre et de la réaliser en s’attachant à cet objectif. »