Mon histoire contient un double message, spirituel et médical, et j’ai pensé qu’il serait utile de la publier, même si cela n’est pas facile pour moi.
Je suis né dans une famille traditionaliste, mon père travaille dans la police et ma mère est femme au foyer. J’ai étudié à l’école puis dans un lycée laïc, et vers l’âge de 16 ans et demi, j’ai commencé à m’intéresser à la religion. Peu à peu, seul, j’ai commencé à faire Téchouva.
Je quittai mon lycée et entrai à la Yéchiva. Je n’eus aucun problème à la maison. Au contraire, mon père était inquiet, à juste titre, du genre de fréquentations que j’avais au lycée, et voyait d’un œil positif mon renforcement religieux.
J’ai étudié à la Yéchiva jusqu’à l’âge de 19 ans. Je portai un chapeau et un costume, et j’étais en tous points un élève de Yéchiva. On peut même dire que j’étais quelque peu Tsadik : je priais, j’étudiais, je faisais preuve de rigueur dans l’accomplissement des commandements. Tout.
À l’âge de 19 ans, je décidai de passer mon permis de conduire. Il s’avéra que ce fut une piètre décision, car le fait même de quitter le Kodech, le sacré, pour le domaine du profane, ébranla ma crainte divine. Je commençai à m’intéresser à des domaines superficiels.
Compte tenu de la nature du Yétser Hara' - le mauvais penchant doté d’un pouvoir indépendant -, dès que je commençai à m’introduire dans ce monde, je perdis une partie de moi-même et commençai à sortir du cadre de la Yéchiva, à me rapprocher de mes anciens amis du lycée, dont certains avaient quitté également le lycée. Très rapidement, je me retrouvai en dehors de tout cadre scolaire, vivant la nuit plutôt que la journée, fréquentant de mauvais amis. Et la Kippa ? Elle avait tout bonnement disparu…
Mon père suivit mon évolution avec inquiétude. Il avait du mal à faire face à la situation. Autant il avait été fier de moi lorsque j’étais élève de Yéchiva, autant il avait honte de moi à l’état actuel. En tant que policier, il redoutait surtout mon rapprochement avec des jeunes sans structure scolaire. Je restai tout de même prudent pour lui, mais je dois avouer que j’étais sur le point d’être emporté par eux.
J’entame ici le récit principal de ma vie.
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Environ un an après avoir quitté la Yéchiva, je sentis subitement des douleurs vives dans le bas du dos. Puis soudain, je n’arrivai plus à me soulager. J’ignore pourquoi je n’eus pas l’idée de me rendre chez mes parents ou de me confier à quelqu’un. Je souffris de douleurs atroces et je ne fis rien.
Une semaine passa, je sentis que j’enflais et je souffrais d’affreuses douleurs. Jusqu’à aujourd’hui, personne ne comprend comment j’ai pu souffrir ainsi.
À un moment donné, j’ai senti que quelque chose allait m’arriver. J’avais une forte fièvre et ma conscience commençait à se troubler. Je réussis à téléphoner à ma mère et à lui dire que je ne me sentais pas bien. Le combiné me tomba de la main et je m’évanouis.
Mon père et ma mère se rendirent à l’appartement où je me trouvais, et me trouvèrent évanoui. On me conduisit à l’hôpital.
À l’hôpital, on me fit subir des examens, et les résultats stupéfièrent les médecins. Au départ, ils crurent que les résultats n’étaient pas justes. Tous les taux étaient bien plus élevés que la norme. Ils me firent d’autres examens et découvrirent que la situation était encore plus grave. Ce qui les sidéra, c’était le résultat de mon taux de créatinine.
La créatinine est une substance extrêmement nocive pour le corps, et le taux le plus élevé permis chez l’homme est de 1,4. Les reins, entre autres, neutralisent la créatinine et l’extraient du corps par les secrétions.
Si un homme a un taux entre 7 et 14 de créatinine, il est au seuil de la mort. Mon taux s’élevait à… 30.
Il s’avère que pendant deux semaines, le fonctionnement de mes reins s’était dégradé peu à peu jusqu’à s’effondrer totalement. Je n’avais pas compris que si on ne peut faire ses besoins, c’est le signe que les reins ne fonctionnent pas. Je n’avais pas compris la signification de reins déficients. « …Si l’un d’entre eux (un orifice) se bouche, il n’est pas possible de survivre ni de se tenir debout devant Toi, même un cours instant. »
J’arrivai précisément au moment où ils avaient simplement cessé de fonctionner.
On me fit tout de suite une dialyse - qui consiste à aspirer tout le sang du corps, à le filtrer et à le remettre dans le corps - un acte qui sauva ma vie avec un nombre infini de médicaments, la mise sous respirateur, etc. Mais après m’avoir sauvé la vie, les médecins durent annoncer une terrible nouvelle à mes parents : mes deux reins étaient définitivement hors d’usage.
Je sortis de l’hôpital au bout d’un mois, et à partir de là, ma vie n’en fut plus une. Je voudrais ici décrire la vie difficile des malades des reins, pour avertir le public de prendre soin de ses reins et de sa santé.
Ma vie était réduite à néant. Trois fois par semaine, je devais me rendre à l’hôpital pour me brancher à l’appareil de dialyse pendant 5 ou 6 heures.
Il faut savoir que la seule manière d’extraire les détritus et les liquides de mon corps était la dialyse. Si je pesais 70 kilos avant cette histoire, je perdis rapidement du poids et ne pesai plus que 45 kilos.
Le processus de la dialyse est douloureux et affaiblit énormément, car il s’agit d’extraire tout le sang du corps et de le réintroduire, à raison de trois fois par semaine. On se fait peser avant et après la procédure. Lors de la seconde pesée, on découvre alors que l’on a perdu deux kilos par rapport à la première pesée. C’est comme si un seau de liquide était sorti de votre corps. Il en fut ainsi pendant 6 mois.
Les médecins informèrent alors mes parents qu’ils devaient se soucier d’une greffe des reins pour moi.
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Il n’est pas nécessaire de décrire ce qu’est une greffe des reins, et surtout, la longue liste d’attente que cela entraîne. Au départ, mes parents pensèrent à attendre mon tour. Ils se renseignèrent ensuite sur une greffe en contrepartie d’un paiement, mais ils découvrirent qu’ils ne possédaient même pas un dixième de la somme. Mais ce qui dérangeait le plus mon père, c’est que cette procédure n’était pas légale, et, en tant que policier, il ne pouvait se le permettre.
Peu à peu, une décision mûrit dans son cœur : celle de me donner un rein. Je suis obligé de préciser que mon père n’a pas été chez le médecin pendant 40 ans. Depuis son enfance, il a toujours été sain et robuste, les maladies lui étaient inconnues. Il devait à présent entrer à l’hôpital pour une opération sérieuse où l’on devait lui extraire un rein pour le transplanter dans le corps de son fils.
Il le fit par amour et de tout son cœur. Après 6 mois de souffrances, nous entrâmes tous deux en salle d’opération. On lui retira le rein que l’on greffa dans mon corps.
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Je me remis rapidement, comme si rien ne m’était arrivé. Il s’avère qu’un rein peut effectuer le même travail que deux. Je fus vite libéré de l’hôpital et je redevins comme tout le monde.
Mais après l’opération qui n’avait été faite que pour moi, je vis à certains moments mon père, généralement fort, robuste et courageux, temporairement faible, et cette vision eut un certain effet sur moi.
Il est difficile d’expliquer ce que je ressentis. Bien que mon père m’ait dit que tout valait le coup pour que je sois en bonne santé, je me sentais affreusement coupable. Je fis vœu de consacrer ma vie à mon père.
J’allai lui parler, je lui embrassai la main et lui dis : « Papa, je ferai ce que tu me diras de faire. »
Il me répondit : « Si tu me le demandes, la plus belle période de ton existence est celle où tu as été élève de Yéchiva. Je sais qu’il est déjà tard, mais sache que cela m’a apporté beaucoup de satisfaction. Ce qui m’est le plus difficile dans mon état de santé fragile, c’est de te voir en compagnie de ces amis-là. »
Je sortis de son bureau en ayant pris une décision claire : « je retourne à la Yéchiva. »
Je fis immédiatement le pas. J’entrai dans une Yéchiva pour Ba'alé Téchouva, je coupai sur-le-champ le contact avec mes anciens amis. Je n’avais aucun problème avec les nuances du monde orthodoxe, les ayant parfaitement connues ; telle une voiture qui avait dévié de sa voie, s’était quelque peu empêtrée dans le sable et était revenue sur l’autoroute - c’était mon parcours ; je retournai sur la route et je commençai à avancer à toute allure.
J’étudiais bien, j’accomplissais les Mitsvot et je redevins l’homme qui trouvait grâce aux yeux de mon père. La réaction de bonheur et d’enthousiasme de mon père décupla mes forces. Il me dit : « Tout vaut la peine dans le but de te voir comme ça. »
À l’âge de 21 ans, on me proposa des Chiddoukhim, des partis que l’on offre aux malades des reins. Mais je me disais : « Tu as été malade des reins, mais maintenant, tu es en parfaite santé ». Je ne fis pas de concession. J’obtins finalement un excellent parti, une jeune fille vertueuse, animée de la crainte du Ciel et intelligente, issue d’une excellente famille, et sans aucun problème.
Nous nous sommes mariés et avons fondé notre foyer.
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Au bout d’un an et demi, ma femme mit au monde un garçon. Nous organisâmes une magnifique Brit-Mila. J’offris à mon père le rôle de Sandak, de parrain du bébé. Lorsque le Rav arriva aux paroles « Et il sera nommé… », j’annonçai le nom de mon père. Le Rav annonça le nom, et mon père et moi éclatâmes en pleurs. Toutes les personnes présentes furent elles aussi emportées par l’émotion.
Tout le monde savait parfaitement combien mon père avait sacrifié pour moi, combien d’années de souffrances il avait dû subir pendant la période où je ne lui avais causé que de la tristesse et de la honte ; malgré tout, il m’avait offert l’un de ses membres pour que je puisse arriver dans l’état de me marier et de fonder une famille. L’honneur que je lui rendais était le minimum du minimum que je pouvais lui offrir.
Mes frères suivirent mes traces l’un après l’autre et firent tous Téchouva. Aujourd’hui, ils étudient la Torah.
Mes parents se sont également rapprochés de la religion, et on peut affirmer aujourd’hui qu’ils sont totalement pratiquants. Peut-être pas ‘Harédim, mais ils ne sont plus traditionalistes. Ils portent un couvre-chef, prennent soin d’accomplir les Mitsvot et respectent intégralement le Chabbath.
Le Saint Béni soit-Il dispose de moyens divers pour prodiguer du bien à Ses créatures. Je sais très bien, au fond de moi, que cette histoire terrible m’a sauvé de l’enfer. Aujourd’hui, avec 6 enfants, j’observe les amis qui m’entouraient à l’époque et je sais à quel point le Saint Béni soit-Il m’a sauvé la vie. Certains sont en prison, d’autres ont tenté de fonder une famille, mais sans succès, et certains ne font rien de leur vie. La destruction de mes reins a été une chose effroyable, mais cela m’a évité de détruire ma vie.
Je vis avec le sentiment d’être redevable envers mon père, je lui rends honneur, je le sers, lui donne satisfaction et lui témoigne des marques d’honneur, mais j’ai l’impression que ce n’est pas assez.
Il y a peu de temps, il m’a complimenté en ces termes : « J’imagine ma famille sans toi, il n’y avait ni religion, ni honneur, ni satisfaction. Tu as introduit une grande bénédiction éternelle dans cette maison, et je te le dis, mon fils : sache que je ne t’aurais pas seulement offert mon rein, mais aussi mon cœur… »