Dans l’esprit collectif, le Beth Din (tribunal rabbinique) a surtout pour fonction de traiter des questions matrimoniales (mariage, divorce, etc.). En revanche, ce que l’on ignore souvent, c’est qu’il joue également un rôle central dans les litiges, transactions commerciales et autres questions d’ordre financier. À l’occasion du Chabbath Michpatim, un petit rappel s’impose à ce sujet…
Se tourner vers un Beth Din n’est pas une option !
La Paracha de Michpatim commence par ces mots : « Voici les statuts que tu placeras devant eux » (Chémot 21, 1). Pourquoi la Torah souligne-t-elle que ces lois doivent être exposées « devant eux » ? Selon Rachi, cela nous apprend que l’on doit soumettre toute affaire précisément à des juges d’Israël, mais pas à des magistrats non-juifs. Il ajoute que lorsqu’on se tourne vers des juges des nations, on rend en quelque sorte hommage à l’objet de leur culte. Toutefois, tous les décisionnaires s’accordent à dire que cet interdit ne concerne pas seulement les tribunaux idolâtres, mais toutes les instances juridiques non-juives. Aussi, toute procédure juridique requérant un tribunal est concernée par cette loi de la Torah - et pas uniquement les questions matrimoniales.
Pour quelle raison doit-on impérativement s’adresser à un Beth Din ? Si les lois adoptées par un tribunal laïque ne sont pas conformes à celles de la Torah, il est évident que l’on ne peut se soumettre à sa décision, car celle-ci risque fort d’aller à l’encontre de la Halakha. Cependant, comme le précise Rachi, même si les non-juifs ont adopté les lois de la Torah, il est malgré tout interdit d’avoir recours à leurs tribunaux. Le Rambam (Sanhédrin 26, 7 cité dans Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat 26, 1) considère même qu’il s’agit d’un blasphème.
Une Torah de vie
Lors de la création de l’État d’Israël, le Grand-Rabbin Its’hak Herzog a déclaré : « Aujourd’hui, le peuple juif réside sur sa terre. Mais à notre grand désespoir, les tribunaux civils adoptent les lois des non-juifs. À l’époque du Temple, le prophète dénonça les juifs qui se rendaient chez des prophètes idolâtres (Mélakhim II 1, 16). Or, c’est le même principe à notre époque ! N’y a-t-il donc pas de juges qui statuent selon la Torah ?! » (Torah Oumedina tome VII pages 9-10).
Il est écrit dans les Psaumes (147, 20) : « [D.ieu] a révélé Ses paroles à Ya’acov, Ses statuts et Ses lois de justice à Israël. Il n’a fait cela pour aucun des autres peuples ; aussi, les lois leur demeurent-elles inconnues. » Les nations ne sont-elles pas tenues, selon la loi Noa’hide s’appliquant à toute l’humanité, de juger équitablement selon la logique et la vérité ? Pourquoi donc les lois leur demeurent-elles « inconnues » ? C’est que les statuts de la Torah sont de nature totalement différente des lois des nations. En effet, il est écrit : « D.ieu se tient dans le conseil des juges » (Psaumes 82.1) - Il Se tient auprès des Sages, dont les interprétations constituent la Torah orale. Leurs enseignements sont une partie intégrale de la Torah, pas moins que la Loi écrite transcrite dans le ‘Houmach.
En outre, D.ieu s’est fondé sur la Torah pour créer le monde. Celle-ci en constitue donc le « mode d’emploi » : de la même manière qu’elle fut à l’origine du monde, la Torah - écrite et orale - demeure essentielle pour notre vie de tous les jours. Lorsque les Sages - dont les Dayanim (juges rabbiniques) sont les plus fidèles successeurs - statuent sur les questions les plus concrètes, en tenant compte du moindre détail de la réalité quotidienne, ils inscrivent ainsi la Torah au sein même de l’existence. C’est précisément là le principe de la « Torah orale », qui assure la subsistance du monde par son implication dans chaque détail de la vie, au cœur même des questions vivantes et actuelles.
Voilà pourquoi il est essentiel, en cas de différend avec un Juif, de soumettre le jugement à un tribunal statuant conformément à la Torah, et non à un tribunal laïc.
Rav Reouven Cohen