Yossef, la soixantaine, scrute tous les matins les traits de vieillissement de son visage, et s’inquiète de se voir vieillir. Un matin, il interroge sa femme. « Chérie, sincèrement, quel âge me donnes -tu ? »
Si j’en juge à ton visage…30 ans, à tes cheveux … 18 ans, à ta peau…20 ans »
Oh chérie, tu es trop gentille !
Attends, il faut que j’additionne le tout…
La paracha de cette semaine invite traditionnellement à une méditation sur le sens de la vie. En effet, elle s’intitule « la vie de Sarah » alors qu’elle évoque le départ de ce monde de la matriarche, et notamment le décompte de ses années de vie : « La durée de vie de Sarah fut de 127 ans », bien que littéralement, le décompte est exprimé ainsi 100 ans, 20 ans et 7 ans.
Rashi nous donne un premier sens pour ce découpage étonnant « La raison pour laquelle le mot שנה est écrit à chaque terme est pour vous dire que chaque terme doit être expliqué par lui-même comme un nombre complet : à l'âge de cent ans, elle était comme une femme de vingt ans en ce qui concerne le péché - elle n'a jamais péché - et à vingt ans elle était aussi belle qu'à sept ans. »
Cette première approche nous éveille à l’idée que les années de vie ne sont pas appréhendées dans la Torah comme le décompte d’une durée biologique, mais elles sont davantage analysées en fonction du sens qu’on leur a donné, et comment l’homme les a habitées.
Cette idée est renforcée, nous disent nos Sages, par les premiers mots de notre parasha : d’une part, « Vayihyou » dont la valeur numérique s’élève à 37, soit l’âge de Yisthak au moment de notre parasha, et d’autre part « shenei ‘hayei Sarah » dont la forme pluriel semble désigner « plusieurs vies de Sarah ». Aussi, tout se passe comme s’il y avait eu « deux vies » de Sarah : une vie avant la naissance de Itshak. (90 ans) et une vie après.
S’il est vrai que la durée de vie des hommes est bien souvent appréhendée selon le calcul de ses années « shana », elle peut aussi être appréhendée selon ses « jours » « yamim ». Et il semble que bien souvent le texte biblique évoque soit les « années » de vie, soit « les jours » de son existence, et parfois les deux. Comment comprendre cette coexistence de termes qui peuvent sembler redondants ?
Examinons ainsi quelques exemples, comme nous y invite le Rav David Benichou dans un très beau cours. Prenons par exemple ce verset des Tehilim : « Mi haish he’ahafets hayim … ohev Yamim…lirot tov » « Qui est l’homme qui désire la vie, qui aime les « jours », pour voir le bien ? ». S’il désire la « vie », pourquoi préciser « qui aime les « jours » » ?
Ou encore ces versets du Roi Salomon : « Oreh Yamim ou Shenot Hayim ve Shalom Yossifou lakh » « Car ils te vaudront de longs jours, des années de vie et de paix. » (Proverbes 3.2. Les Maâitres du Talmud s’interrogent dans le traité Yoma « pourquoi précise-t-on des années « de vie » ? Cela parait évident.
Interrogation similaire à propos de ce verset « Ki bi Yirbou Yamekha ve Yossifou lekha Shenot Hayim « Certes, c'est grâce à moi que seront augmentés tes jours et que te seront dispensées de longues années de vie ». La coexistence d’une promesse de longévité sur les « jours » et les « années » semblent désigner à nouveau deux réalités distinctes.
Pour résoudre ces mystères, il faut probablement se référer au commentaire du Midrash suivant qui précise le sens du mot « jour ». "Et Hachem appela la lumière 'jour'", c'est Jacob. "Et les ténèbres, il les appela nuit", c'est Ésaü. "Et il fit nuit", c'est Ésaü. "Et il fit jour", c'est Jacob. "Et il y eut un soir", le soir d'Ésaü. "Et il y eut un matin", le matin de Jacob. " (Midrash Bereshit Raba chap. 2)
Ainsi, comme nous le supposions, le « jour » ne désigne pas seulement une unité de mesure de la durée du temps qui s’écoule mais davantage de la qualité du temps que l’on vit.
La véritable vie d’un homme est symbolisée par l’ensemble des « jours » qu’il a vécus, c’est-à-dire du temps où il a pu faire corps avec sa neshama, son « âme », et se relier au maître du monde. Le flux de vitalité de l’homme se rattache d’emblée, depuis la genèse, au souffle divin qui a permis à l’homme d’être vivant.
A cet égard, le Natsiv (rapporté par Rav Benichou) définit la vie comme comme un long cheminement visant à nous permettre d’atteindre le maximum de notre potentiel de vie par rapport aux ressources qui nous ont été données. Lorsque l’homme est décrit comme « nefesh ‘haya » « une âme vivante » après que D. a insufflé en l’homme souffle/une âme de vie, cela signifie que pour être vivant il faut exploiter au maximum les ressources de la Neshama.
Ainsi est -il possible de comprendre le sens de l’expression « années de vie » d’un homme qui désignent ainsi les années où l’homme a été réellement vivant spirituellement, où il a essayé de se rattacher au Maître du monde, en réduisant les « nuits » de son existence, et en élargissant ses « jours », tous les instants de vie où il a vécu pleinement en accord avec sa Neshama, son âme.
Aussi, pouvons-nous mieux comprendre ce verset de notre parasha qui évoque la vieillesse d’Avraham « Avraham était âgé, avancé en jours ». Nos Sages nous invtent à nouveau faire la distinction entre la vieillesse et les « jours » d’une vie. Un homme peut être dans la vieillisse sans être dans les jours. Mais ici Abraham était dans les 2 : « zaken » et « ba baymim » « avancé en jours », son existence avait été dédiée à sa quête spirituelle et à se rapprocher du Tout Puissant.
« Leah se confie à son amie Déborah : « Je suis inquiète, tu sais, j’ai l’impression que mon mari ne me trouve plus aussi belle qu’au premier jour Et toi, ressens-tu la même chose chez ton mari ? »
« Je dois être chanceuse b’H ! Tous les matins, mon mari me dit « Tu es encore plus belle qu’hier » se réjouit Déborah.
« Et oui, tout le monde n’a pas la chance d’avoir un mari antiquaire » soupira Lea… (Torah with a twist of humor, Joe Bobker)