La vie moderne nous a habitués à focaliser notre attention sur ce qui nous est extérieur. Constamment, nous sommes envahis par les actualités, les débats politiques, nous lisons les journaux, écoutons la radio etc. Ainsi, nous avons pris l’habitude de nous intéresser à des éléments extérieurs à nous et avons perdu la capacité de nous focaliser sur notre intériorité. Les gens ont du mal à se retrouver seuls. Si c'est le cas, on ressentira bien souvent le besoin d’allumer la radio ou la télévision. Nous oublions que tout cela ne nous concerne pas réellement. Si on s’intéresse à soi, c’est uniquement lorsqu’on a faim, soif, ou que l’on est fatigué.
Pourtant, il s’agit là de sensations extérieures à la personnalité profonde de l’homme, sa néchama. Etre seul implique de se regarder en face et de se recentrer, d’entreprendre une introspection et de se poser les vraies questions sur la vie : qui suis-je ? D’où viens-je ? Vers quoi je me dirige ? Quel est mon but dans l’existence ? Nombreux sont ceux qui évitent de se confronter à ces questions de peur de se retrouver démunis face à l’absence de réponses, face à l'effroi que provoque ce constat... Le but de cette course effrénée vers le matériel est de taire ce questionnement existentiel.
Il ne s’agit évidemment pas d’être égocentrique. Bien au contraire, le judaïsme nous enjoint à nous préoccuper constamment d’autrui. Cependant, afin d’accéder à ce niveau élevé qui est celui de devenir un véritable ba’al ‘hessed, il est essentiel de sonder au préalable sa propre intériorité et de définir son identité.
La première étape de cette démarche consiste à s'écarter de la faute et à se sanctifier par la pratique des mitsvot. Pour cela, nous disposons de 613 domaines dans lesquels nous pouvons nous investir. Chaque mitsva de la Thora permet de se sanctifier et ainsi, de reconstituer sa véritable identité.
La seconde étape consiste à comprendre, conformément à l’enseignement du Ba’al Chem Tov, que tout ce qui se passe autour de nous et tout ce que nous voyons n’est pas dû au hasard. Qu’il s’agisse d’un acte quelconque ou d’une personne, tout ce que nous percevons est en réalité un message qu’Hachem nous envoie. Le monde est semblable à un miroir. A nous de décrypter les différents messages de la Providence. Nos Sages nous enseignent que lorsque l’on voit une avéra, une transgression du chabbat par exemple, cela signifie probablement que notre respect du chabbat demande à être amélioré ; si notre respect du chabbat était irréprochable, nous n’aurions jamais été confronté à la moindre transgression du chabbat.
Nous apprenons cela d’un épisode de la parachat Nasso. Cette paracha parle de deux thèmes différents : celui de la sota (une femme que son mari soupçonne de l'avoir trompé) et celui du nazir (un homme qui décide d'adopter une conduite plus stricte que la loi en matière de plaisirs : il s’abstient de boire du vin, ne se coupe pas les cheveux, etc.). Nos Sages posent la question de savoir pourquoi la Thora a-t-elle juxtaposé ces deux épisodes, qui n’ont apparemment rien à voir ensemble. Ils répondent : « Pour t’enseigner que celui qui voit la sota dans sa déchéance doit désormais renoncer au vin. »
En effet, lorsqu'une personne est témoin de graves transgressions, il arrive bien souvent qu’elle ne se sente aucun lien avec ce spectacle et qu’elle se mette à dénigrer ceux qui commettent ces avérot. Nos Sages nous enseignent ici que cette conduite est répréhensible. Au contraire, si nous sommes témoins de mauvaises actions, il est essentiel de reconnaître que nous non plus ne sommes pas à l'abri de telles transgressions et qu’il convient donc de faire preuve de plus de vigilance dans ces domaines. La réaction qui consiste à mépriser celui qui faute revient à se placer dans la situation du simple spectateur qui regarde les évènements extérieurs sans se sentir nullement concerné. Il faut être capable de rediriger ce que nous voyons vers un pôle intérieur afin d’en tirer leçon.
La même idée apparaît dans la parachat Lekh Lékha qui traite de la faute des explorateurs. Le récit des explorateurs est rapporté immédiatement après l’incident avec Myriam. Celle-ci avait été punie par la lèpre suite aux paroles qu'elle prononça sur son frère Moché rabbénou. Rachi explique cette juxtaposition en disant que la Thora souhaite nous montrer que ces hommes, bien qu’ils aient assisté à la punition de Myriam, n’en ont pas tiré de leçon et n’ont pas hésité à faire eux aussi du lachon hara’ sur erets Israël. Là aussi, il leur incombait de rediriger ce qu’ils avaient vu vers leur intériorité ; ainsi ils auraient évité l’écueil du lachon hara’ à leur retour d’erets Israël.
En nous mettant face à certains incidents, le but d’Hachem est de nous préparer aux différentes épreuves qu’Il souhaite nous envoyer. Pour cela, Il attire notre attention sur certaines personnes qui ont démérité. Il nous incombe ensuite de prendre nos précautions pour ne pas fauter à notre tour. Il faut être conscient du fait que si on ne réagit pas en s’élevant spirituellement, c’est le processus inverse qui se met en place et on sera influencé de manière négative.
Il existe une troisième étape dans le processus d'intériorisation. Il peut arriver que nous nous trouvions face à des gens qui adoptent une conduite plus stricte que ce que demande la loi (ce qu'on appelle une 'houmra). A ce propos, le midrach dit : « Quand il s’agit de choses permises que d’aucuns s’interdisent, ne te les permets pas devant eux ». Rav Wolbe explique qu’il s’agit de ne pas affecter autrui dans ses sentiments. En effet, en nous voyant agir de façon plus permissive, la personne risque d’être dérangée. De plus, si Hachem nous a placés face à cette conduite plus stricte, cela signifie certainement que nous sommes concernés et que nous devons peut-être envisager d’adopter nous aussi cette résolution. Si nous avons l’occasion de rencontrer un grand rav ou un tsadik, il nous incombe d'apprendre de sa conduite et de ne pas se résigner en pensant que de toute façon, nous ne sommes pas concernés par de tels niveaux de piété. C’est l’enseignement dans Pirké Avot : « Qui est l’homme sage ? Celui qui apprend de tout homme ».
Cependant, on se doit d’être très prudent. C’est ici qu’intervient la quatrième étape du processus, à savoir ce qu’enseignent nos Sages : « Celui qui connaît sa place possède l’une des qualités nécessaires à l’acquisition de la Tora ».
Pour illustrer cette idée, rapportons ce qui est raconté dans la parachat Yitro. Hachem avertit Moché du fait que le peuple ne doit pas gravir le mont Sinaï, ainsi que les kohanim : « Les kohanim qui s’approchent de D.ieu se sanctifieront aussi. » Les kohanim, de par leur statut privilégié, auraient pu s’imaginer un instant qu’il leur était permis de monter sur la montagne. Pourtant, nous voyons qu’Hachem ordonne qu'ils se sanctifient eux aussi. Voici ce qu’ajoute Rachi sur place : « Qu’ils ne se fient pas à leur grandeur. Qu’ils se sanctifient et qu’ils soient prêts à rester à leur place ».
Connaître sa place, c’est cela même la kedoucha. Cette prise de conscience permet de connaître ses forces et ses faiblesses et de savoir ce que nous pouvons légitimement espérer de nous-mêmes et ce à quoi il vaut mieux renoncer. Cela s’appelle dans le langage divin : « Qu’ils se sanctifient ». En effet, en s’imposant un rythme trop rapide, on risque non seulement d’échouer, mais encore de régresser. Un adepte de l’haltérophilie ne saurait passer de 50 kg à 100 kg de poids en seul jour. Il se rendrait rapidement compte qu’il en est bien incapable et risquerait de s’infliger un dommage corporel irréparable. Pour avancer, il devra faire preuve de patience et ajouter à chaque fois un kg, progressivement, jusqu’à atteindre cet objectif…