« Quelle est la voie de rectitude (Dérekh Hayachar) que l’homme doit adopter ? Tout ce qui l’honore (Tiféret) à ses propres yeux et l’honore aux yeux d’autrui. »

Pourquoi être Tiféret pour soi ?

Nous avons expliqué jusque-là pourquoi il fallait que nos actions soient Tiféret pour les autres, qu’elles trouvent grâce aux yeux des autres. Le Maharal s’interroge : compte tenu de ces explications, pourquoi est-il aussi nécessaire que nos actions trouvent grâce à nos yeux, n’est-il pas suffisant qu’elles trouvent faveur aux yeux d’autrui ?

Premier point à prendre en compte : l’approbation par certaines personnes de nos actions ne signifie pas que de telles actions soient correctes. Lorsqu’il est question de trouver grâce aux yeux des autres, les personnes qui ne craignent pas D.ieu ne sont pas incluses dans la catégorie de ceux aux yeux desquels nos actions doivent trouver grâce. Le Maharal le prouve en relevant que lorsque la Michna se réfère aux actions de l’homme devant trouver grâce aux yeux des autres, on utilise plus fréquemment le terme « Briot »[1] plutôt que celui de « Haadam. » Pourquoi la Michna affirme-t-elle que nos actions doivent être « Tiféret Lo Min Haadam » ? Il explique que le terme « Haadam » se réfère à l’homme, celui qui mérite le titre de « Adam », à savoir un individu doté d’un certain niveau spirituel, dont les actions sont dignes de louanges. En conséquence, la Michna nous enseigne que l’on doit s’évertuer à agir de telle sorte que nos actions soient approuvées par des hommes d’un haut niveau, mais pas par tout le monde, car nombreux sont ceux dont la vision du monde n’est pas en conformité avec celle de la Torah.

En s’appuyant sur cette logique, nous pouvons aussi expliquer pourquoi il est insuffisant que nos actions soient uniquement Tiféret aux yeux des autres. Le risque est que si c’est le cas, la force motrice des actions d’une personne sera guidée purement par l’idée de plaire aux autres. De ce fait, la Michna déclare que les actions de l’homme doivent être « Tiféret Lo », à savoir que l’homme sait au fond de lui que sa façon d’agir est correcte. Lorsque la Michna ajoute que ses actions doivent être Tiféret pour les autres, cela ne remet pas ce point en question. Au contraire, cela met en valeur l’idée que nos actions ne se déroulent pas dans le vide et que l’on doit mesurer leur effet sur les autres.[2]

La nature humaine veut que l’on se préoccupe davantage de l’avis des autres que de celui de Hachem. C’est prouvé dans la Guémara[3] où l’une des dernières bénédictions de Rabbi Yo’hanan ben Zakaï à ses élèves : il leur a souhaité que leur crainte de Hachem soit équivalente à leur crainte des hommes. Ses élèves lui demandèrent : ce niveau est-il si difficile à atteindre au point que ce soit la dernière bénédiction de leur maître ? Il répondit : Halévaï (si seulement) leur crainte de Hachem pouvait être l’équivalente de leur crainte des autres. Nous apprenons de là que notre penchant naturel est de nous préoccuper davantage de l’opinion d‘autrui que de celle de Hachem. La Michna nous enseigne que notre but dans la Avodat Hachem (service divin) ne doit pas être d’impressionner les autres, mais plutôt de faire ce qui est correct en soi.

Dans cette veine, les commentateurs ajoutent qu’une autre raison pour laquelle il n’est pas suffisant que nos actions soient Tiféret pour autrui tient au fait que les autres ne peuvent connaître les motivations réelles de notre Avodat Hachem. La motivation ultime de notre pratique des Mitsvot doit être la réalisation de la volonté de Hachem, ce que l’on nomme Lichma, soit « pour D.ieu, de manière désintéressée. » La situation inverse, loin d’être idéale, se nomme « Lo Lichma », de façon intéressée. Entrent dans cette catégorie les Mitsvot réalisées à des fins de gain matériel, d’honneur, ou d’autre bénéfice. Lorsque la Michna ajoute que nos actions doivent être « Tiféret Lo », cela signifie que l’individu doit s’assurer qu’elles sont réalisées avec le plus de motivations pures possible. Or, seule la personne elle-même peut le savoir, et il est donc insuffisant si ses actions sont uniquement Tiféret pour les autres.[4]

Rav Aharon Leib Steinman zatsal insistait sur la difficulté d’agir purement Lichma, car il existe de nombreux autres motifs qui peuvent aisément influencer l’homme. Il insistait sur le fait que la première étape consistait à être honnête avec soi-même sur ses véritables motifs. Lors de l’un de ses célèbres voyages autour du globe pour inspirer des Juifs du monde entier, il avait le choix entre deux personnes possibles pour l’accompagner. Il leur demanda pourquoi ils tenaient à voyager : l’un répondit qu’il voulait voir l’immense manifestation de Kavod Hatorah, de gloire pour la Torah, qui adviendrait par la foule venue accueillir le Rav. L’autre homme admit qu’il voulait faire du tourisme. Rav Steinman choisit le second uniquement parce qu’il pensait qu’il était plus honnête sur ses intentions.

Dans la même veine, on relate une histoire sur un ‘Hassid qui passa un Chabbath auprès d’un Rabbi qui avait la réputation d’être un grand Tsadik. Mais le ‘Hassid fut très déçu lorsqu’il s’aperçut qu’au cours du repas, dès que le Rabbi mettait quelque chose en bouche, il disait : Léchem Bitni - pour mon estomac.[5] Finalement le ‘Hassid ne put se contenir et interrogea le Rabbi sur sa conduite qui paraissait éloignée de la vertu et contredisait sa réputation de Tsadik. Le Rabbi répondit que sa réputation provenait du fait qu’il était très honnête sur ses motivations réelles !

Rav Steinman donnait des conseils sur la manière d’introduire une certaine quantité de Léchem Chamayim (des intentions pures) dans nos actions. Rav Israël Friedman[6] se souvient que Rav Steinman aidait les Juifs à augmenter progressivement le pourcentage de pureté dans leurs actions. Par exemple, il recommanda au Rav Friedman de faire asseoir le Yétser Hara (mauvais penchant) devant lui lorsqu’il commençait à écrire un article et de lui demander à brûle-pourpoint : « Pourquoi veux-tu que j’écrive ? » « Tu veux que j’écrive pour la Parnassa ? Tu as raison. Tu veux que j’écrive pour le plaisir? Tu as raison. Pour avoir du pouvoir et de l’influence ? Tu as raison…Tu as tout ce que tu veux ? C’est bon ? Alors que t’importe-t-il si je le fais aussi Léchem Chamayim, si j’ai aussi à l’esprit que je peux écrire un article qui peut renforcer un Juif dans ses croyances et pratiques ? »

Rav Steinman expliquait que dans chacune des actions de l’homme, il est possible d’atteindre aussi un niveau de pureté d’intention. De cette manière, son action n’est pas totalement intéressée. Il disait que si l’on s’habitue à penser de cette manière, on accèdera parfois à 1 pourcent de Léchem Chamayim, parfois 2 pourcent, voire 10 ou 20 pourcent d’autres fois. Mais au minimum, dans chaque action, il y aura une présence de Léchem Chamayim. De cette manière, le Juif pourra gravir l’échelle jusqu’au point où ses actions trouveront grâce à ses yeux.

 

[1] Comme c’est le cas dans Avot, 1:12, 4:1

[2] Cette explication s’appuie également sur le Maharal, Dérekh ‘Haim, Avot, 2:1, avec le commentaire de Rav Yehoshua Hartman, chlit’a, Dérekh ‘Haim, Avot, 2:1, Os 31.

[3] Brakhot, 28b.

[4] La Guémara déclare qu’on doit néanmoins faire des Mitsvot même si nos motivations sont Lo Lichma, car en ‘réalisant des Mitsvot Lo Lichma, on arrive au niveau du Lichma.

[5] La halakha stipule qu’avant de manger, il est bon de déclarer : Léchem Kavod Chabbath.

[6] Rédacteur en chef du Yated Nééman, cité dans Hamodia, 24 Tévet 5778, p.24.