Plusieurs textes historiques datant de l’époque du règne de Darius 1er - pratiquement contemporain aux événements de la Méguilat Esther - témoignent de livraisons de denrées alimentaires destinées à la table du roi et à celle de certaines princesses perses. Parmi ces produits, se trouvent des céréales, du bétail (bœufs et moutons), des oiseaux, du miel, des produits laitiers et bien sûr, d’importantes quantités de vin qui étaient livrées au roi. Des inventaires et des commandes de l'époque l’attestent* : « 12 350 litres de vin fournis par Karakka (vraisemblablement nom de l’échanson) ont été livrés devant le roi… 5 350 litres de vin ont été livrés devant le roi… 6 900 litres de vin ont été livrés devant le roi », etc. Les quantités de vin fournies à la cour étaient très importantes et nous savons que les Perses étaient parmi les peuples de l’antiquité ceux qui avaient le penchant le plus immodéré pour l’alcool.
*« Les Boissons alcoolisées et la Noblesse Perse d’après la documentation élamite et babylonienne » (Gauthier Tolini)
« Et la boisson selon la loi, sans obligation !!! » (Esther I/8)
« Véhachtiya Kadat, Ein Onèss. »
Qui ne connaît pas ce verset de la Méguilat Esther ?
Mais en se penchant de plus près sur ce verset, on ne peut que s’étonner de sa tournure surprenante. Le lecteur ordinaire en le parcourant vous dirait, à juste titre : « Faut-il légiférer une loi spéciale précisant qu’il est interdit d’obliger un homme à boire du vin ?! » Bizarre…
Le Midrach nous éclaire et rapporte que, lors du festin organisé par le roi A’hachvéroch, alors qu’il voulait réjouir tout son royaume, composé, on s’en souvient, de 127 États, il aurait annulé une coutume ancienne, enracinée dans le protocole royal depuis des lustres. Cette tradition aurait été si bien ancrée dans les us de l’empire, que le roi dut l’abolir, comme s’il s'était agi d'une loi.
De quoi s’agissait-il ?
Pour augmenter encore l’atmosphère de débordement et de légèreté chez les courtisans qui participaient aux festins dans la Perse ancienne, on faisait apporter au début du banquet une gigantesque coupe en or, pleine de vin fort. L’échanson (sommelier) était tenu de choisir des notables parmi les invités et il les obligeait à boire de cette coupe jusqu'à la dernière goutte. Le but était d’enivrer ceux qui avaient été choisis jusqu'à la perte totale de leurs sens et de leur tête, et la foule faisait d’eux ensuite comme bon leur semblait. Le malheureux qui avait été choisi pour ce jeu de débauche ne pouvait refuser de s’y prêter.
Voici le langage du Midrach, qui rapporte ce cérémonial pathétique et dégénéré : « Ainsi était la coutume de Perse : ils avaient une très grande coupe qui s’appelle « Patka », et ils en abreuvaient le malheureux, même s’il agonisait, même s’il en perdait la raison : il devait boire. Les notables de Perse, à ce moment, pour ne pas être choisis à ce jeu corrompu, enrichissaient le sommelier, en lui faisant allusion de ne pas les choisir, et en lui donnant quelques dinars d’or, pour qu’il ne les désigne pas pour boire à cette coupe. A’hachvéroch, lors de son règne, abolit cette coutume et cessa d’utiliser ces récipients à des fins décadentes. Chacun pouvait dorénavant boire comme il l’entendait. Et c’est là l’explication du verset : ”Et la boisson selon la loi, sans obligation”, c'est-à-dire selon la nouvelle loi qui défend d’obliger de boire. »
Dans les fouilles archéologiques qui ont eu lieu sur les sites des palais achéménides (la Perse de l’époque), on a trouvé en effet des coupes à vin en or de grande dimension, sculptées de formes étranges qui ont surpris les archéologues : mais qui donc boit du vin dans des verres de cette taille ? Et s’il y a des originaux qui aiment le XXL, pourquoi donc ces récipients sont-ils en or ?
Il semble bien que ce soient ces coupes qui furent utilisées lors de ces festins/orgies cruels des rois de Perse et qu’A’hachvéroch en abolit l’utilisation forcée lors de son règne.
Aristophane, le Grec, qui a vécu peu de temps après la période de la domination Perse, décrit les banquets perses en ces mots : « Ils obligeaient leurs invités à boire du vin doux et vif dans des ustensiles en or. » Les données se recoupent.
Le vin est un breuvage « chargé » et son histoire remonte à la nuit des temps. Certains commentateurs pensent que la vigne était le fruit défendu du Jardin d’Eden. C’est la première boisson alcoolisée citée dans nos Sources, le fruit qui fermente, se transforme, pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Noé en a fait les frais. Les filles de Loth en enivrèrent leur père et commirent par lui la faute par excellence. Mais, d’un autre côté, c’est sur lui qu’on sanctifiera le Chabbath et les fêtes juives ; les 4 coupes de notre liberté remémorant la sortie d’esclavage seront remplies de vin, nous affranchissant à jamais des servitudes d’un despote humain pour servir Le Créateur. Comme toutes les substances porteuses d’un potentiel énorme, il peut tout aussi bien nous attirer vers les abîmes de la déchéance - à l’image des festins de l’Antiquité spécifiquement composés de vin, où il était utilisé pour les libations idolâtres et l’affranchissement de toute morale - que nous élever au rang de créatures élues entre toutes, plus parfaites même que les anges, car dotées du libre arbitre.
Intéressant de voir à quel point nos Sages nous mettent en garde et entourent justement le vin de nombreuses barrières protectrices, alors que d’autres boissons fortes, pas moins enivrantes, ne demandent pas autant de précautions. Ambivalent, il n’est pas un alcool comme les autres. Se reflètent dans ses nuances d’émeraude des gouffres et des sommets. Le judaïsme, voie médiane absolue, connaissant l’homme sous toutes ses facettes, sait quand donner au vin sa place, l’élever au rang de boisson couronnée, éviter les abus, mais aussi, une fois par an, le permettre « presque » sans modération. Lors de cette fête sublime de Pourim, le vin nous aidera à lâcher prise un tant soit peu de notre réalité afin de découvrir derrière le rideau des apparences La Main qui dirige les événements de notre vie et de l’histoire.
Pourim Saméa’h Lékol ‘Am Israël !