David rentre chez lui à toute vitesse et interpelle son épouse : « Chérie, j’ai croisé mon ancien patron, Shlomo, en bas de l’immeuble, il est de passage à Tal Aviv, je l’ai invité à dîner dans une heure. Tu as de quoi préparer un repas ? »
« Tu plaisantes, je n’ai pas fait les courses ! Je n’ai plus rien ! Viens voir dans la cuisine, comment on peut faire ? »
David et son épouse fouillent la cuisine et parviennent à mettre la main sur des chips, des olives et de trois boites de petits-pois.
« J’ai une idée ! » s’exclame David, « on va préparer un bon apéritif, et les petit-pois. Puis, quand nous bavarderons, tu feras un bruit de fracas dans la cuisine ? Et je te dirai, « Ce n’est quand même pas les boulettes qui sont tombées ! » Et ainsi, il comprendra que l’on n’ait plus que les petit-pois à lui servir.
« Ah bonne idée, faisons comme ça ! »
La soirée se passe bien, et au milieu de l’apéritif, je fameux fracas dans la cuisine retentit. Ni une ni deux, David s’exclame « Oh non ! Ce n’est quand même pas les boulettes ? »
« Euh…non…c’est les petit-pois ! »
La parasha de cette semaine s’ouvre sur la visite des anges à Abraham mettant ainsi en exergue une des qualités cardinales du Patriarche : la générosité, ainsi qu’une mistva qui lui tenait tant à cœur « accueillir des invités ».
Aussi, alors qu’il est en plein convalescence des suites de la circoncision, Abraham s’est malgré tout installé à l’entrée de sa tente où il guette des invités potentiels sous une chaleur épuisante.
Soudain, Abraham aperçoit trois hommes, trois bédouins, qui cheminent dans le désert. Abraham décide alors, de manière très surprenante, de suspendre séance tenante son échange avec « D.ieu » pour se dépêcher d’offrir l’hospitalité à ses trois visiteurs.
Abraham, malade et faible, laisse place alors à un nouvel homme, plein de vigueur, d’entrain et d’initiative.
Les versets sont éloquents sur la métamorphose vécue par Abraham, ils emploient ainsi une succession de verbes d’action évoquant un grand dynamisme : « En les voyant, il courut à eux du seuil de la tente et se prosterna contre terre.[…] Qu'on aille quérir un peu d'eau; lavez vos pieds et reposez-vous sous cet arbre. Je vais apporter une tranche de pain, vous réparerez vos forces, puis vous poursuivrez votre chemin, puisque aussi bien vous avez passé près de votre serviteur." Ils répondirent : "Fais ainsi que tu as dit". Abraham rentra en hâte dans sa tente, vers Sara et dit: "Vite, prends trois mesures de farine de pur froment, pétris-la et fais-en des gâteaux." Puis, Abraham courut au troupeau, choisit un veau tendre et gras et le donna au serviteur, qui se hâta de l'accommoder. Il prit de la crème et du lait, puis le veau qu'on avait préparé et le leur servit : il se tenait devant eux, sous l'arbre, tandis qu'ils mangeaient. »
Que s’est-il donc passé pour qu’Abraham connaisse une convalescence aussi fulgurante ?
Les patriarches ont ceci de particulier qu’ils ont incarné et diffusé dans le monde de grandes valeurs morales de manière absolue, ils ont poussé ces qualités au plus loin de ce qu’un homme peut espérer atteindre.
Abraham, le premier des patriarches, s’est caractérisé par son Hessed, sa bonté. Il a consacré sa vie à faire le bien, à témoigner de la sollicitude à ses contemporains, à les protéger, et à essayer de les rapprocher de D.ieu.
Dans le passage que nous avons évoqué ci-dessous, nous constatons le merveilleux « élan vital » insufflé à Abraham dès lors qu’il a pu accomplir une mitsva qui lui était chère : prendre soin d’autrui. A ce moment, il ressent une harmonie intérieure, il coïncide avec l’essence de son âme et son être entier déborde de bonheur, éclipsant la douleur physique qu’il ressentait lorsqu’il était seul, sans possibilité de faire une mitsva, fut-il en train de parler à D.ieu.
En effet, faut-il le rappeler, la Torah n’est pas une religion de la méditation solitaire retirée du « vacarme » du monde, elle incarne au contraire l’ambition d’élever le monde dans ses différentes dimensions à la dignité d’y accueillir la présence divine.
Aussi, le bonheur ne se trouve pas dans une recherche solitaire, égoïste, mais il se trouve avant tout dans la relation à l’autre, et plus précisément dans la capacité de l’homme à « donner ».
En effet, le cœur de l’homme peut être attiré par deux tendances naturelles : « prendre » ou « donner » (Rav. E. E. Dessler). Et, à cet égard, la Torah exhorte l’homme à rejeter la première pour développer dans son coeur une propension au « don », à l’empathie avec autrui.
Celui qui est capable du « don » est prédisposé au bonheur. En effet, en s’ouvrant à son prochain, il témoigne de son équilibre intérieur, de sa capacité à dépasser ses appétits égoïstes pour se préoccuper du bien-être d’autrui.
L’homme généreux est parvenu à dompter son désir de jouissance individuelle, il est parvenu à mettre une limite à sa volonté « d’avoir », au vertige des possessions matérielles. Il a compris la vanité de ces recherches qui se renouvellent sans cesse, et maintiennent l’homme dans un sentiment d’insatisfaction permanente. Elles e font qu’ajouter la frustration à l’égoïsme.
Pour connaître le bonheur authentique, l’homme doit se méfier de tous les faux-semblants qui lui donnent une illusion de bonheur rapide, immédiat, mais qui ne lui apportent en réalité aucune joie à long terme. La félicité authentique s’acquiert dans un double mouvement : une gratitude pour ce que l’on possède, et l’ouverture sur autrui.
Et de fait, si la capacité à donner est si importante dans notre tradition c’est précisément car elle permet à l’homme d’atteindre sa plus haute dignité : la ressemblance avec l’Eternel. Lorsque la Torah écrit que l’homme a été fait à l’image de D.ieu, cela nous indique que l’homme est capable de s’inspirer de Ses attributs pour agir avec ses semblables. Il est ainsi capable de ressentir de la pitié, de faire preuve de miséricorde, de générosité, et bien sûr de donner.
En effet, D.ieu se caractérise tout particulièrement par les dons infinis et permanents qu’Il octroie à l’homme. Ces dons n’ont aucune contrepartie car D.ieu n’a aucun besoin, ils témoignent simplement de la bonté désintéressée de l’Eternel.
Lorsque nous répondons à l’appel d’autrui, à ses besoins matériels ou spirituels, nous rendons hommage au Créateur en lui témoignant notre gratitude. Non pas une gratitude théorique, intellectuelle, mais une gratitude concrète à travers laquelle nous aussi, à notre modeste mesure, nous nous efforçons de sortir de notre égoïsme pour accueillir autrui et ses besoins, et tenter d’y répondre.
Voilà pourquoi, Abraham ne voyait pas de difficulté à suspendre le dialogue qu’il avait avec Hachem pour aller accueillir ses invités. Il s’agissait d’une autre manière de célébrer le Créateur, il poursuivait le dialogue autrement.
Méditons ses mots merveilleux de Rav Dessler : « Donner est le propre de celui qui est heureux de son sort. Sa joie est celle de la quête spirituelle qui estompe toute autre recherche. Il est comme un fleuve qui déborde partout sous l’afflux de ses eaux vives. Son cœur s’élargit aux dimensions de son bonheur, il veut y faire baigner tous ceux qu’il aime. De cette plénitude de joie et de bonheur découlent le don de soi et l’amour ». (Mikhtav Me Eliahou, Le discours sur la bonté)
Albert croise Elie un vieil ami qu’il n’a pas vu depuis longtemps.
« Oh quel plaisir Elie, cela fait tellement longtemps ! Ecoute je t’invite ce soir à la maison tu vas rencontrer toute ma famille ! »
« Avec plaisir ! Alors explique moi comment accéder chez toi »
« Ecoute, c’est très simple. Tu viens en bas de l’immeuble. Puis tu sonnes avec ton coude sur l’interphone. Ensuite, tu pousses la porte avec ton pied, et tu appelles l’ascenseur avec ton menton. Tu appuies au 4e étage avec ton coude et une fois arrivé, on viendra t’ouvrir la porte, ne t’inquiète pas. »
« Avec grand plaisir ! Simplement, c’est quoi ces histoires de coude, menton, genou, pied ??? »
« Rien, j’imagine simplement que tu ne viendras pas les mains vides ! »