Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, l’homme est constitué d’un corps et d’une âme. Dans cette mesure, il importe de ne pas considérer ces deux entités comme étant totalement séparées et coupées l’une de l’autre. En effet, même si la néchama tend vers le spirituel et le corps vers le matériel, comprenons qu’Hachem n’aurait pas a priori façonné une créature avec tant de contradictions et de paradoxes. Au contraire, l’être humain peut et doit trouver l’harmonie entre le corps et l’âme. Pour ce faire, il dispose d’un outil précieux appelé le da’at, que l’on pourrait traduire par esprit, raison ou logique.
Le da’at est ce qui relie notre corps à notre âme. Il va nous aider à gérer le paradoxe qui existe entre le corps et l’âme et nous permettre de créer une harmonie entre les deux. Même si une personne est globalement intéressée à accomplir les mitsvot et à faire le bien, elle peut se sentir parfois tiraillée entre deux volontés opposées, entre son désir de bien agir et celui de suivre ses inclinations animales. Il arrive bien souvent que l’on se trouve incapable de gérer ces deux forces qui cohabitent ensemble en nous.
La guemara enseigne que l’homme ressemble à la fois à l’ange et à l’animal. Ce qui constitue en réalité toute la grandeur de l’homme sera sa faculté à se plier aux injonctions divines, car celles-ci sont capables de transformer les tendances matérielles en tendances spirituelles.
La guemara dans Brakhot p. 33 dit : « Rabbi Eleazar dit : « Tout homme qui possède le da’at est comme quelqu’un qui a vu le beit hamikdach reconstruit de son vivant ». Le Maharcha explique que le beit hamikdach est le lieu qui fait le lien entre le ciel et la terre. Le beit hamikdach est également le lieu le plus saint de la terre, c’est donc en son sein que se dévoile la Présence divine. Hachem maintenait le contact avec Son peuple par le biais du beit hamikdach et plus particulièrement du Saint des Saints. En ce sens, le da’at et le beit hamikdach sont similaires : ils permettent tous deux d’établir un contact entre le spirituel et le matériel, entre le ciel et la terre. Celui qui comprend que tout ce qui advient dans le monde est pensé et dirigé par Hachem relie le monde à Son créateur : il utilise son da’at afin de d’unir le ciel et la terre.
Le da’at est un cadeau précieux d’Hachem. Notre rôle consiste en l’exploitation de cette faculté au mieux de nos possibilités. Malheureusement, nombreux sont ceux qui ne font aucun emploi de leur da’at ; chez eux, il est en mode « veille ».
L’animal possède lui aussi, tout comme l’homme, une certaine forme d’intelligence. Pourtant, cette intelligence est limitée du fait qu’elle provient de son instinct. Lorsqu’il se trouve face à un danger, il réagit en fonction ; lorsqu’il a faim, il cherche une proie etc. Toutes ces réactions n'entrent pas dans la catégorie du da'at. Il s’agit plutôt d’une certaine compréhension du monde qui l’entoure et d'instincts développés en fonction. Un homme qui réagit de façon spontanée, sans jamais réfléchir à ses actes, se conduit en réalité tel un animal. Il ne fait pas appel à son intelligence et réagit, comme l’animal, de manière purement instinctive. Si quelqu’un le vexe, il se met à l’insulter ou à crier ; si une situation le déstabilise, il s’énervera : il s’agit de réactions instinctives qui relèvent du néfech, la partie la plus basse de l’âme humaine.
Le fait d’exploiter ou non les facultés mentales dont on dispose dans chaque situation donnée dépend de notre volonté. Va-t-on prendre du recul pour analyser la situation et faire appel à son da’at, ou va-t-on décider de réagir sur le coup sans réflexion préalable ? Le da’at consiste à prendre de la distance, à se donner le temps d'analyser toutes les données, comme si nous n'étions pas réellement acteur de la situation, afin de prendre une décision objective quant à la manière de réagir. C’est en cela que le da’at constitue un lien entre le ciel et la terre, entre l’âme et le corps. Lorsque je réagis de manière spontanée, je fais appel au corps ou au néfech, qui sont ce qu'il y a de plus bas en l’homme. Lorsqu’au contraire, je transmets au da’at l’ordre de décider, ma réaction sera pesée et réfléchie.
Même si l’on arrivera finalement à la conclusion qu’une certaine autorité est nécessaire, qu’une punition est à appliquer etc., cette décision réfléchie est bien différente de celle prise sous le coup de la colère ou de la précipitation. En effet, la forme de notre réaction compte tout autant que son fond, elle est même essentielle si l'on souhaite que notre message atteigne son objectif. Or cette forme dépend de l’utilisation ou non de notre da’at, grâce auquel nous pourrons envisager la situation et ses circonstances sous tous les angles.
La paracha de Béha’alotékha nous offre un exemple parlant de cette idée. Après que Myriam a dit du lachon hara’ à Aharon sur leur frère Moché, Hachem parla à Myriam et à Aharon en ces termes : Il leur dit : « Veuillez écouter Mes paroles. » Le terme employé pour « Il leur dit » est « vayomer » : selon nos Sages, il s’agit là d’un langage doux ; le texte continue avec « Veuillez écouter » (en hébreu : « chim’ou na ») : il s’agit d’une demande, d’une proposition. Nos commentateurs expliquent que même lorsqu'Hachem, le Maître du monde, vient faire un reproche à Myriam et à Aharon, qui figurent parmi les plus grands prophètes que le peuple juif ait connu (nous savons que les prophètes sont des personnes ayant réussi à dominer totalement leur mauvais penchant), Il emploie un langage extrêmement doux, chacune de Ses paroles sont pesées. Nos commentateurs ajoutent que si Hachem n’avait pas agi de la sorte, Myriam et Aharon n'auraient pas pu accepter cette réprimande… Si cela s’avère vrai pour Hachem et des prophètes d’une telle stature spirituelle, à plus forte raison cela l’est également pour des personnes telles que nous…
Précisons à ce stade que le da’at ne me dicte nullement de ne pas réagir. L’absence de réaction peut en effet s’avérer elle aussi gravement néfaste : si je n’agis pas devant telle ou telle injustice, celle-ci se reproduira inéluctablement… Ainsi, notre propos n'est pas d’empêcher ni de freiner la réaction, mais au contraire de la structurer afin de la rendre la plus efficace possible.
De façon générale, il faut savoir qu’il n’y a pas de règle qui s’avère juste dans tous les cas de figure. Notre réaction devra toujours prendre en compte la sensibilité de la personne, notre degré de proximité, son caractère etc. Avec un conjoint ou un enfant, c'est encore plus délicat car entrent en jeu toutes sortes de paramètres affectifs et sentimentaux qu’il faudra bien examiner.