Chaque mercredi, retrouvez les aventures de Eva, célibattante parisienne de 30 ans… Super carrière, super copines. La vie rêvée ? Pas tant que ça ! Petit à petit, Eva découvre la beauté du judaïsme et se met à dessiner les contours de sa vie. Un changement de vie riche en péripéties… qui l’amèneront plus loin que prévu !
Dans l'épisode précédent : Eva, éblouie par la beauté du Chabbath, a décidé de le respecter entièrement, coûte que coûte...
“Toi… tu es amoureuse !” Les avantages quand on travaille avec l’une de ses meilleures amies dans la même agence sont nombreux… la discrétion n’en fait pas partie !
On était lundi matin et Karen se tenait dans l’angle de mon bureau et affichait un grand sourire, convaincue de sa découverte. “Qu’est-ce qui te fait croire ça, Karen ? Tu sais très bien que si c’était le cas, tu serais la première informée !” (Et grâce à ta voix qui porte, tout l’étage du pôle événementiel aussi...)
“Tous les signes sont là, Eva… On ne te voit plus le week-end, quand tu es là, tu as la tête ailleurs et tu arrives en retard le matin… Allez, depuis quand tu fais ta cachottière ? Raconte ! Qui est ce bel inconnu qui a remplacé l’affreux David dans ton joli petit cœur ?”
Oh là là, ce n’était ni le lieu ni le moment pour avoir ce genre de conversations… Surtout que je n’avais aucune idée de la façon dont j’allais lui expliquer les choses.
La vérité, c’est que le matin, j’arrivais en retard parce que Guila m’avait donné un petit livre dans lequel les prières du réveil étaient écrites en hébreu, et je mettais de longues minutes à les lire jusqu’au bout. J’avais l’air d’une fillette de 5 ans qui apprend à lire.
Je n’allais pas me plaindre. Au contraire ! L’idée m’était venue pendant mon cours de yoga deux semaines plus tôt. Je me tordais dans tous les sens pour réaliser la posture de “salutation au soleil” quand j’eus une révélation : si les maîtres yogi disaient bonjour au soleil tous les matins… dans la vraie vie, on devait bien tous dire bonjour à D.ieu dès le réveil !
Or, à part le “Modé Ani” qui me restait de mes cours de Talmud Torah, le reste de mes souvenirs était parti en fumée… D’où mes nouvelles luttes matinales !
Mais je ne me sentais pas encore prête à raconter à Karen mes récentes découvertes. Même si Karen était juive comme moi, je l’avais entendue se décrire comme “anti-folkore juif” un an plus tôt à la Brit-Mila du fils d’une de nos amies. Et moi qui découvrais cette nouvelle dimension de la vie juive, je ne me sentais pas suffisamment forte pour faire face aux éventuelles critiques de Karen.
Donc, pour l’instant, faute de mieux, je restais volontairement évasive et bottais en touche avec un “c’est encore trop tôt pour en parler…” assorti d’un petit sourire qui donna à Karen toute la satisfaction nécessaire pour ne pas chercher à en savoir plus… pour le moment.
“Les filles, réunion dans 5 minutes, le patron a convié toute l’équipe”. Inès, la secrétaire du patron de l’agence, venait de passer à la vitesse de l’éclair et cette phrase dans sa bouche n’avait rien d’informatif. Au contraire, ça voulait dire : “Tout le monde en salle de réunion tout de suite, l’heure est grave !”.
C’est bien connu : aucune réunion ne commence jamais à l’heure… sauf quand c’est le directeur qui l’anime ! Pour une fois, pas de suspense, le directeur avait un grand sourire et nous dit dès son entrée dans la pièce : “J’ai une bonne nouvelle ! La société AKA nous engage pour promouvoir le lancement de son prochain jeu vidéo Casino City. Ils avaient commencé avec nos chers concurrents… Mais apparemment, ça ne s’est pas bien passé. La soirée a lieu ce vendredi soir. On fait les choses en grand puisqu’on va transformer le Grand Palais en Casino géant ! Inès va vous attribuer les tâches et je compte sur vous. C’est un projet majeur pour la société”.
Tout le monde était surexcité à la suite de cette annonce. En partie parce qu’il s’agissait d’un des plus grands éditeurs de jeux vidéo du monde et que la presse entière parlerait de ce grand évènement, mais aussi parce que la soirée aurait lieu dans seulement 4 jours et qu’il allait falloir y travailler jour et nuit.
Moi, j’étais livide. Il avait dit vendredi soir ! Pas jeudi ni mardi, non ! Il fallait que ça tombe précisément le seul jour où ça me posait problème. Comment j’allais bien pouvoir m’en sortir ?
Paniquée, je sortis de la salle et j’appelais Guila en priant pour qu’elle décroche : “Salut Eva ! Quoi de neuf, tu n’es pas au travail ?” “Oh là là, Guila ! C’est bien pour ça que je t’appelle ! J’ai besoin d’aide : on vient de nous annoncer une très grande soirée à préparer et elle aura lieu vendredi soir. Si je n’y vais pas, je risque ma place ! Mais d’un autre côté, je ne me vois pas ne pas faire Chabbath… Qu’est-ce que je fais ?”
Guila me suggéra d’aller en parler à mon responsable, mais je ne me sentais pas la force. Déjà que je n’arrivais pas à en parler à ma meilleure amie, alors à mon boss… !
“Désolée Eva, je ne vois pas d’autre solution. Et puis, autant aller lui parler maintenant pour ne pas que la situation se reproduise.”
Bon, jusqu’à présent, Guila avait toujours été de bon conseil. Et puis, elle s’y connaissait mieux que moi dans ces sujets-là (bon ok, elle était enseignante dans une école juive, pas sûre qu’elle ait déjà eu à batailler pour ne pas travailler Chabbath).
A la fin de la journée, mon angoisse n’avait pas diminué, au contraire ! Inès m’avait attribué ma tâche et j’étais en charge d’accueillir tous les invités le vendredi soir. Impossible de me défiler en cachette. Tout le monde me verrait… ou pas !
J’étais arrivée à un tel niveau de stress que je n’allais pas en dormir de la nuit, il fallait que j’aille voir mon responsable maintenant.
Je me levais d’un pas décidé et je franchis en quelques secondes la distance qui me séparait de son bureau, mais arrivée devant sa porte, je me dégonflais comme un ballon de baudruche.
(“Ok, courage Eva, ça ne peut pas être pire que quand tu es allée toute seule à la synagogue et que tout le monde t’a regardée… fonce !”). Après cette petite remise au point mentale, je pris trois grandes inspirations, collais mon fameux sourire “je suis une employée qui assure à tous les coups” et j’entrais dans le bureau.
“Franck, je voulais vous dire… Je suis embêtée… pour vendredi soir… je ne peux pas…” La suite de ma phrase, Franck ne l’entendit pas parce qu’il me coupa sans même me laisser terminer : “Eva, vous avez entendu le directeur. Il s’agit du plus grand événement de l’année. Au cas où vous ne l’avez pas compris, on joue tous notre place sur le succès de cette soirée. Donc si vous aviez prévu un week-end ou un rendez-vous avec le pape, je ne veux pas l’entendre, vous serez présente vendredi soir. Bonne soirée.”
Soufflée. Une tornade venait de me passer dessus et je me sentais d’un coup sans force. Je sortis comme un automate de son bureau, je pris mes affaires et je quittais l’agence.
Assise dans le métro, à mesure que les stations défilaient, je reprenais lentement mes esprits. Il ne m’avait même pas écoutée. Je n’avais aucune chance de trouver un compromis. D’un autre côté, je ne me voyais pas passer mon vendredi soir à travailler pendant Chabbath. La situation était cornélienne.
Le vibreur de mon téléphone me fit sortir de mes pensées. Guila me demandait comment ça s’était passé : “La cata !!!!” et il n’y avait pas un point d’exclamation assez fort pour dire combien j’étais en dessous de la réalité. Nouveau message : “Ah mince ! Va demander conseil au rabbin, c’est certain qu’il a déjà eu des cas similaires.”
Pas faux, moi toute seule je n’arrivais à rien et je n’avais pas l’ombre d’une solution. Je regardais ma montre et je savais qu’à cette heure-ci, le rabbin serait à la synagogue où il terminait le cours hebdo pour les jeunes.
Je réussis à le trouver et je lui racontais toute la situation et la soirée casino : “C’est vrai Rav que je ne fais pas Chabbath depuis longtemps, mais ça me paraît à présent impossible de travailler un vendredi soir”.
Si je n’admirais pas déjà le rabbin, il finit de me convaincre : “Eva, ce qui t’arrive est complètement normal et cela fait partie du jeu, c’est le cas de le dire. Plus tu avances dans un chemin où Hachem est présent dans ta vie au quotidien, plus ce genre de situation risque d’arriver. Il ne s’agit en réalité que de tests que t’envoie le Yétser Hara’ (mauvais penchant) - dont c’est la mission - uniquement pour te faire grandir et t’aider à avancer plus vite. A partir du moment où tu refuses de travailler par respect pour Hachem et la sainteté du Chabbath, même si à l’instant T, tu as l’impression que tu sacrifies beaucoup… dans quelques années, tu auras oublié cette soirée, mais jamais tu n’oublieras ce Chabbath que tu auras sauvé… et D.ieu non plus ! Sois sans crainte : Ein ‘Od Milevado, il n’y a rien (ni personne) au-dessus d’Hachem.”
Ce soir-là, contre toute attente, je dormis sur mes deux oreilles, sans crainte ni angoisse. Les paroles du rabbin avaient fini de me convaincre. Je savais où étaient les priorités et elles n’incluaient ni les clients japonais ni même Franck et ses menaces à peine voilées.
Très naturellement (et avec une confiance nouvelle), je retournais parler à Franck le lendemain. Avant d’entrer dans son bureau, je murmurais pour moi-même : “Ein ‘Od Milevado” pour ne pas oublier qui est Le véritable “Boss” du monde. Et sur le ton le plus calme du monde, je lui expliquais que j’étais juive et que du vendredi soir au samedi soir c’était Chabbath et qu’il m’était interdit de travailler pendant Chabbath. Je sentais qu’il fallait que je lui rappelle que j’étais une des employées les plus dévouées et qu’en temps normal, je ne comptais pas mes heures. Mais là, je ne pouvais faire autrement que d’être absente vendredi et qu’il devait confier l’accueil des invités à quelqu’un d’autre.
Franck se leva lentement de son bureau en me demandant : “Est-ce qu’il y a une possibilité de s’arranger, est-ce que tu peux faire une exception pour une fois ?”
Sans même réfléchir, je me levais de ma chaise et, me dirigeant vers la porte de son bureau, je lui répondis du tac au tac : “Désolée, mais je ne pense pas qu’on puisse négocier avec D.ieu...”.
D’un mouvement rapide, il arriva à ma hauteur avant que je ne franchisse la porte, me fixa dans les yeux et me dit : “Je comprends, j’admire l'aplomb avec lequel tu défends tes convictions, ça en dit long sur toi !”
La suite la semaine prochaine...