Yossi Heber, ancien cadre supérieur chez Kraft et Danone, est actuellement président d’Oxford Hill Partners. Il a reçu son ordination rabbinique de Rav Pam à la Yéchiva Torah Vodaath et a enregistré des cours sur l’intégralité du Talmud dans le cadre du Daf Hayomi Masechta Review. Yossi est également vice-président de l’OU Kosher.
Je n’oublierai jamais ma première semaine de travail chez General Foods. Fraîchement diplômé de Pennsylvania, j’étais prêt à plonger dans Le travail Cachère et à y laisser mon empreinte.
Mais au bout d’une semaine, j’appelai ma mère au secours, dépité de mes premières observations : parmi la bande de 6 collègues que nous étions - nous nous connaissions depuis nos études universitaires et nous travaillions désormais dans le même service - je dénotai franchement ! J’étais censé mettre sur pied une nouvelle gamme de desserts, dont le fameux Jello, et… je ne pouvais même pas y goûter ! “Je ne ferai jamais partie de leur groupe, me lamentai-je. Comment survivre dans cette jungle en tant que Juif pratiquant ? !”
Bref, au bout de cette fameuse semaine, j’arrivai à la conclusion qui suit : si vous n’êtes pas juif, il y a trois façons dont un employeur peut vous voir : apprécié des autres, peu apprécié des autres ou encore “neutre” (un monsieur Toutlemonde). Par contre si vous êtes juif, il n’y en a que 2 : soit vous serez apprécié parce que vous êtes juif (comprenez : parce que vous sanctifiez le Nom d’Hachem par votre attitude), soit vous serez détesté parce que vous êtes juif (= vous profanez le Nom d’Hachem par votre attitude). Comprenez bien ! Vous ne laissez pas indifférent. Le no man’s land moral n’existe pas pour vous dans le monde du travail.
Tout cela pour vous dire qu’en matière professionnelle, autant vous assurer de vous situer du bon côté. Ne considérez pas avec légèreté les risques de profaner le Nom divin dans votre travail. La Guémara (Yoma 86a) nous met en garde : “Même la Téchouva à Yom Kippour ne saurait effacer la faute du ‘Hiloul Hachem”. La question dès lors est de savoir comment s’assurer de laisser une empreinte positive sur notre lieu de travail et générer du Kiddouch Hachem autour de nous.
Pas simple ? Pour vous y aider, je me suis basé sur ma propre expérience riche de plusieurs décennies au sein du monde du travail. Ces années où j’ai été confronté à la question m’ont permis de mettre au point 6 règles simples à appliquer au quotidien. Je les partage aujourd’hui avec vous.
Six règles d’or
- Faites le maximum pour être aimable avec les autres.
Avez-vous remarqué à quel point les gens aiment se focaliser sur ce qui ne va pas ? Faites le choix de mettre l’accent sur ce qu’il y a de positif. Faites des compliments, soyez reconnaissants envers vos collègues. Si vous êtes promu à un rang supérieur, restez accessible et bienveillant. En bref, si vous traitez les autres avec affabilité, on vous traitera en conséquence.
- Produisez le meilleur travail possible.
Ne vous suffisez ni du minimum, ni de la moyenne. Excellez dans votre domaine et soyez créatif. Aidez les autres et offrez vos conseils avisés. En agissant au mieux de vos capacités, on saura apprécier votre contribution à sa juste valeur.
- Soyez cohérent dans votre pratique du judaïsme.
N’arrondissez pas les angles pour trouver grâce aux yeux des autres ; au contraire, c’est en restant fidèle à vos valeurs qu’on vous appréciera. Évitez de n’être religieux que quand cela vous arrange (ex. : quitter plus tôt le vendredi).
Un collègue a dit un jour à un Juif pratiquant : “Si j’étais aussi constant dans mon régime que toi avec ta religion, j’aurais déjà perdu trente kilos !”
- En parallèle de votre pratique, restez une personne “normale”.
Ayez le sens de l’humour, intéressez-vous sincèrement aux autres. Votre côté accessible saura être apprécié. Notez que ce type de relations basé sur le souci réel des autres est bien plus fort que ce que les gens entendent généralement par “esprit d’équipe” (ex. : aller boire un verre ensemble après le travail, la familiarité avec les collègues de l’autre sexe, etc.). Certes, la Halakha nous pose des limites claires quant à ce qu’il nous est permis ou non de faire dans le cadre professionnel, mais l’éventail des choses permises reste finalement assez large.
Le directeur financier d’une grande banque de New-York, un Juif pratiquant, n’avait pas très envie de participer à la journée annuelle de team-building, organisée autour d’un pique-nique et d’une partie de foot, le tout dans une ambiance mixte bien sûr. Il trouva la solution : plutôt que de participer au jeu, il prit le micro et le commenta à la manière d’un journaliste sportif ! Cette solution originale lui permit de ne pas compromettre ses valeurs tout en restant quelqu’un de “normal” aux yeux de ses collègues.
- Soyez une personne agréable à côtoyer.
Faites preuve de positivité et de joie de vivre. La Guémara dans Soucca 49 dit bien : “Lorsqu’une personne diffuse joie et grâce autour d’elle, tout le monde comprend qu’elle a la crainte du Ciel”.
- Renforcez-vous sans cesse sur le plan spirituel.
C’est là la clé du Kiddouch Hachem en général, et dans le milieu professionnel en particulier. Le travail Cachère met certes votre crainte du Ciel à l’épreuve, c’est l’occasion de la travailler lorsque vous êtes à l’extérieur. Pour ce faire, faites-vous un Rav à qui soumettre vos questions et surtout fixez-vous un temps d’étude de la Torah quotidien sans vous y soustraire. L’étude du Daf Hayomi peut être une excellente idée, du fait qu’il peut être étudié partout et à tout moment.
Je connais beaucoup de personnes ayant suivi ces conseils et qui m’ont confié avoir réussi tout au long de leur carrière et à rester pratiquantes et cohérentes dans la Torah, et à être intégrées dans le monde du travail, sans passer pour des outsiders.
L’ambassadeur du peuple d’Israël
Certains demanderont : Pourquoi devrait-on représenter le peuple juif sur notre lieu de travail ? Ne suffit-il pas de faire honnêtement son travail, un point c’est tout ?
Réponse : comme dit plus haut, un Juif n’est pas perçu autrement que comme un Juif. Et ses actions, positives comme négatives, sont perçues en fonction.
Vous n’avez pas idée de l’impact de l’impression que vous laissez autour de vous. Et si cet avocat avec lequel vous travaillez devenait demain un haut magistrat à la Cour suprême ? Quelle attitude aurait-il envers la communauté juive après vous avoir côtoyé ?
Prenez l’exemple du président Harry Truman. Son associé et meilleur ami était un juif nommé Eddie Jacobson. Des années plus tard, en 1948, Truman joua un rôle clé dans la reconnaissance de l’État d’Israël à l’ONU. L’amitié qu’il entretenait avec Jacobson eut une influence déterminante dans sa prise de décision, qui était en opposition flagrante avec les avis de ses proches conseillers.
Posez-vous toujours la question : “Si j’étais le seul Juif qu’ils connaissent, quel souvenir garderaient-ils de moi ?”
Il y a de cela 25 ans, alors que j’occupais un poste de directeur marketing chez Jacob’s Biscuits à Londres, j’étais le seul employé juif religieux de toute l’entreprise. Mon patron, le PDG, était un Juif traditionaliste. Chaque jeudi, lors de notre réunion hebdomadaire, à ma proposition, nous prenions quelques minutes pour étudier ensemble un passage de la Torah.
Un jour, alors que Pessa’h tombait un samedi soir, je me suis demandé si mon patron était un premier-né, ce qui signifiait qu’il devait lui aussi jeûner la veille de la fête. Lors de notre rencontre de jeudi matin, je lui ai posé la question et il m’a répondu par l’affirmative. Je lui ai alors expliqué la signification du Ta’anit Békhorot et qu’il était de coutume d’organiser un Siyoum afin de s’en dispenser. Voyant son intérêt pour ce que je lui expliquai, je lui proposai alors d’organiser un Siyoum, ce qu’il accepta volontiers ! Ce fut un moment particulièrement émouvant.
Cet échange, ainsi que notre relation de confiance, ont fini par amener David, mon patron, à se rapprocher du judaïsme, au point qu’il est finalement devenu Chomèr Chabbath, notamment après avoir rencontré le Dayan de Londres, Rabbi ‘Hanokh Ehrentreu, que j’avais encouragé à certifier Cachères les Jacob’s Cream Crackers.
Conclusion : en tant que Juif pratiquant, il arrive parfois que l’on se retrouve dans une situation unique, où l’on peut influencer quelqu’un d’une manière qui, dans un autre contexte, serait impossible. Saisissez ces opportunités !
Se poser la bonne question
Peu importe où vous travaillez, que ce soit au sein de la communauté ou non, demandez-vous constamment : “Comment puis-je faire un Kiddouch Hachem ?”
Si chacun adoptait cette approche, l’impact positif serait immense.
Yossi Heber,
adaptation française J. Berrebi & E. Boukobza