On connaît le vers du poète pour exprimer l’AMOUR : « Va, je ne te hais point ». La haine est-elle une absence d’amour, ou exprime-t-elle un rejet réel ? Ou encore, plus profondément, exprime-t-elle un besoin d’amour, c’est-à-dire de s’identifier avec l’objet haï ? 

Toutes ces questions doivent être posées au moment où la HAINE semble déborder dans le monde contre Israël et en Israël, contre le public orthodoxe. On l’a souvent remarqué : de La Haye ou New-York à Jérusalem, c’est le même déferlement de haine, et – ce qui est remarquable – il apparaît souvent une coïncidence entre un blâme du tribunal de La Haye et une décision du Tribunal de Jérusalem contre les étudiants de Yéchiva. Cette coïncidence mérite réflexion, car il ne saurait exister de hasard. À partir de cette situation, il nous appartient de réfléchir à cette convergence de deux haines. Cela mérite approfondissement !

De quelle haine s’agit-il ? Haine ethnique, haine idéologique, haine religieuse ? Dans le cas qui nous occupe, il semble que la haine soit due au fait que l’AUTRE possède ce que le second n’a pas. Jalousie donc, mais pas n’importe quelle jalousie ! Non pas jalousie de la possession, mais jalousie du SENS, de la valeur de l’existence, et donc de la PERMANENCE. La vie vaut-elle d’être vécue à tout prix, ou est-il nécessaire de vivre ? À ce niveau, il semble que la réponse d’Essav, le frère jumeau de Ya'akcov, soit emblématique. Quand Ya'acov veut payer le droit d'aînesse par un repas de lentilles, il s’attire la réponse « De toute façon, je vais mourir ! À quoi me sert le droit d'aînesse » (Béréchit 25, 31). Puisque de toute façon, la mort survient, pourquoi donner un sens à la vie ? Réponse significative et extrêmement actuelle ! L’idéologie n'existe plus, pourquoi donner un sens « au passage » ? La haine provient d’abord de cette attitude face à l’existence : on jalouse ceux qui donnent un SENS, c’est-à-dire une dimension spirituelle à notre vie charnelle.

La deuxième source de haine est inverse. Pascal parlait des Juifs « charnels ». La pérennité d’Israël. La seule nation de l’Antiquité qui existe à ce jour, et qui observe la même fidélité à « la Loi qui sur le Mont Sinaï nous fut donnée » (Racine), fidélité qui ne s’est jamais démentie. Cette pérennité d’Israël suscite l’adversité des nations, et ne s’inscrit pas dans une perspective moderniste. Les nations du monde haïssent ce monstre qui survit malgré tous les coups qu’il reçoit. Pourquoi résiste-t-il à toutes les attaques : depuis Pharaon, Nabuchodonosor, les Grecs, les Romains, malgré les croisades, malgré l’Inquisition, malgré le nazisme ! Cette résistance n’est pas naturelle – elle transcende le temps et on déteste celui qui, quoi qu’il arrive, survit. Tous les peuples ont disparu, et Israël reste le même Israël ! N’est-ce pas une raison de le haïr ? Pour les Juifs qui désirent abandonner leurs traditions, se confondre parmi les nations, celui qui se maintient, est moyenâgeux, antimoderne, et cela est aussi un motif pour haïr ces barbus qui défient le temps et étudient ces vieux textes, les respectent et se conforment à ces écrits ! Autre motif de la haine – intrinsèque au peuple, due à la pérennité, à la durée du Juif fidèle à sa Loi depuis si longtemps ? Les textes bibliques sont décortiqués, détruits, et, pour ces critiques, n’ont pas plus de valeur que la mythologie grecque, ou les textes de Bouddha ! En dehors du SENS, c’est donc la DURÉE qui dérange, dans une époque où le passé historique de l’humanité n’est qu’une image (d’Epinal) qui n’a plus sa place aujourd’hui.

Un troisième facteur explique cette haine persistante : il existe, dans la planète, un bouillonnement intellectuel, à chaque époque, et en particulier dans le monde moderne. Ce bouillonnement peut être utilisé dans tous les domaines : scientifique, artistique, médical, économique. Les Juifs y apparaissent dans une proportion qui dépasse de loin le nombre de sa population dans la planète. Il suffit de remarquer qu’Einstein ou Freud sont parmi les hommes qui ont le plus contribué à la naissance du monde moderne. La place des Juifs titulaires des Prix Nobel n’est nullement comparable à celle des autres nations de la planète. Parallèlement, les détracteurs du Talmud, par exemple, au sein du peuple juif, ne voient dans le Talmud qu’un recueil suranné de stupidités. Cela suscite la haine pour ceux qui voient dans les pages du Talmud une sagesse infinie. Un philosophe universellement connu comme Bergson se sentait étranger à son héritage juif. Par contre, il a fallu un Levinas pour rendre au Talmud ses lettres de noblesse, et il a su montrer la puissance intellectuelle de l’enseignement ancien des Sages. À l’inverse, cette difficulté de se référer à l’héritage traditionnel, fait partie intégrante des facteurs qui génèrent l’incompréhension, c’est-à-dire finalement la haine !

Les évènements de Sim'hat Torah – 7 octobre – ont évidemment réveillé cette haine. L’explosion des campus américains a trouvé une occasion d’exprimer leur haine. La réaction d’Israël au pogrom du 'Hamas est, évidemment, trop violente pour être acceptée comme une norme internationale, mais le feu a été allumé le 7 octobre, ne l’oublions pas ! Cette étincelle est à la source de l’indignation.

Prions pour que le conflit cesse, et espérons qu’il s’agit d’un dernier soubresaut avant l’arrivée de l’ère messianique, quand la haine se transformera en amour !