Après plus d’un mois de confinement, après une économie au point mort, après des centaines de milliers de victimes à travers le monde, nous sommes nombreux à penser que rien ne sera plus jamais comme avant. Cela sera-t-il vraiment le cas ? D’un côté, la pandémie de covid-19 n’est pas la première de l’histoire, d’autres l’ont précédée, et pourtant…le temps a rapidement laissé place à l’oubli. Qui se souvient de la grippe de Hong Kong de 1968 ? Elle a pourtant tué environ 1 million de personnes, dont 30 000 décès en France. Certes les politiques et les médias n’y prêtèrent guère attention à l’époque. Le 11 décembre 1969, un chroniqueur du Monde écrit ainsi que « l'épidémie de grippe n’est ni grave ni nouvelle. Est-il bien utile d'ajouter à ces maux les risques d’une psychose collective ? » Cela dit, les victimes furent bel et bien réelles. Pourquoi la tragédie de tant de disparitions n’a-t-elle pas marqué les esprits ?
Nos sages nous éclairent à ce sujet dans un passage du Talmud. Il est écrit dans la guemara Chvouot 41 : « Un créancier demanda à son emprunteur : rends-moi l’argent que je t’ai prêté. Celui-ci lui répondit : je t’ai déjà remboursé devant untel et untel. Le tribunal rabbinique a convoqué les deux témoins, mais ils ont tous deux nié l’affaire. Ils n’avaient jamais assisté au remboursement de l’emprunt. Rav Sheshet pensa donc discréditer l’emprunteur. C’est alors que Rava lui dit : un homme oublie ce dont il n’a pas obligation de se souvenir. Bien que l’emprunteur ait contracté son emprunt devant des témoins, il se peut qu’il l’ait remboursé en leur absence, et qu’il l’ait oublié. En effet, selon un avis du Talmud, une personne qui emprunte de l’argent devant témoin n’a pas l’obligation de le rembourser devant eux. Quoi qu’il en soit, nos sages nous indiquent que la mémoire est conditionnée par le devoir. Et lorsqu’il n’y a pas d’obligation, on oublie.
Ceci s’applique tout particulièrement aux souffrances. Il est ainsi écrit dans le traité de Pessa’him (54b) : Hachem a décrété que l’on oublie le défunt. La peine et le deuil excessif empêchent la réalisation et l’établissement d’une vie harmonieuse. C’est pourquoi Hachem nous a gratifié de l’oubli. Il y a cependant des évènements historiques si importants que nous ne devons pas les oublier. Comment pouvons-nous les garder dans nos cœurs ? Certains instaurent à cet effet des cérémonies du souvenir. Cela est certes louable, mais il existe quelque chose de bien plus puissant que toutes les cérémonies pour ne jamais oublier. Le Ramban écrit dans sa fameuse lettre à son fils : « Veille particulièrement à étudier la Torah afin de pouvoir l'accomplir, et ayant achevé l'étude d'un texte, applique-toi à y trouver ce que tu peux mettre en pratique. » Le secret de la réussite dans l’étude de la Torah ainsi que d’une vie juive riche et harmonieuse est de s’appliquer à trouver ce qui peut être mis en pratique. Notre étude nous transforme et fait ainsi partie de nous pour toujours.
La vie est une vaste page de Talmud qu’il nous appartient d’étudier avec diligence. Hachem nous éprouve afin que nous grandissions. Il veut que nous nous réalisions et que nous exploitions au mieux notre potentiel. Le but n’est pas de se souvenir des évènements qui jonchent notre histoire, mais d’apprendre d’eux et de grandir par leur biais. La crise du covid-19 n’échappe pas à cela. Elle sera ce que nous en ferons. On s’en souviendra ou on l’oubliera comme la grippe de Hong Kong. Cela ne dépendra que d’une chose : est-ce que nous nous appliquerons à y trouver quelque chose que nous pouvons mettre en pratique, que nous pouvons vivre ? Saurons-nous trouver dans cette crise quelque chose qui fera de nous de meilleurs êtres humains, de meilleurs Juifs ?