Au début du livre de Beréchit, la Torah écrit : « Au début, D.ieu créa le ciel et la terre. La terre était ‘solitude’ et ‘chaos’, et les ténèbres couvraient ‘l’abîme’ » (Beréchit 1,1-2). Les Sages expliquent que « ténèbres » s’applique à la Grèce (alors que les 3 autres termes s’appliquent aux trois autres exils : Babylone, Perse et Rome). Sans approfondir cette parole des Sages, notons que le Choul’han ‘Aroukh rapporte aussi que lorsque le Tanakh a été traduit en grec, à l’initiative du roi d’Egypte Ptolémée, « trois jours d’obscurité se sont abattus sur le monde » (Ora’h ‘Haïm, Ch. 180, par. 12). Cette relation entre le grec – ce qui signifie bien sûr la philosophie ou la religion des grecs – et l’obscurité est encore soulignée par le Maharal qui relève que les lettres du mot ‘Hachékhah – obscurité, sont les mêmes lettres ordonnées autrement que Chikhe’ha – oubli. Il est de fait que l’oubli est une sorte d’obscurité pour l’esprit.
A ce stade, il importe de s’interroger et d’exprimer une certaine surprise. Dans le monde, la philosophie grecque est connue comme la philosophie des Lumières. Le 18ème siècle, siècle des philosophies, est connu comme le siècle des Lumières. Alors, lumière ou obscurité ? Il serait tentant de dire que ce qui est « lumière » pour la pensée grecque, philosophique, devient « obscurité » pour la Torah. Mais cette tentation ne rend pas la question plus facile, et ne tient pas compte de la réalité. On connaît par exemple la bénédiction de Noa’h à Yeffet : « Que la beauté de Yeffet réside dans les tentes de Chem » (Beréchit 9,27). La beauté, l’esthétique, ne sont pas nécessairement étrangères à la perspective de la Torah. A propos du Tabernacle du désert, et des tapis qui pendent devant l’entrée du Tabernacle, il est dit : « La Torah se soucie de la beauté » (voir Rachi sur Chemot-Exode 26,11). Alors, il importe de se demander ce que signifie cette « obscurité » ! On sait que pour les Grecs, l’idéal de l’homme, c’est d’être « Kalos » (beau) « Kagathos » (et bon). C’est la beauté physique qui est le critère de la valeur : « bon » parce que « beau ». Nous sommes ici au centre de la civilisation occidentale, qui voue un culte à l’extériorité, à l’apparence, à la forme. Il s’agit ainsi, en réalité, d’adorer la matière, et de considérer qu’elle n’a pas été créée, mais existe de toute éternité. Ici se rejoignent, on l’a déjà écrit ailleurs, le panthéisme et l’idolâtrie, qui donnent au matériel une valeur éternelle.
Les Grecs se sont opposés au Beth Hamikdach, parce qu’il symbolise le « Hod » spiritualité, au-delà de la matérialité, qui est plus que lumière, mais représente la splendeur. Le « Hadar » traduit cette beauté spirituelle dans l’extériorité. C’est pourquoi les Grecs ont interdit d’observer 3 mitsvot fondamentales : le Roch ‘Hodèch qui représente le renouvellement de la nature, le Chabbath, sanctification du temps, et la Brith Mila, cachet du sacré dans le corps, en dehors de l’interdiction d’étudier la Torah. Ces trois éléments traduisent l’éclat de la spiritualité. De ce fait, les Grecs n’ont pas cherché à détruire, à brûler le Temple, mais à le souiller, en introduisant à l’intérieur une idole. Les huiles du Temple sont devenues impures, à l’exception d’une fiole portant le sceau du Grand-Prêtre (et qui a duré 8 jours, alors qu’il ne restait de l’huile que pour un seul jour). Ici, l’on retrouve dans la langue hébraïque le même terme (Chémen, Chmona, Michna) qui exprime l’huile (Chémen), le chiffre huit (Chmona) et… la Michna, c’est-à-dire l’enseignement oral, dépassant donc l’oubli (parce que l’on sait par cœur). La nature Téva – s’inscrit dans le chiffre 7, mais le 8 va au-delà de la nature. La réponse à l’hellénisme est le refus de la lumière extérieure, mais le désir d’une lumière « supranaturelle », qui, elle, reflète l’Infini.
Les lumières philosophiques, la culture occidentale, s’inscrivent dans un cadre fini, humain. La philosophie kantienne, par exemple, estime que la morale universelle trouve sa source dans les impératifs catégoriques inhérents à la conscience. La lumière est ici le reflet de la décision libre du créé. Or c’est à ce rejet qui remplace la transcendance par un choix libre mais arbitraire de la créature finie que l’évènement de la Révélation doit apporter une réponse, dans la perspective de la Torah. Une lumière ne reflétant que l’ego du penseur ne peut aboutir qu’à l’obscurité, car elle n’exprime qu’un projet individuel, et ne s’adresse pas à l’universel.
La lumière se dit « or » – en hébreu (avec un Alef) ; le même terme écrit avec un ‘Ayin, ‘Or exprime l’idée de peau, de chair, mais pourrait aussi se lire, avec d’autres voyelles « ’Ivèr » – aveugle. (Alef est l’unité, et ‘Ayin est la multiplicité.) Pour le judaïsme, le matériel risque d’obscurcir la création. Assurément, il symbolise le créé, le multiple, et risque d’aveugler l’être fini alors que la lumière spirituelle, le Or, symbolise l’Infini, la lumière réservée pour les Justes, lors de la Rédemption. La petite lumière que nous allumons à Hanouka, seul vestige du Temple de Jérusalem, symbolise cette spiritualité qui doit habiter les descendants d’Avraham, Its’hak et Yaacov. Puisse-t-elle effacer l’obscurité et éclairer notre époque !