En cette période du mois d’Eloul, l’humeur des communautés juives change. La frivolité et l’attitude désinvolte de l’été ont disparu pour faire place à l’ambiance plus sérieuse d’Eloul. Des jours importants se profilent, et nous devons nous y préparer.
Un individu qui attend son procès ou des groupes en attente d’une décision gouvernementale sur leur sort cherchent des volontaires pour écrire des lettres pour les défendre, pour signer des pétitions et soumettre des mémoires.
Chargée de tant d’enjeux, Eloul est une période pour rectifier nos actions afin d’être jugés comme des individus vertueux. Nous nous engageons également à réaliser des Mitsvot spécifiques, qui servent de « pétitions » adressées à Hachem en notre faveur. Nous donnons de la Tsédaka, selon l’enseignement de nos Sages selon lequel se consacrer à la charité est une source de mérite et de protection.
Le Arizal y trouve une allusion dans les dernières lettres d’un verset de Dévarim (6 :25), dans les termes « Outsédaka Ti’hiyé Lanou Ki » qui épellent le Nom d'Hachem.
Le travail spirituel du mois d’Eloul consiste à nous rapprocher d'Hachem. Nous y parvenons en expiant nos fautes et en nous débarrassant des erreurs de l’année écoulée, sachant que celles-ci provoquent une séparation entre nous et Hachem. Autre manière de nous faire apprécier de Hachem et nous rapprocher de Lui : nous engager dans des actions de Tsédaka. Lorsque nous plaçons une pièce dans la main d’un pauvre, nous envoyons, si l’on peut dire, un message à Hachem, mettant le doigt sur notre vertu.
La Tsédaka n’est pas uniquement réalisée avec de l’argent. Elle inclut l’aide accordée à diverses personnes, le fait de leur parler, de leur remonter le moral par un sourire, de leur prodiguer des encouragements et leur donner la force de traverser une période difficile.
Il n’est pas toujours difficile d’enrichir la vie d’autrui, mais la récompense est incommensurable. En agissant de cette façon, Hachem enrichira notre vie et celle de ceux qui nous importent. C’est toujours une bonne idée d’être un donneur, mais pendant le mois d’Eloul, cette attitude est encore plus avantageuse ; en effet, « Tsédaka Tatsil Mimavét - La Tsédaka sauve de la mort. »
Il y a plus d’un siècle, un soir d’Eloul, l’Alter de Kelm a fait un rêve. Il rêva que Rabbénou Yona effectuait une visite à Kelm. On placarda une affiche annonçant la venue de cet illustre Richon, auteur d’ouvrages classiques de Moussar (éthique juive) étudiés au fil des ans, qui devait donner un discours dans la grande synagogue au centre ville.
Tous les résidents de la ville se dirigèrent vers la synagogue. Hommes, femmes et enfants quittèrent leur maison pour écouter le géant en Torah. C’était une occasion unique que personne ne voulait manquer. Cela promettait d’être le plus remarquable discours sur Eloul depuis des siècles, et les résidents de Kelm étaient bien placés pour l’apprécier.
Il était impossible de faire entrer toute la communauté dans la synagogue, et de ce fait, les responsables locaux placèrent des gardes de sécurité à la porte. Seuls les hommes reconnus pour leur grandeur étaient autorisés à entrer. Tous les autres devaient se tenir à l’extérieur, près des fenêtres et espérer entendre quelques mots empreints de sainteté ici et là. Bien sûr, entendre même un mot de Rabbénou Yona sortait de l’ordinaire, mais qui pouvait se satisfaire uniquement de cela ?
L’Alter de Kelm, en entendant parler de la venue de cet invité remarquable, se dirigea également vers la synagogue, mais lorsqu’il s’approcha de l’entrée, un garde lui en refusa l’accès. Le garde lui demanda son nom. Il répondit : « Je suis Sim’ha Zissel de Kelm. » Le garde répliqua qu’il n’avait jamais entendu parler de lui et qu’il devait quitter les lieux pour laisser la place à des personnalités notables de la ville.
Généralement très humble, l’Alter de Kelm serait parti sans faire d’histoire, mais cette fois-ci était différente. L’Alter ne voulait en aucun cas manquer l’occasion de voir et d’entendre Rabbénou Yona, et de ce fait, il se mit à harceler le garde. Il commença par mentionner son Yi’hous (prestigieuse ascendance), mais cela ne lui fut d’aucune utilité. Puis il poursuivit : « Sais-tu qui est mon Rabbi ? Je suis un élève de Rabbi Israël Salanter. » Cela ne l’aida pas non plus. « J’ai entendu parler de Rav Israël Salanter, répondit le garde, mais je n’ai jamais entendu parler de son élève, Sim’ha Zissel. »
L’Alter n’avançait pas d’un pouce lorsque soudain, le garde lui demanda s’il avait d’autres parents dont il n’avait pas mentionné les noms. Il commença à mentionner ses enfants. « Je suis le père de Na’houm Velvel. » « Vous êtes le père de Na’houm Velvel ? C’est une tout autre histoire. Le père de Na’houm Velvel a le droit d’entrer. Vous pouvez prendre place dans la synagogue. »
À ce moment-là, l’Alter se réveilla, tremblant de son rêve. Il convoqua rapidement son fils Na’houm Velvel, pour trouver le mérite qui lui avait permis l’accès au discours d’Eloul de Rabbénou Yona.
Rav Na’houm Velvel se rendit chez son père et écouta son récit. Il ne pensait pas à quelque chose de spécial qui l’aurait rendu plus méritant que les mérites de son père, l’illustre géant en Moussar et dirigeant de la Yéchiva.
Après avoir subi beaucoup de pressions de son père, le fils humble prit le temps de réfléchir à ses agissements des derniers mois. Puis il fit le récit suivant à son père :
En raison de sa pauvreté, il se promenait avec des chaussures usées. Non seulement étaient-elles usées, mais également déchirées et retenues par une corde. Lors de l’un de ses nombreuses visites chez le cordonnier, il aperçut à la vente une paire de chaussures neuves, solides et confortables. Il en avait vraiment besoin, mais il ne pouvait se permettre de les acheter. Ce jour-là, il commença à économiser de l’argent pour acquérir ces chaussures. Il avait très peu d’argent au départ, donc son projet prit du temps.
Enfin, il finit par réunir la somme nécessaire pour les chaussures. Il se rendit chez le cordonnier et les acheta : elles étaient confortables et protégeaient ses pieds, et étaient dignes de son statut et de son poste à la Yéchiva. Il estima qu’elles l’aideraient également à donner une meilleure impression lorsqu’il se rendait chez des hommes fortunés lors de ses missions de collecte de fonds.
Ce soir-là, il y eut une tempête de neige et un vent froid souffla férocement. Il attendait d’aller prier avec ses pieds couverts pour la première fois depuis un bon moment, mais avant même de partir, on frappa à sa porte. Rav Na’houm Velvel ouvrit la porte et vit un pauvre portant des vêtements déchirés, tremblant de froid. Il le fit entrer chez lui, le réchauffa, lui donna quelques pièces, et fut sur le point de le renvoyer.
Mais son regard se posa alors sur les pieds de l’homme. Le pauvre homme n’avait pas de chaussures et marchait dans la neige avec des guenilles enroulées autour de ses pieds en sang. L’homme vit le Rav observer ses pieds et expliqua qu’il n’avait pas les moyens de s’acheter des chaussures.
Rav Na’houm Velvel se dirigea vers ses nouvelles chaussures, pour lesquelles il avait économisé pendant si longtemps. Il ne dit rien. Il se contenta de les tendre au mendiant. Fin de l’histoire.
L’Alter observa son fils avec tendresse. Il comprit désormais pourquoi il serait autorisé à assister au discours de Rabbénou Yona par le mérite de son fils.
Le mérite de la Tsédaka est si grand qu’il brise toutes les barrières, comme nous l’affirmons dans les prières des Yamim Noraïm (Jours redoutables) : « Outéchouva, Outéfila, Outsédaka Maavirin Ete Ro'a Haguezéra : le repentir, la prière et la Tsédaka ont le pouvoir d’outrepasser même un terrible décret.
À notre période, prélude aux Yamim Noraïm, lorsque nous cherchons tous des mérites pour nous-mêmes, aider les autres à l’image du fils de l’Alter est un moyen sûr d’y parvenir. Heureusement, à notre époque, les gens ne sont pas aussi pauvres qu’ils l’étaient à l’époque de Kelm, mais un grand nombre d’individus pourraient bénéficier d’une aide. Il se peut que notre ami ne puisse se permettre les belles cravates que nous portons. Pourquoi ne pas nous défaire de l’une d’elles afin de l’offrir à notre prochain et lui donner le sentiment qu’il a aussi bonne allure que tout le monde ? Les exemples et opportunités sont nombreux si seulement nous prenons la peine de remarquer et d’agir concrètement en relevant ce qui manque aux autres.
Rav Na’houm Velvel a dépassé son obligation de Tsédaka. Il a acquis des mérites particuliers, car il a eu pitié d’autrui. Comme nos Sages (Chabbath 151b) l’affirment : « Kol Haméra’hem 'Al Habriyot Méra’hmim 'Alav Mine Hachamayim : Hachem est compatissant envers un Juif qui compatit envers les autres. »
Le Ram’hal dans le Méssilat Yécharim (chapitre 19) pousse cette idée plus loin et explique qu’un homme qui manifeste de la compassion envers les autres mérite que D.ieu soit bienveillant avec lui lorsqu’il est jugé à Roch Hachana.
Au début du mois d’Eloul, une tâche imposante nous attend : redresser tout ce que nous avons fait de travers et nous corriger en vue du Yom Hadin (jour du jugement). Manifester de la compassion envers les autres, y compris en les aidant sur le plan financier par la Tsédaka ou par une autre forme de charité, nous donne une longueur d’avance, nous faisant entrer dans les bonnes grâces de Hachem. Nous serons ainsi sur la voie pour une bonne année en bonne santé, une année de bonheur, de réussite et de paix.
Rabbi Pinchos Lipschutz pour Yated, traduit par Torah-Box