Deux rabbins sont en chemin dans une calèche. Le cocher, un juif pratiquant, est très heureux de conduire ces maîtres du judaïsme, et sa curiosité le pousse à tendre l’oreille à leurs discussions.
Un des rabbins s’adresse à son collègue : « Je suis tellement admiratif de votre travail et de vos lumières. Quand, j’y pense, comparé à vous, je réalise que je ne suis rien ! »
Le deuxième rabbin lui objecte : « Comment pouvez-vous dire cela ? ! Mais, si vous n’êtes rien, alors moi je suis rien de rien ! »
Le cocher est si ému qu’il se retourne et s’écrie : « Mais, enfin, mes maîtres ! Si vous, vous n’êtes rien ; et si vous, vous n’êtes rien de rien, alors moi, je suis rien de rien de rien !!! »
Les deux rabbins se regardent et s’exclament : « Mais, enfin, pour qui se prend-il celui-là ? »
La Paracha de Béréchit est une étape fondamentale pour essayer de comprendre la destinée humaine, et notamment le bonheur qu’il est permis à l’homme d’espérer et de rechercher.
Cette Paracha expose les fondements de la nature humaine, les écueils auxquels les hommes ont toujours été confrontés, mais aussi les moyens de les résoudre.
Il nous est impossible de proposer ici une analyse détaillée de cette Paracha tant elle est longue et complexe, mais nous allons essayer de mettre en lumière quelques éléments de notre texte qui peuvent nous aider dans notre quête du bonheur.
Tout d’abord, rappelons-nous les conditions dans lesquelles l’homme a été créé, selon le deuxième chapitre de la Genèse.
« L'Éternel-Dieu façonna l'homme, - poussière détachée du sol, - fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant. » (Genèse, 2,7)
Et Onkelos, le fameux traducteur de la Torah en araméen, de nous préciser que cette notion d’« être vivant » désigne en réalité un « être parlant ». En même temps que l’homme a acquis la vie, il a acquis la parole. Aussi, la parole et la vie sont consubstantiels, et nous pensons naturellement aux beaux versets du Roi David « Quel est l’homme qui souhaite la vie, qui aime les jours pour voir le bien ? Préserve ta langue du mal et tes lèvres des discours perfides… »
En effet, la parole est intimement liée à l’essence de la nature humaine, prendre soin de sa parole revient à prendre soin de sa vie.
Nous pouvons faire l’expérience de cette vérité dans notre vie quotidienne. Malheureusement, nous sommes parfois amenés à constater combien nous regrettons certaines paroles, combien nous sommes « esclaves » d’un écart de langage, et combien nous avons du mal à effacer ce qui a été dit. Ce souffle immatériel qu’est la parole prend bien souvent une réalité très forte et peut susciter des conséquences matérielles significatives.
Aussi, nous mesurons tout particulièrement combien la parole est liée au bonheur, et, en particulier, comment une mauvais parole peut altérer notre aspiration au bonheur.
Ce qui est vrai dans le négatif, l’est tout autant dans le positif. Les bonnes paroles, les paroles porteuses d’espoir, d’affection, d’amour peuvent provoquer de merveilleux transports de l’âme, apporter le réconfort, ouvrir des horizons de bonheur, et susciter une joie profonde.
Révéler son amitié, ou son amour à ceux que l’on chérit fait partie des émotions les plus belles de la vie. Et pourtant, elles ne reposent que sur le merveilleux souffle de la parole.
Notre Paracha nous révèle ainsi dès ses premières lignes, un des secrets éternels du bonheur : l’art de la parole.
Une autre leçon fondamentale du bonheur est contenue dans notre texte, suite à la déception de Caïn de voir son offrande refuser par Hachem, alors que celle de son frère Abel a été acceptée. Caïn semble alors très déçu et son visage est « abattu ». D.ieu s’adresse alors à lui en ces termes :
« Le Seigneur dit à Caïn; "Pourquoi es-tu chagrin, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu t'améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte : il aspire à t'atteindre, mais toi, sache le dominer ! » (Genèse, 4,6)
En quelques mots concis mais définitifs, le texte de la Torah livre aux hommes, dans ses premières pages, le secret de la vie morale et de l’aventure humaine : une quête permanente de perfectibilité, d’amélioration, et de dépassement de soi.
Les erreurs ne doivent pas être vécues comme des occasions « définitivement manquées » de faire le bien et ou des révélateurs de notre petitesse, elles doivent servir de tremplin pour nous parfaire. Nous devons les percevoir davantage comme des étapes nécessaires de notre construction qui nous permettent de préparer notre avenir en évitant de reproduire les mêmes erreurs.
C’est là le message qui est envoyé à Caïn. Il n’y a pas lieu d’être abattu face à une faute, car elle est « tapie » à la porte, elle est « inhérente » à la vie humaine, et ne cesse de guetter l’homme jusqu’à sa mort.
En revanche, il appartient à l’homme de savoir comment appréhender ces fautes, comment les transformer en opportunités pour s’améliorer et se parfaire. Or, ce n’est ni la colère, ni la tristesse, ni le découragement qui sont susceptibles d’amener l’homme à retrouver la voie du bien. Ces sentiments contribuent, au contraire, à décupler les conséquences négatives de la faute initiale, à aspirer l’énergie de l’homme pour l’enfermer dans un cercle vicieux de regret, de désespoir et de tristesse.
Il convient de se relever le plus vite possible en « s’améliorant », en « faisant le bien » comme le conseille D.ieu à Caïn. Or, chaque instant de vie est porteur d’une multiplicité de possibilités de faire le bien, que ce soit vis-à-vis de l’Éternel en prenant de bonnes résolutions, ou bien vis-à-vis d’autrui en faisant des actes de bonté, de sollicitude, en mettant une pièce dans la Tsédaka ou bien en rendant visite à un malade…
Le principe de la « Téchouva », de la rédemption de l’homme par lui-même grâce à ses progrès est ainsi inscrit dès les premières lignes de la Torah. Notre tradition s’oppose au « dogme du péché originel, au déterminisme matérialiste ou au fatalisme nihiliste » (R. E. Munk) qui cherchent à enfermer l’homme dans sa faute et lui retirer toute liberté de s’amender et de changer son destin. Il n’en est rien. L’homme est en réalité libre à chaque instant de faire le bien, de se parfaire et de conquérir ainsi son bonheur.
À l’heure du déjeuner, Albert se promène avec deux collaborateurs le long d’un parc à Brooklyn. Ils s’arrêtent tous trois face à une ancienne lampe à huile. Un des collaborateurs la frotte, de la fumée sort et un génie apparaît qui leur demande un souhait chacun.
Le premier s’écrie : « Je veux de suite m’envoler pour une île déserte aux Bahamas ! » Et, pof, il disparait !
Le second collaborateur d’Albert saisit la lampe et s’écrie : « Moi, je veux partir immédiatement à Hawaï faire du surf ! » Et, pof, il disparait aussi.
Albert saisit alors la lampe et demande calmement : « Merci de me ramener ces deux personnes dans mon bureau immédiatement après l’heure du déjeuner ! » (Joe Boker, Torah with a twist of humor)