Cette histoire se passe à Prague au 18ème siècle. Le Rav Yé’hezkel Laudau, plus connu sous le nom de Noda Biyéhouda, marche dans la rue lorsqu’il croise un enfant non-juif tenant dans ses mains des paniers vides. Le Rav s’aperçoit que ses yeux sont pleins de larmes. Il lui demande d’une voix douce :
- Que fais-tu ici et pourquoi pleures-tu ?
L’enfant répond :
- Je suis orphelin de mère. Mon père est boulanger, et après le décès de ma mère, il s’est marié avec une autre femme méchante et cruelle. Chaque jour, après que mon père a cuit le pain, ma belle-mère m’envoie dans les rues de la ville pour vendre des miches. Mais parfois, je n’arrive pas à toutes les vendre, et lorsque je rentre à la maison avec des pains dans mes paniers, ma belle-mère s’en prend à moi et me frappe violemment…
- Et que t’est-il arrivé aujourd’hui ? demande le Rav
L’enfant éclate en sanglots et répond :
- Aujourd’hui, j’ai réussi à vendre tous mes pains, mais je viens de me rendre compte que j’ai perdu tout mon argent. Maintenant, si je rentre à la maison les mains vides, ma belle-mère me donnera des coups terribles que je ne pourrai jamais supporter. En plus, je n’ai rien mangé de toute la journée. C’est pour ça que je traîne dans les rues et que je pleure…
Touché par le sort de cet enfant, le Rav lui propose de venir manger chez lui, et l’enfant accepte en bénissant le Rav de sa générosité. Après un bon repas, le Rav lui fait même don de la somme exacte qu’il a perdue. Très ému par cette bonté d’âme extraordinaire, l’enfant remercie le Rav de tout son cœur et repart chez lui heureux et rassuré.
Bien des années plus tard, la veille du dernier jour de Pessa’h, tard dans la nuit, un homme non-juif frappe à la porte du Noda Biyéhouda. Étonné, le Rav ouvre doucement la porte et lui demande :
- Qui êtes-vous ?
L’homme répond :
- Rav, vous me reconnaissez ? Je suis l’enfant que vous avez aidé il y a de nombreuses années. Vous m’aviez donné à manger et même offert de l’argent.
- Oui, je m’en rappelle, répond le Rav. Que se passe-t-il ?
L’homme regarde autour de lui et répond :
- Je tiens à vous remercier pour ce que vous avez fait pour moi. Je viens donc vous avertir d’un complot qui se trame contre les Juifs de Prague. Vous savez que chaque année, à la sortie de votre fête de Pessa’h, les boulangers non-juifs de la ville confectionnent des pains pour les Juifs (à l’époque, de façon exceptionnelle, les Rabbanim de la Diaspora permettaient de manger le pain des non-juifs, immédiatement après Pessa’h).
L’homme continue et dit :
- Sur les conseils de ma belle-mère, tous les boulangers non-juifs se sont réunis chez nous et se sont mis d’accord pour tuer tous les Juifs de Prague en une seule fois. Ils comptent mélanger un poison à la pâte qu’ils vont cuire pour vous. J’étais à la maison le soir de cette réunion et j’ai tout entendu, bien que tout se soit déroulé dans le plus grand secret. J’espère que vous trouverez un moyen de sauver votre communauté, mais je vous en supplie, promettez-moi de ne jamais révéler que c’est moi qui vous ai averti, je risque ma vie en venant vous voir…
Le Rav répond :
- Sois tranquille, ton secret est bien gardé. Merci infiniment de m’avoir prévenu !
L’homme se dépêche ensuite de quitter le quartier juif. De son côté, le Rav réfléchit toute la nuit pour trouver un moyen de déjouer ce plan terrible. Une chose était claire : il fallait que l’affaire soit tenue secrète, que personne ne se doute de quelque chose, et éviter à tout prix la panique et l’affolement dans la communauté.
Finalement, aux premières lueurs de l’aube, le Rav trouve une idée. Des émissaires sont alors envoyés dans toutes les synagogues de Prague pour annoncer que de façon exceptionnelle, le Rav Yé’hezkel Landau prononcera des paroles de Torah à la grande synagogue après la prière du matin, et que tous les Juifs de la ville sont priés d’y assister sans exception car il s’agit d’un sujet vital pour l’ensemble du judaïsme.
Cette annonce éveille la curiosité des Juifs de Prague. Tous se rendent à la grande synagogue en attendant impatiemment le discours du Rav. Le Noda Biyéhouda prend alors la parole :
- Mes chers frères, vous savez que de par nos fautes, la Torah a tendance à s’oublier un peu plus à chaque génération, à un point tel que les Sages et les Maîtres de la génération en viennent parfois eux-mêmes à commettre des erreurs. Je suis dans l’obligation de vous dire que bien que nous soyons versés dans l’établissement du calendrier juif et de la fixation des fêtes, je me suis rendu compte, en refaisant les calculs, que moi-même et mes collègues nous sommes gravement trompés, au point que nous avons presque amené nos frères à manger du ‘Hamets à Pessa’h ! En effet, cette année, nous avons fixé le début de Pessa’h un jour trop tôt. Par conséquent, aujourd’hui n’est pas le dernier jour de la fête mais l’avant-dernier, et ce n’est que demain soir que Pessa’h sera terminé. Il est donc strictement interdit de consommer la moindre miette de ‘Hamets jusqu’à demain soir…
Bien que cette annonce du Rav étonne beaucoup l’assistance, personne ne met en doute ses paroles et chacun obéit sans protester. Et en effet, cette année-là, les Juifs de Prague ont fêté Pessa’h pendant 9 jours au lieu de 8 !
Le jour suivant, suite à un renseignement anonyme, des policiers viennent inspecter les boulangeries de la ville en passant tout en peigne fin. On découvre bien vite que toutes les miches contiennent un poison mortel qui ne laisse aucune chance de survie à celui qui les consomme. Après avoir enquêté, on ne met pas longtemps à découvrir que le boulanger et sa femme, dont le fils a sauvé les Juifs de Prague, sont à l’origine de cette tentative d’homicide à grande échelle…
Lorsque les Juifs de Prague sont informés de l’affaire des pains empoisonnés, ils comprennent enfin pourquoi le Noda Biyéhouda a ajouté un neuvième jour de Pessa’h. Certains lui ont demandé comment il avait pu avoir connaissance de ce complot, mais le Rav n’a jamais rien révélé à ce sujet. Ce n’est que peu avant sa mort qu’il a raconté cette histoire à son fils avec tous les détails. Il a terminé son récit en lui disant :
- Mon fils, sais-tu par quel mérite les Juifs de Prague ont été sauvés ? Ce n’est pas grâce à l’idée que j’ai eue, mais grâce à la compassion que j’ai ressentie en voyant cet enfant pleurer. Ce sentiment m’a poussé à l’aider dans sa souffrance, ce qui a finalement permis le sauvetage de tous ces Juifs…