« Hillel dit : ne vous séparez pas de la communauté. »
Nous avons évoqué jusque-là deux interprétations du dicton de Hillel : Al Tifroch Min Hatsibour, ne vous séparez pas de la communauté. Rabbénou Yona propose une troisième explication : d'après lui, Hillel nous enseigne qu'un homme ne doit pas accomplir les Mitsvot seul, mais avec la collectivité.[1] Il s'appuie sur l'idée de Bérov Am Hadrat Mélekh : Hachem est davantage glorifié lorsqu'une grande foule se rassemble pour Le servir.
Le Midrach Chemouël cite également cette approche ; il relève qu'un homme peut estimer qu'il est préférable pour lui de servir Hachem seul, loin des autres, et que de cette façon, il peut s'élever à un plus haut niveau de sainteté, sans devoir s'impliquer dans des activités banales avec les autres. De plus, en évitant des interactions avec les autres, un homme peut s'assurer qu'il n'est pas à risque de transgresser de nombreuses fautes liées aux relations entre l'homme et son prochain, comme le Lachone Hara' (la médisance), le vol, etc. Le Midrach Chmouël ajoute qu'une telle personne pourrait avancer que sur le plan historique, tous les problèmes ont commencé par des relations humaines. Par exemple, Adam Harichone a fauté en raison de sa relation avec 'Hava ; lorsque Caïn et Hével sont nés, le trait de jalousie a fait son apparition dans le monde, etc.
Or, le Midrach Chmouël écrit que cette approche est erronée. Hachem a créé l'homme avec un désir naturel d'interagir avec les autres, et il ne peut atteindre la Chlémout (accomplissement) en l'absence de telles interactions. Hachem l'exprime ainsi en disant : « Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul.»[2] Ceci s'applique à de nombreux domaines, l'un étant l'étude de la Torah. Par exemple, un homme ne peut accéder à la véritable sagesse sans apprendre des autres, comme le traité des Pirké Avot l'affirme ailleurs : « Qui est sage ? Celui qui apprend de tout homme.»[3] De la même manière, une autre Michna dans Avot affirme qu'il existe 48 manières d'acquérir correctement le savoir de la Torah, et un certain nombre d'entre elles incluent les interactions avec notre prochain, comme le Dikdouk 'Havérim (la conversation entre amis) et le Pilpoul Talmidim (l'analyse avec des élèves). De plus, de nombreuses Mitsvot ne peuvent être accomplies qu'avec les autres, comme celle de Véahavta Léréékha Kémo'ha (aimer son prochain comme soi-même), le 'Hessed (actes de bonté), le fait de juger autrui favorablement, et bien d'autres. En conséquence, il est clair qu'en dépit des pièges éventuels d'être impliqué avec autrui, un homme doit s'associer à la collectivité afin d'atteindre la Chlémout.
Le Maharal pousse cette idée encore plus loin. Il écrit : « Un homme qui se sépare de la communauté, se sépare de tout, et il est à l'écart…car il a quitté le Klal.»[4] Le langage du Maharal est même plus fort que les autres commentateurs cités jusque-là. Explication : il transparaît de ses écrits qu'il envisage le concept de Tsibour comme un microcosme du peuple juif considéré comme un tout. On sait que l'identité de chaque Juif est liée au Klal, à la collectivité. Chaque Juif a un rôle unique dans le Klal et il ne peut atteindre son potentiel sans se joindre aux autres. Le Tsibour est la manifestation microscopique du Klal, donc si l'homme se sépare du Klal, il présente des lacunes dans sa 'Avodat Hachem, son service divin.
Le Rambam[5] applique ces idées de façon marquée. Il écrit :
« Celui qui se sépare des façons de faire de la communauté, même s'il n'a pas commis de fautes, soit se sépare de la communauté d'Israël et ne fait pas de Mitsvot avec eux, soit ne s'associe pas à leurs souffrances et ne se joint pas à leurs jeûnes, mais suit sa propre voie…il n'a pas de part dans le Monde à venir.»
Il est évident de ce Rambam que même si l'homme observe toutes les Mitsvot qui se présentent à lui, il est listé dans le groupe le plus sévère de tous les fauteurs : ceux qui n'ont pas de part dans le Monde à venir. De toute évidence, comme nous l'avons relevé chez le Maharal, le simple fait de se séparer de la communauté est grave au point que sa Avodat Hachem est foncièrement viciée et qu'il perd tout.
Nous avons vu comment ce n'était pas simplement une bonne chose de se joindre au Tsibour, mais plutôt un aspect essentiel de la Avodat Hachem de chaque Juif, et en son absence, le service divin est déficient. L'ampleur de l'implication de chacun peut varier, et il convient de consulter un Rav qui connaît la personne et ses points forts.
[1] Il ajoute que si le Tsibour (le public) n'est pas vertueux, dans ce cas, ce dicton de Hillel ne s'applique pas, car s'attacher à un tel public constituerait un préjudice pour le niveau spirituel de la personne. Dans certains cas, des rabbins très solides dans leur pratique de la Torah se déplacent dans une communauté dans le but de la renforcer, mais ici, ce n'est pas le cas évoqué.
[2] Béréchit 2:18.
[3] Avot, 4:1.
[4] Dérekh 'Haïm, Avot, 2:4. Certaines versions d'Avot, y compris celle du Maharal, comprennent les dictons de Hillel dans la 4ème Michna d'Avot, alors que de nombreuses personnes le placent au début de la 5ème Michna : nous avons adopté cette seconde approche.
[5] Hilkhot Téchouva 3:11.